Préface - De la langue de Corneille

Œuvres de P. Corneille, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxHachettetome XI (p. i-xxxii).
PRÉFACE.

DE
LA LANGUE DE CORNEILLE.

Les poëtes qui passent à la postérité n’y arrivent pas tout entiers ; pour elle les essais, les intentions heureuses ne sont rien : elle n’admet et ne consacre que des résultats.

À ses yeux, Corneille est le père de notre tragédie, celui qui le premier a substitué aux imitations froides et sans vie du théâtre de Sénèque, des chefs-d’œuvre d’action et de style, où les passions humaines se produisent avec leur véritable caractère, leur véritable langage, où le cœur parle et anime tout.

La critique voit dans Corneille plus encore. Né avec le dix-septième siècle, il semble chargé seul de l’immense tâche de constituer toute la littérature de ce temps. Il écrit d’aimables comédies avant Molière ; dans ses Examens, réellement dignes de ce nom, il censure avec bonne foi et ingénuité ses propres ouvrages, ramène toujours aux principes supérieurs de la littérature et de l’art les questions de détail, et devient le législateur de nos écrivains dramatiques, après avoir été leur modèle. On trouve dans ses œuvres des poésies galantes, médiocres, c’est une nécessité du genre, mais moins mauvaises que celles de ses contemporains ; d’excellentes épîtres, telles que l’Excuse à Ariste, qui continuent Régnier en faisant pressentir Boileau ; des panégyriques du Roi, un peu vides, mais où éclatent de temps à autre une vigueur, une énergie fort rares dans les compositions de ce genre ; enfin des poëmes sacrés, qui ne sont point, comme c’est assez l’habitude, le produit d’une pénitence à la fois tardive et précipitée, mais le couronnement d’une vie pieuse, l’hymne suprême d’une âme que la grâce touche et qui n’est accessible ni à d’étroits scrupules, ni à de vaines terreurs.

Certains écrivains croient parvenir à la majesté et à l’éclat par l’étalage des maximes générales. Corneille est bien éloigné de ce défaut. Dans son Discours du Poëme dramatique, il parle en ces termes de la nécessité de « mettre rarement en discours généraux » les sentences et instructions morales : « J’aime mieux faire dire à un acteur, l’amour vous donne beaucoup d’inquiétudes, que, l’amour donne beaucoup d’inquiétudes aux esprits qu’il possède[1]. »

Il applique le même principe au détail du style, et à l’expression la plus étendue il préfère presque toujours le mot particulier, parfois même le terme technique. Il prend possession, au nom de la poésie, du domaine entier de la langue française. Ces richesses, que Ronsard et son école allaient recueillir péniblement dans le grec et dans le latin, il sait les trouver toutes dans notre idiome national ; il met à profit le trésor immense des vocabulaires spéciaux. Il parle avec aisance et justesse de théologie, de chasse, d’art militaire, de broderie, de toutes choses ; les mots qui embarrassent notre prose viennent se placer naturellement dans ses vers. Parfois même, on doit l’avouer, cette facilité d’assimilation l’entraîne un peu plus loin qu’il ne faudrait ; s’il discute, dans ses Discours et ses Examens, contre les disciples outrés et aveugles d’Aristote, il adopte avec eux, et comme tout le monde alors dans le style technique, des termes barbares empruntés au langage de l’école, tels que protase, agnition, catastase, de ces mots que Molière, quelques années plus tard, place dans la bouche de M. Lysidas, et fait railler par Dorante[2] ; enfin il ne sait pas se garantir complètement des expressions des précieuses, qui se montrent, à de longs intervalles, mais d’une manière fort marquée, jusque dans ses tragédies[3].

De tout temps, du reste, les grands poëtes ont parlé, et souvent en maîtres, des sciences et des arts ; et plus d’un savant, plus d’un amateur laborieux, a recueilli dans leurs œuvres des témoignages et des exemples. C’est ainsi que Millin a écrit la Minéralogie homérique ; M. Malgaigne, l’Anatomie et la physiologie d’Homère, sujet que dernièrement M. Daremberg a étendu et complété[4] ; M. Menière, des Études médicales sur quelques poètes anciens et modernes ; M. Jal, le Virgilius nauticus ; M. Castil-Blaze, Molière musicien.

