Premier recueil de diverses poésies tant du feu sieur de Sponde que des sieurs Du Perron, de Bertaud, de Porchères et autres, non encor imprimées, recueillies par Raphaël Du Petit Val, 1604/Stances de la mort

, François d'Arbaud de Porchères
Premier recueil de diverses poésiesImprimerie Du Petit Val (p. 41-45).

STANCES DE LA MORT,
FAITES PAR LE MESME
sieur de Sponde.


Mes yeux, ne lancez plus vostre pointe esblouye
Sur les brillans rayons de la flammeuse vie,
Sillez-vous, couvrez-vous de tenebres, mes yeux :
Non pas pour estouffer vos vigueurs coustumieres,
Car je vous feray voir de plus vives lumieres,
Mais sortant de la nuit vous n’en verrez que mieux.

Je m’ennuye de vivre, & mes tendres annees,
Gemissant sous le faix de bien peu de journees,
Me trouvent au milieu de ma course cassé :
Si n’est-ce pas du tout par défaut de courage,
Mais je prends comme un port à la fin de l’orage,
Desdain de l’avenir pour l’horreur du passé.

J’ai veu comme le Monde embrasse ses delices,
Et je n’embrasse rien au Monde que supplices,
Ses gays Printemps me sont de funestes Hyvers,
Le gracieux Zephir de son repos me semble
Un Aquilon de peine, il s’asseure & je tremble,
O que nous avons donc de desseins bien divers

Ce Monde, qui croupit ainsi dedans soi-mesme,
N’esloigne point jamais son cœur de ce qu’il aime,
Et ne peut rien aimer que sa difformité.
Mon esprit au contraire hors du Monde m’emporte,
Et me fait approcher des Cieux en telle sorte,
Que j’en fais desormais l’amour à leur beauté.


Mais je sens dedans moy quelque chose qui gronde,
Qui fait contre le Ciel le partisan du Monde,
Qui noircit ses clartez d’un ombrage touffu,
L’Esprit qui n’est que feu de ses desirs m’enflamme,
Et la chair qui n’est qu’Eau pleut des Eaux sur ma flamme,
Mais ces eaux là pourtant n’esteignent point ce feu.

La chair des vanitez de ce Monde pipee
Veut estre dans sa vie encor enveloppee,
Et l’Esprit pour mieux vivre en souhaite la mort.
Ces parties m’ont réduit en un péril extresme.
Mais, mon Dieu, pren parti de ces partis toy mesme,
Et je me rangeray du parti le plus fort

Sans ton aide, mon Dieu, cette chair orgueilleuse
Rendra de ce combat l’issue perilleuse,
Car elle est en son regne, & l’autre est estranger.
La chair sent le doux fruit des voluptez presentes,
L’Esprit ne semble avoir qu’un espoir des absentes.
Et le fruit pour l’espoir ne se doit point changer.

Et puis si c’est ta main qui façonna le Monde,
Dont la riche Beauté à ta Beauté responde,
La chair croit que le Tout pour elle fust parfait.
Tout fust parfait pour elle, & elle d’avantage
Se vante d’estre, Ô Dieu, de tes mains un ouvrage,
Hé ! deffairois-tu donc ce que tes mains ont fait ?

Voila comme l’effort de la charnelle ruse
De son bien pour son mal ouvertement abuse,
En danger que l’Esprit ne ploye en fin sous lui.
Viens donc, & mets la main, mon Dieu, dedans ce trouble,
Et la force à l’esprit par ta force redouble :
Un bon droit a souvent besoin d’un bon appuy.


Ne crains point, mon Esprit, d’entrer en ceste lice,
Car la chair ne combat ta puissante justice
Que d’un bouclier de verre, & d’un bras de roseau.
Dieu t’armera de fer pour piler ce beau verre,
Pour casser ce roseau, & la fin de la guerre,
Sera pour toy la Vie, et pour elle un Tombeau.

C’est assez enduré que de ceste vermine
La superbe insolence à ta grandeur domine,
Tu luy dois commander, cependant tu luy sers :
Tu dois purger la chair, & ceste chair te souille,
Voire, de te garder un desir te chatouille,
Mais cuidant te garder, mon Esprit, tu te perds.

