La Patrie (p. 106-108).

Dernières fleurs

À la petite Yvette.


Pauvre petite !

Elle était tombée dans le nid bien chaud, un jour gris de novembre, alors que les arbres avaient le frisson de leur dénuement et tordaient leurs bras nus, avec la sombre désespérance des joies flétries ; le vent emportait, dans l’infini, les derniers lambeaux de leur beauté, et sous les pas, bientôt, ne monterait plus la plainte mélancolique des feuilles expirantes. Le ciel oubliait de sourire, le soleil de rayonner, et l’on sentait la tristesse de l’adieu dans le sourd sanglot du fleuve ; ses galets en étaient troublés, et les grèves languissantes… écoutaient cette plainte de l’amant…

C’était le mois où tout s’en va et meurt ; la nature avait ses affres dernières, ces convulsions froides qui la couchent dans un tombeau, pendant que sur elle, avec une caresse, tombe mollement du ciel, le linceul glacé. Cela tombe en tourbillons blancs ; ouate fine, gaze précieuse, perles mates… les yeux en sont tout éblouis, le cœur en est tout glacé.

Elle avait choisi ce mois-là pour venir du ciel dans un flocon de neige, petite âme blanche qui voulait prêter à la vie un de ses sourires, et qui garda toujours la mélancolie de l’exil dans la pureté de son grand œil.

Une toute jeune maman avait tendu les bras. Dans une puissante caresse, elle garda sur son cœur la petite créature d’amour venue en novembre, alors qu’il faisait froid au dehors, et qu’au coin du feu il était si doux de chanter les jolies berceuses avec, dans les bras, un nouvel ange.

Ces mères ! Elles aiment de toute leur âme, il semble que tout est pris de leur amour ; arrive un nouvel enfant, surgit une nouvelle tendresse ! Le cœur s’élargit, quand c’est la mère qui veut un miracle ! Et ce miracle-là, elle le répète à chaque renouvellement de la mousseline du petit berceau…

Les draperies blanches étaient tendues, et du flot de dentelles sourit bientôt la petite arrivante… Ce furent alors des extases sans fin. Maman regardait cette jolie chose, avec la surprise émue qu’a l’enfant devant une superbe poupée ; elle se penchait sur le petit être ; et c’était des caresses et des mots doux empruntés à un vocabulaire secret — termes charmants, dont chaque mère possède le riche trésor, et qui leur montent aux lèvres, tout naturellement, comme le parfum monte des roses ; romance délicieuse dont chaque note est un baiser, chaque mot, un aveu !

Aveux qui se traduisent à toute heure par le plus adorable dévouement ! La mère est une esclave, et elle bénit la chaîne qui la retient au berceau, où vit ce qu’elle aime le plus au monde. Tout se concentre là, pour elle, et chaque enfant est à la vraie mère tout un monde !

Les aimer tant ; leur donner la vie d’abord, — sa vie ensuite — souffrir de leurs douleurs, pleurer de leurs larmes, s’égayer de leurs sourires, dire leurs premiers mots ; rêver leurs futures illusions, vivre pour eux, avec eux et avant eux toute leur vie…

La jolie rose d’amour s’étiole : il lui faut un air plus doux ; elle se courbe, se courbe encore pour chercher le petit coin où il fait bon dormir toujours ; ses blancs pétales s’effeuillent lentement : un souffle plus âpre emporte le dernier… Tout est fini, les anges, comme les fleurs, ne restent pas sur la terre !

Elle est partie, la mignonne de novembre, venue dans le mois du deuil, elle s’en est retournée au temps des lilas ; la nature se fit jolie à son dernier regard, et elle emporta au paradis la senteur des premières floraisons.

Elle dort, ses grands yeux clos ; ses longs cils caressent la blancheur mate des joues, ses petites joues pâlies, mais qui s’animaient, hier encore, du feu des baisers. Ses mains sont jointes en une grâce naïve, et les fleurs s’emmêlent dans les cheveux, se nichent dans la mousseline de la robe, se posent sur l’oreiller ; elle dort sous une pluie odorante, et son sommeil en semble plus doux encore…

Elle dort !… et l’on songe à tant d’espérances flétries… Cette petite est morte sans exhaler une aspiration, sans exprimer un désir ; elle ne vivait que par le rayonnement de ses yeux et le charme de son sourire ; ses lèvres ne savaient pas parler… et elle est morte sans avoir rien dit.

À la lueur tremblante de la veilleuse, la figurine gracieuse était idéalement jolie ; on y avait sculpté l’expression heureuse que l’on retrouve dans les images exquises des maîtres, et Celui qui l’avait fixée sur le fin visage de la petite morte est un grand Artiste !

Elle dort, et si heureuse de dormir ! « Ne faites pas de bruit, afin de ne pas l’éveiller, » et doucement, avec des précautions infinies, mettez sur son front la dernière caresse humaine. Si une larme tombe avec le baiser, ô mère, elle se cristallisera en un pur diamant. À quoi bon étreindre ce petit corps inerte ? On ne doit pas troubler la joie des anges. Vite, couchez-le bien dans le satin blanc, couvrez-le de roses, et rendez-le au ciel !

***

À la jeune mère qui mutila son cœur pour en laisser une part dans la première tombe ouverte sur le chemin de sa vie heureuse, je dédie ces lignes.

« Perdre un enfant, me disait un jour une chère amie avec un long gémissement, rappelant des sanglots, on ne sait pas quelle douleur c’est. »

On ne sait pas !

Mais avec le respect attendri des vraies émotions, inclinons-nous devant ces martyres d’amour, douces femmes qui pleurent plus que leur vie : celle qu’elles ont donnée !