Corneille prêterait aussi à ces ingénieuses recherches : en mainte occasion, il emploie hardiment le mot propre. S’agit-il de l’arrivée des Maures, dans le Cid ? Il nous apprend qu’ils ancrent, tout comme l’eût fait un marinier de Rouen racontant un événement du même genre ; ailleurs il se sert de l’expression prendre port, fort blâmée par Voltaire, qui objecte que ce n’est pas là un mot poétique. Est-il question d’art militaire ? il parle d’ordonner une armée, de quitter la campagne, de décamper, et Voltaire lui reproche encore ces locutions, toujours par le même motif. Scudéry, au contraire, si vain de ses connaissances spéciales, se plaint de ce que Corneille n’a pas écrit dans un style assez rigoureusement technique, et ne lui pardonne pas d’avoir appliqué le mot brigade à une troupe de plus de cinq cents hommes[5] ; par bonheur, Turenne, moins difficile, entendant Sertorius parler de l’assiette du camp, et employer longtemps le langage militaire avec autant de noblesse que de précision, s’écriait tout étonné : « Où donc Corneille a-t-il appris les termes de l’art de la guerre[6] ?» Il les avait appris de diverses manières, par la lecture, par l’étude de l’histoire, plus encore sans doute par la conversation. Ceux qui avaient été à la guerre, ceux surtout qui voulaient passer pour y avoir été, accumulaient à plaisir les mots techniques. Nous avons insisté, dans la Notice du Menteur[7], sur ce travers, très-commun, paraît-il, en ce temps-là, et sur la façon dont Corneille s’en est moqué.

Si Corneille, dans sa réponse aux Observations de Scudéry, affirme avec une bonhomie maligne qu’il n’est pas homme d’éclaircissement[8], il n’en connaît pas moins bien le vocabulaire de l’escrime et les locutions introduites dans la langue par les duellistes. C’est à ces origines qu’il faut rapporter les phrases suivantes : sortir de garde, vider une affaire sur le pré, tomber d’accord sans se mettre en pourpoint, et beaucoup d’autres du même genre.

Le moindre artisan aurait pu, à aussi juste titre que Turenne, s’étonner de l’exactitude technique de Corneille. L’énumération suivante, par exemple, n’est-elle pas de nature à surprendre un charpentier ou un maçon ?

Ce fer a trop de quoi dompter leur violence.
— Oui, mais les feux qu’il jette en sortant de prison
Auroient en un moment embrasé la maison,
Dévoré tout à l’heure ardoises et gouttières,
Faîtes, lattes, chevrons, montants, courbes, filières,
Entretoises, sommiers, colonnes, soliveaux,
Parnes, soles, appuis, jambages, traveteaux,
Portes, grilles, verrous, serrures, tuiles, pierre,
Plomb, fer, plâtre, ciment, peinture, marbre, verre,
Caves, puits, cours, perrons, salles, chambres, greniers,
Offices, cabinets, terrasses, escaliers.
Juge un peu quel désordre aux yeux de ma charmeuse.
(ii, 472 et 473. Illus. 746-757.)

Ici Corneille pousse jusqu’à l’exagération et à la charge l’emploi des termes spéciaux, mais cela indique encore mieux à quel point ils lui sont familiers.

Du reste, dans ses comédies, non content de rechercher ainsi l’exactitude des moindres détails du langage, il apporte un égal soin à la fidélité de la mise en scène, et les amateurs du réalisme au théâtre seraient fondés à invoquer en leur faveur son imposante autorité.

