L’Aïeule

À ma Grand’Mère.


L’aïeule ! Le premier sourire qui nous vient sur la terre est celui de ses lèvres, épanouies d’une joie jeune, bouffée de la tendresse ancienne remontant à son cœur, devant ce petit chiffon rose qu’on dépose dans ses bras, et qui lui donne l’illusion d’une seconde maternité. Elle penche sa tête blanche jusqu’au petit être, et le pressant sur sa poitrine, semble vouloir, dans cette étreinte, lui insuffler quelque chose d’elle. C’est une prise de possession complète, dont la maman est toute souriante, éprouvant une infinie douceur de voir se confondre, dans un baiser, les deux pôles de la vie ; elle les unit dans son regard chargé d’amour, et voudrait toujours les garder là : tableau charmant !

La grand’mère se fait l’ange gardien du berceau, elle épie le premier regard de bébé, tressaille à son premier pleur, répond à son premier rire, soutient son premier pas, recueille son premier mot, et quand il dit Grand’mé, elle verse ses plus douces larmes.

Elle passe de longues heures avec Bébé, le berce en lui disant, d’une voix chevrotante, des berceuses qui, jadis, ont endormi papa ou maman, berceuses, dont les mots remontent à ses lèvres sans effort. Elle apprend des contes pour les lui dire, car ceux de son enfance ne sont pas assez nombreux, et Bébé adore les contes. Il est insatiable, répétant toujours : « Encore un, encore un, grand’maman ! » Et la chère vieille, au bout du répertoire, fait voyager son imagination à travers les pays fantastiques, et improvise avec un succès ponctué par les applaudissements de Bébé. Tous deux s’embrassent, aux moments pathétiques, et quand grand’mère parle du loup et du petit chaperon rouge, Bébé s’enfonce dans ses bras en disant d’un ton apeuré : « Il ne viendra pas, hein, Mémère, le méchant loup ? »

Et l’aïeule de resserrer son étreinte pour apaiser le chéri.

Que de belles heures ils passent ainsi tous deux, chèrement unis. Grand’mère a pour horizon les prunelles radieuses de son bambin, et quand le mignon a du chagrin, elle invente mille gâteries pour calmer sa peine. Lorsque Bébé a été méchant, et que maman lui a donné le fouet — oh ! pas fort ! — il vient confier ses ennuis à la chère vieille, qui, partagée entre la raison et le cœur, s’embrouille parfois un peu… et dit d’une voix où tremblent des larmes : « Maman a eu raison de fouetter Bébé, puisqu’il a été méchant. » L’enfant comprend que grand’mère est désolée, et il grimpe jusqu’à son épaule, pour y appuyer sa tête blonde, pendant que les petits bras resserrent le collier au cou de la douce aïeule.

Parfois les forfaits de Bébé appellent la punition en présence de la chère femme ; elle dit alors d’une voix suppliante, au père ou à la mère : « Pauvre petit, il ne le fera plus, » retrouvant les mots de son enfance : « Je ne le ferai plus, » avec la même intonation suppliante.

— Mais, mère, objecte-t-on, vous nous punissiez quand nous étions petits ?

Elle, de se sauver, pour ne pas assister à l’exécution qui lui brise le cœur, mais qu’elle sait juste et inévitable.

Plus tard, les enfants grandissent, et la pauvre chère vieille est souvent délaissée. Mais son affection, ignorant l’égoïsme, se réjouit de toutes les petites joies des chéris. Elle applaudit à leurs succès scolaires ; lit, pour leur faire plaisir, les prix remportés aux examens, — et encore plus tard, regarde leurs amours avec une secrète émotion. Surprise, parfois, du changement des habitudes, elle dira : « Oh ! si nous avions fait cela, dans notre temps ! — Les jeunes filles de mon temps n’étaient pas comme cela ; — de mon temps, les jeunes gens étaient plus aimables, etc., etc. » Au fond du cœur, elle trouve le temps où vivent ses petits-enfants le meilleur des temps !

On constate toujours cette tendresse faible des grands parents ; pourquoi s’en étonner ? Les oisillons qui tombent dans les nids comme une rosée du ciel, ne sont-ils pas la dernière joie de ces vieux dont la vie achève, et qui ont pris à la jeunesse, à l’amour, toutes ces douceurs ? C’est leur vie qu’ils revivent alors : ils se rajeunissent de la fraîcheur de ces printemps, ils aiment avec eux et quand les petits, devenus grands, leur mettront dans les bras de légers paquets ficelés dans les dentelles et les rubans, d’où émergera une petite tête, ils pleureront leurs dernières larmes joyeuses devant cette triple vie : les enfants de leurs enfants !

Qui de nous n’a vu la douce figure d’une aïeule, qui n’évoque ses cheveux blancs, ses yeux bons, sa bouche fine que les rides n’avaient pas brisée ? Qui ne se rappelle ses gâteries, ses soins touchants, ses caresses, ses chansons, ses contes, ses avis, même ses douces gronderies ?

Chère aïeule ! Nous ne saurons jamais vous payer de toute votre tendresse : mais vous nous garderez quand même votre dernier sourire, qui sera une bénédiction.