Je te sens bien esmeu de quelque inquietude,
Quand tu viens à songer à ceste servitude,
Mais ce songe s’estouffe au sommeil de ce corps :
Que si la voix de Dieu te frappe les oreilles,
De ce profond sommeil soudain tu te resveilles :
Mais quand elle a passé soudain tu te r’endors.

Tu surmontes tantost, mais tantost tu succombes,
Tu vas tantost au Ciel, mais tantost tu retombes,
Et le Monde t’enlasse encore en ses destours :
C’est bien plus, car tu crains ce que plus tu dessires,
Ton esperance mesme a pour toy des martyres,
Et bref tu vois Bien, mais tu suis le rebours.

Encore ce peu de temps que tu mets à resoudre
Ton depart de la Terre, un nuage de poudre,
Que tu pousses en l’air enveloppe tes pas :
J’yi bien vu sauteler les bouillons de ton zele,
J’ay vu fendre le vent aux cerveaux de ton aisle,
Mais tu t’es refroidi pour revoler en bas.


Helas ! que cherches-tu dans ces relans abismes
Que tu noircis sans fin des horreurs de tes crimes ?
He ! que tastonnes-tu dans ceste obscurité
Où ta clarté, du vent de Dieu mesme allumee,
Ne pousse que les flots d’une espaisse fumee,
Et contraint à la mort son immortalité ?

Quelle plaine en l’Enfer des ces pointus encombres ?
Quel beau jour en la nuict de ces affreuses ombres ?
Quel doux largue au destroit de tant de vents battu ?
Repren cœur, mon Esprit, repren nouvelle force,
Toy, mouëlle de mon festu perce à travers l’escorce,
Et, vivant, fait mourir l’escorce, et le festu.

Appren même du temps, que tu cerches d’estendre,
Qui coule, qui se perd, & ne te peut attendre,
Tout se haste, & se perd, & coule avec ce Temps :
Ou trouveras-tu donc quelque longue duree ?
Ailleurs mais tu ne peux sans la fin mesuree,
De ton mal, commencer le Bien que tu pretens.

Ton Mal, c’est ta prison, & ta prison encore,
Ce corps dont le souci jour & nuict te devore :
Il faut rompre, il faut rompre en fin ceste prison.
Tu seras lors au calme, au beau jour, à la plaine
Au lieu de tant de vents, tant de nuict, tant de geine,
Qui battent, qui noircist, qui presse ta raison.

O la plaisante Mort qui nous pousse à la vie,
Vie qui ne craint plus d’estre encore ravie !
O le vivre cruel qui craint encor la mort !
Ce vivre est une Mer où le bruyant orage
Nous menace à tous coups d’un assuré naufrage :
Faisons, faisons naufrage, & jettons nous au Port.


Je scays bien, mon Esprit, que cet air, & ceste onde,
Ceste terre, & ce Feu, ce Ciel qui ceint le Monde,
Enfle, abisme, retient, brusle, estaint tes desirs :
Tu vois je ne sçay quoi de plaisant, & aimable
Mais le dessus du Ciel est bien plus estimable,
Et de plaisans amours, & d’aimables plaisirs.

Ces Amours, ces Plaisirs, dont les troupes des Anges
Caressent du grand Dieu les merveilles estranges,
Aux accords raportez de leur diverses voix,
Sont bien d’autres plaisirs, amours d’autre Nature,
Ce que tu vois ici n’en est pas la peinture,
Ne fust-ce rien sinon pour ce que tu le vois.

Invisibles Beautez, Délices invisibles,
Ravissez-moi du creux de ces manoirs horribles,
Fondez-moi ceste chair, & rompez moy ces os :
Il faut passer vers vous a travers mon martyre,
Mon martyre en mourant : car helas ! je desire,
Commencer au travail, & finir au repos.

Mais dispose, mon Dieu, ma tremblante impuissance
A ces pesants fardeaux de ton obeissance :
Si tu veux que je vive encore, je le veux,
Et quoy ? m’envies-tu ton bien que je souhaite ?
Car ce ne m’est que mal que la vie imparfaite,
Qui languit sur la terre, & qui vivroit aux Cieux.

Non, ce ne m’est que mal, ce mal plein d’espérance
Qu’apres les durs ennuis de ma longue souffrance,
Tu m’estendras ta main, mon Dieu, pour me guarir.
Mais tandis que je couve une si belle envie
Puis qu’un bien est le but, & le bout de ma vie,
Appren moy de bien vivre, afin de bien mourir.