Calmann-Lévy (p. 43-46).
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VIII

Par une erreur de chronologie, dans le Roman d’un enfant, j’ai dit n’être plus revenu passer mes vacances chez l’oncle du Midi depuis l’année où, sous le berceau de treille muscat, au milieu du bourdonnement des guêpes de septembre, j’avais pris ma ferme résolution de me faire marin. Mais si ; l’année du mariage de ma sœur, je revins encore dans la vieille petite ville aux remparts gothiques en pierres rouges et aux portes ogivales. Le lendemain de la cérémonie, je partis avec les nouveaux mariés, et ce qui fut cette fois la grande nouveauté de la route, c’est que nous emmenions maman avec nous, ma maman chérie, — qui était la seule personne de notre famille n’ayant jamais quitté notre province aux grands horizons plats et qui rêvait, comme moi naguère, de voir enfin des montagnes.

Je me rappelle à peine l’arrivée là-bas, dans la maison Louis XIII, à la nuit close ; mais je retrouve si bien le lever du jour, dans cette chambrette que j’avais déjà occupée pendant trois ou quatre étés ! Les bruits dont je m’étais longuement déshabitué m’éveillèrent de bon matin, le jacassement des poules et des canards dans la rue, et surtout, pour me donner plus vite la notion précise du lieu, les coups rythmés du métier de Tanou, le tisserand du voisinage, qui travaillait là, comme une sorte d’araignée éternelle, ne cessant jamais d’allonger ses rudes toiles de chanvre. (C’était encore le temps des humbles petits métiers locaux, que le « progrès » a partout remplacés, de nos jours, par l’enfer des usines.)

Les autres années, la joie de mon premier réveil dans cette chambre était de me sentir enfin arrivé dans le pays où les libres vacances allaient commencer sous le beau ciel bleu. Mais cette fois non, la joie, la vraie joie fut de me dire : « Est-ce vraiment possible ? Maman aussi est venue, maman est là ! Et je vais pouvoir lui montrer la réalité de ce qu’elle n’a jamais vu, les vallées, les montagnes, l’emmener avec moi partout !… »

En effet, pendant cette saison qui fut radieuse, j’abandonnai beaucoup mes compagnons habituels, la bande des petits Peyral et celle des petits paysans ahuris et dociles, pour me promener avec maman, mais rien que nous deux en partie fine, et je la conduisis, par les sentiers de chèvres qui m’étaient familiers, dans les fourrés épais bordant les rivières ou sur les sommets d’où sa vue ravie dominait les profonds lointains ; rien ne me charmait comme de lui faire ainsi, à elle toute seule, les honneurs de tout mon domaine d’imaginaire aventurier. Et ces vacances-là furent, je crois, les plus adorables de ma vie…

Mais le mois de septembre fini, quand il fallut nous remettre en route tous les deux pour Rochefort, abandonnant ma sœur dans sa résidence nouvelle, mon cœur se déchira affreusement. Je n’avais pas réfléchi que cela surviendrait si vite, que ce serait si définitif et si douloureux : donc, c’en était fait, elle n’habiterait plus sa chambre bleue ni son atelier, nous ne la reverrions plus que de temps à autre en visite, elle ne serait plus quelqu’un de chez nous.