« J’ai… pris ce titre de la Galerie du Palais, dit-il dans l’Examen de cette pièce[9], parce que la promesse de ce spectacle extraordinaire et agréable pour sa naïveté devoit exciter vraisemblablement la curiosité des auditeurs, et ç’a été pour leur plaire plus d’une fois que j’ai fait paroître ce même spectacle à la fin du quatrième acte, où il est entièrement inutile. »

Dans cette pièce, Corneille s’attache à reproduire avec une scrupuleuse exactitude des conversations entre les marchands et les acheteurs :

Voilà du point d’esprit, de Gênes, et d’Espagne.
— Ceci n’est guère bon qu’à des gens de campagne.
— Voyez bien : s’il en est deux pareils dans Paris…
— Ne les vantez point tant, et dites-nous le prix.
— Quand vous aurez choisi. — Que t’en semble, Florice ?
— Ceux-là sont assez beaux, mais de mauvais service ;
En moins de trois savons on ne les connoit plus.
(ii, 23 et 24. Gal. du Pal. 109-115.)


La scène continue, assez froidement il faut le dire, sur ce ton facile, qui, malgré la simplicité du sujet, charmait alors les gens de goût, habitués jusque-là à n’entendre au théâtre qu’un dialogue entièrement dénué de naturel et d’aisance.

On trouve ailleurs, dans la même pièce[10], un long éloge des toiles de soie, alors fort en vogue. Corneille ne manque guère de faire allusion de la sorte aux modes et aux inventions nouvelles ; c’est ainsi que, dans le Menteur, il s’égaye au sujet de la poudre de sympathie, qui devait être encore très-peu connue en France[11].

Lorsque la muse de Corneille aborde les sujets religieux, elle prononce sans hésiter, comme des paroles accoutumées, les mots étranges, mais profondément significatifs, de cet immense vocabulaire que la théologie a mis tant de siècles à constituer. Malgré cette exactitude, qui semblait impossible à la poésie, et où pourtant elle trouve parfois si bien son compte, Corneille regrette d’être obligé de renoncer à certaines expressions consacrées. Il s’en plaint en ces termes dans la Préface de l’Imitation de Jésus-Christ[12] : « Il s’y rencontre des mots si farouches pour nos vers, que j’ai été contraint d’avoir souvent recours à d’autres, qui n’y répondent qu’imparfaitement. »

On est surpris qu’il ait pu encore en apprivoiser autant. Il fait entrer dans ses vers l’espèce du vin et du pain, les espèces visibles, la fraction du pain, le reniement de saint Pierre, la dilection, l’anéantissement de l’âme en présence de Dieu, les substractions de la grâce, les liquéfactions intérieures[13], et une foule d’expressions semblables.

Ce style a ses prérogatives particulières : grâce à lui le poète peut traiter avec une grande hardiesse les questions les plus délicates ; il peut dire, en parlant de Dieu, et en s’adressant à la Vierge, dont il vante « l’adorable intégrité : »

Il entre dans tes flancs, il en sort sans brisure
(ix, 46. Louanges, 715) ;


et personne n’a le droit d’être choqué de ce langage, chaste comme la science, austère comme la foi.

Notre poëte transporte ces mêmes expressions dans ses tragédies chrétiennes. Théodore, par exemple, n’hésite pas à dire :

Je saurai conserver, d’une âme résolue,
À l’époux sans macule une épouse impollue (v, 51. Théod. 780) ;


et ces mots ont paru étranges au théâtre, non pas seulement pour leur forme archaïque et passée d’usage même dans la langue de la dévotion, mais sans doute aussi parce que les critiques n’ont pas voulu comprendre l’intention du poëte et la naïve bonne foi avec laquelle il réglait son style sur son sujet.

Ce goût de Corneille pour le langage particulier de chaque science, de chaque profession, devait le conduire à employer très-souvent dans un sens figuré les termes qu’elles fournissent.

La vénerie, dont notre poëte connaissait aussi fort bien le vocabulaire, comme il l’a prouvé en plus d’un endroit de Clitandre, a donné à notre langue, suivant les curieuses remarques d’Estienne et de Bouhours, un grand nombre d’expressions familières, que Corneille n’a point négligées, telles que : être aux abois, donner dans l’aile, piper, piperie, et cent autres du même genre. Il en est quelques-unes, comme gens attitrés[14], dont la provenance est moins évidente, et qui doivent cependant être rapportées à la même origine. La fauconnerie fournit aussi un contingent considérable ; nous citerons seulement : leurre, débonnaire, entregent[15].

