Préfaces et Manifestes littéraires/L’Art du XVIIIe siècle

G. Charpentier (p. 247-249).

L’ART DU XVIIIe SIÈCLE[1]

PRÉFACE DE L’ÉDITION ORIGINALE


Le livre a été commencé par deux frères, en des années de jeunesse et de bonne santé, avec la confiance de le mener à sa fin. Tout un mois, chaque année, au sortir des noires et mélancoliques études de la vie contemporaine, il était le travail dans lequel se recréait, comme en de riantes vacances, leur goût du temps passé. Et il y avait entre eux deux une émulation pour définir en une phrase, pour faire dire à un mot, le cela presque inexprimable qui est dans un objet d’art. C’était leur livre préféré, le livre qui leur avait donné le plus de mal.

Deux années encore, et l’histoire de l’art français du XVIIIe siècle, dans toutes ses manifestations véritablement françaises, était terminée. Une année allait paraître l’ÉCOLE DE WATTEAU, contenant les biographies de Pater, de Lancret, de Portail, encadrées dans un historique de la domination du Maître pendant tout le siècle. À cet avant-dernier fascicule devait succéder, l’année suivante, un travail général sur la sculpture du temps, où se serait détachée, comme l’expression la plus originale de la sculpture rococo, la petite figure du sculpteur CLODION.

Ces deux années n’ont pas été données à la collaboration des deux frères. Le plus jeune est mort. Le vieux ne se sent pas le courage — et pourquoi ne le dirait-il pas — le talent d’écrire, lui tout seul, les deux études qui manquent au livre. Du reste, s’il s’en croyait capable, un sentiment pieux que comprendront quelques personnes le pousserait, le pousse aujourd’hui à vouloir qu’il en soit de ce livre, ainsi que de la chambre d’un mort bien-aimé, où les choses demeurent telles que les a trouvées la mort.

  1. Édition publiée chaque année par fascicules contenant quatre eaux-fortes gravées par Jules de Goncourt, et imprimés par Perrin à 200 exemplaires. DENTU, libraire-éditeur, 1859-1873.