Calmann-Lévy (p. 166-167).
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XXXIII

Le lendemain fut le jour d’aller à la Limoise dire adieu à la mère de Lucette qui n’était pas encore rentrée en ville. Elle faisait partie de ce cher cénacle de figures tutélaires, trop nombreuses peut-être autour de moi et trop attentives, qui, pour mon malheur, avaient plus que de raison choyé mon enfance. Je la tutoyais et l’appelais « tante Eugénie » ; lors de nos revers, elle était venue offrir de se charger des frais de mon instruction pour me permettre de ne pas quitter Rochefort, et je l’aimais bien.

La campagne, où les vendanges venaient de finir, était ensoleillée et déserte. La vieille Limoise, qui allait bientôt se fermer pour un hiver de plus, dormait tranquillement auprès de ses bois centenaires ; les chênes à feuilles annuelles avaient déjà des chevelures jaunies, tandis que les chênes-verts, qui ressemblent à de grands oliviers, découpaient, sur le ciel nostalgique des fins d’été, les masses sombres de leur inaltérable verdure. Tante Eugénie vint me conduire le soir, avec la petite Jeanne, jusqu’au tournant du chemin qui mène au village d’Échillais, et me dit, en m’embrassant pour l’adieu : « Allons, c’est fini, fini de tes jeudis de Limoise… Et, tu sais, mon pauvre enfant, ajouta-t-elle, les larmes aux yeux, pour toi le bon temps est passé, dame ! » Hélas ! oui, et je ne le savais déjà que trop !…