On comprend combien l’habitude de puiser à tant de sources diverses doit influer sur le caractère général des écrits de notre auteur, et surtout quelle variété de ton elle doit produire.

Si les observations que nous venons de faire n’ont pas été inutiles pour nous initier à un des procédés ordinaires du style de notre poëte, elles ne sont pourtant pas de nature, il faut en convenir, à satisfaire notre plus vive et plus légitime curiosité. Quand on étudie Corneille, on songe assez peu à la Galerie du Palais, à l’Illusion comique, voire même à l’Imitation : ce qu’on voudrait surprendre, c’est l’art qui a produit le Cid, Horace, Cinna, Polyeucte, et tant d’autres chefs-d’œuvre ; mais le génie, comme la nature, ne livre pas ses secrets.

Une source coule abondante et limpide, au pied des rochers, sous le feuillage ; ses vertus sont nombreuses et parfois presque opposées : elle rend la force, la santé à ceux qui viennent s’abreuver de son eau ou y plonger leurs membres endoloris. Un chimiste survient, qui l’analyse avec la rigueur la plus scientifique : il en énumère les éléments, leur proportion et leur mélange, dit ce qu’elle contient au juste de soufre, de magnésie, de phosphate de chaux et d’acide carbonique, puis il en compose une toute semblable ; la science n’y aperçoit aucune différence, les malades seuls ne s’y trompent point : l’onde si salutaire n’est plus qu’un remède d’une efficacité contestable. Que manque-t-il donc ? Ce que personne n’est capable de connaître, ce que les savants ne peuvent apprécier, quelque chose de divin et d’insaisissable, ce θεῖόν τι qu’Hippocrate signale dans les maladies, et qui existe aussi dans les remèdes.

Voilà justement l’histoire des écrivains et de leurs commentateurs. Dans un poëme hors de ligne il y a toujours quelque chose qui échappe à l’analyse la plus patiente, et qui ne tient ni au choix artificiel des expressions, ni à la savante construction des phrases : c’est l’accent du cœur, le cri de l’âme même. Lorsqu’une grande passion possède un homme entièrement étranger à l’art de la parole, il trouve parfois de ces mots inattendus qui, dans toute une foule, viennent frapper chaque assistant, et changent les résolutions et les volontés. Les orateurs, les poëtes, quand ils sont agités de semblables mouvements, savent en diriger la force, en augmenter la portée : les expressions, qu’ils cherchent parfois, viennent alors d’elles-mêmes et se subordonnent à la pensée dominante ; le langage s’élève ; la différence des styles, celle des temps même disparaît, et si plusieurs écrivains de date fort diverse rencontrent une idée sublime, ils parlent tous la même langue.

Tenter un parallèle entre Garnier et Corneille ou Racine serait insensé ; mais n’est-il pas fort remarquable qu’il se rapproche parfois d’eux, précisément dans les endroits où ils excellent, et qu’en certaines rencontres il ne se montre pas trop inférieur à leur génie, lui qui n’atteint nulle part à leur talent ?

On trouve dans ses tragédies des morceaux tout près d’être sublimes, auxquels il ne manque pour cela qu’une vivacité, une concision, que Corneille ou Racine ont su donner aux mêmes idées, lorsqu’ils les ont abordées à leur tour.

Voici une confession de foi vive et hardie :

Le Dieu que nous servons est le seul Dieu du monde,
Qui de rien a basti le ciel, la terre et l’onde ;

C’est luy seul qui commande, à la guerre, aux assaus ;
Il n’y à Dieu que luy, tous les autres sont faux.
(Les Iuiſues acte IV, vers 115.)

Corneille a ainsi exprimé les premières idées contenues dans ce passage :

Je n’adore qu’un Dieu, maître de l’univers,
Sous qui tremblent le ciel, la terre, et les enfers.
iii, 564. Pol. 1657 et 1658.)

Quant au dernier trait, il est reproduit d’une manière sublime dans ce vers d’Athalie (acte II, scène vii, vers 686) :

Lui seul est Dieu, Madame, et le vôtre n’est rien.

Nous a vons cité dans nos notes sur Horace un dialogue des Juives où Corneille pourrait bien aussi avoir puisé la première idée de son fameux Qu’il mourût[16].

Si le vieux poëte a été vaincu par ses successeurs, il faut reconnaître néanmoins qu’il a su exprimer de grandes pensées, dans un style simple et tout moderne. Toutefois, chez lui, de telles rencontres sont rares. On trouve souvent dans ses pièces des traits gracieux, de fraîches peintures de la campagne, des paysages calmes et riants ; mais une expression vulgaire, une trivialité vient tout à coup détourner notre attention et troubler notre plaisir. Il manque complètement de cette élévation, de cette dignité soutenue qui forme le fond du langage de la tragédie, et constitue ce que nous appelons en France le style noble.

On ne saurait, du reste, le lui reprocher ; de son temps ce style n’existait pas encore : c’est un produit des plus curieux de notre civilisation et de nos préjugés.

Dire comment le latin rustique des légions a, par son mélange avec les idiomes indigènes, formé les langues néo-latines, et en particulier la nôtre, est une tâche immense que nous n’avons pas à entreprendre ici. Remarquons seulement l’espèce d’unité qui a présidé à la formation de ce langage nouveau, presque exclusivement composé d’éléments populaires, et au-dessus duquel régnait la langue latine, qui conservait son caractère officiel. Celle-ci suffisait aux affaires, aux communications des savants, à la liturgie et aux discours d’apparat ; mais les genres les plus animés et les plus vivants lui échappaient peu à peu. Le théâtre, ou, si l’on veut, les tréteaux improvisés, sur lesquels on représentait les mystères, retentirent bien vite du français substitué au latin, et les spectateurs, rapprochés, malgré l’immense différence des rangs et des conditions sociales, par une commune ignorance, reconnaissaient tous une même langue comme interprète de leurs pensées et de leurs sentiments.

Au seizième siècle, la splendeur des littératures anciennes, subitement révélées, éblouit et charme les esprits ; mais, au lieu d’imiter avec discrétion et mesure, on essaye follement de s’emparer des phrases, des tournures, des mots ; les expressions grecques et latines introduites avant cette époque pour le seul besoin des sciences et par l’intermédiaire des traducteurs, sont alors prodiguées par les poètes. Le français se partage en deux langues parfaitement tranchées : l’ancienne, que tout le monde comprend et parle, et qui, par cela même, est, aux yeux de bien de gens, tout à fait indigne de l’éloquence et de la poésie ; la nouvelle, qui procède du grec et du latin, non plus, comme la première, par un lent travail d’assimilation, mais directement et sans avoir égard à la différence des temps et des habitudes.

Jodelle, qui rompt le premier avec toutes les traditions du théâtre du moyen âge, transporte hardiment dans la tragédie les termes qu’il emprunte aux langues classiques ; c’est là, il est vrai, que ce langage était le moins déplacé. Ces mots transcrits du latin, dont Ronsard s’est plus d’une fois servi si mal à propos en faisant parler les paysans de nos campagnes, choquent moins dans les entretiens des personnages célèbres de l’antiquité. Sauf d’ailleurs quelques passages bien peu nombreux, où, comme nous l’avons vu chez Garnier, la dignité du style naît de l’élévation des sentiments, c’est seulement grâce à ces expressions que les tragiques antérieurs à Corneille rencontrent parfois une certaine grandeur, tendue et boursouflée, mais toute nouvelle dans notre langue. Jodelle savait si bien que c’était surtout cette noblesse un peu emphatique que ses partisans attendaient de lui, qu’au commencement du Prologue de l’Eugène, il croit devoir s’excuser en ces termes de leur donner une comédie.

Assez, assez le Poëte a peu voir
L’humble argument, le comicque deuoir,
Les vers demis, les personnages bas,
Les mœurs repris, à tous ne plaire pas,
Pource qu’aucuns de face sourcilleuse
Ne cherchent point que chose sérieuse.

Du reste, il poursuit encore, dans ce Prologue même, une certaine élévation de style, supérieure au ton de la comédie antique, et sur laquelle il compte pour améliorer notre langue :

Bien que souuent en ceste Comedie
Chaque personne ait la voix plus hardie,

Plus graue aussi qu’on ne permettroit pas
Si l’on suyuoit le Latin pas à pas,
Iuger ne doit quelque seuere en soy
Qu’on ait franchi du comicque la loy.
La langue, encor foiblette de soy mesme,
Ne peut porter vne foihlesse extreme ;
Et puis ceux ci dont on verra l’audace
Sont vn peu plus qu’un’ rude populace,
Au reste tels qu’on les voit entre nous.
Mais, dites-moy, que recueilleriez-vous,
Quel vers, quel ris, quel honneur, et quels mots,
S’on ne voyoit ici que des sabots ?

On se doute du résultat. Le style de cette pièce est un mélange perpétuel d’enflure et de bassesse ; et non-seulement ici Jodelle ne tient point ce qu’il vient de promettre, mais, dans tout son théâtre, il remplace souvent, sans le savoir, par les sabots, le brodequin et même le cothurne. Il croyait élever un monument, et ne faisait qu’amasser des matériaux, dont quelques-uns seulement étaient de nature à être mis en œuvre par ses successeurs.

Corneille sut fort bien distinguer ce qu’il y avait de réellement précieux parmi tant de richesses décevantes, et fit entrer pour jamais dans le vocabulaire tragique un grand nombre d’expressions qui faisaient partie du bagage des poëtes qui l’avaient précédé. Telles sont, par exemple, les suivantes : ma chère âme, le conseil en est pris, détruire quelqu’un, déplorable appliqué aux personnes, amollir pour attendrir, chatouiller, chétif, heureusement employés au figuré, ennui pour chagrin, courage pour cœur, douteux, lorsqu’il est question de l’esprit et de ses incertitudes. Telle est encore cette tournure, tant attaquée par Voltaire, et qui consiste à s’adresser à son âme, à son cœur, à son esprit[17] ; la voici dans les Amours de Ronsard :

Fuyons, mon cœur, fuyons, que mon pied ne s’arreste
Vne heure en cette ville, où par l’ire des Dieux
Sur mes vingt et vn ans le feu de deux beaux yeux
(Souuenir trop amer !) me foudroya la teste.
(Livre I, pièce xvi, vers 1-4.)

On la retrouve dans le passage suivant de Jodelle, avec la locution : pleurez, mes yeux, dont Corneille s’est servi dans le Cid :

Sus donc, esprit, sois soucieux :
Sus donc, sus donc, pleurez, mes yeux ;
Ostez le pouuoir à la bouche
De dire le mal qui me touche. (L’Eugène, acte III, scène iii.)

Il est tout simple qu’on rencontre ainsi dans les ouvrages antérieurs à ceux de nos auteurs classiques la plupart des expressions qu’ils nous ont fait connaître et que nous avons apprises d’eux ; on ne peut s’empêcher toutefois de s’en étonner au premier abord.

À distance un poëte grandit de tout le prestige dont l’entoure son génie ; supérieur à ses prédécesseurs, à ses contemporains, il les fait tous oublier ; on ne les lit plus, on n’ouvre même pas leurs œuvres ; peu à peu on se persuade, sans se le bien expliquer, qu’il a toujours été isolé sur ce piédestal où l’a placé la légitime admiration des siècles, et il passe bientôt pour n’avoir rien puisé nulle part, pour avoir tout créé, tout inventé, jusqu’à la langue qu’on parlait de son temps.

Il n’y a pas d’erreur plus profonde : en pareille matière chacun a son rôle ; les gens de talent, les gens d’esprit inventent souvent des mots, des tours ; les hommes de génie consacrent ceux qui sont bons, en les plaçant dans leurs chefs-d’œuvre.

Au dix-septième siècle d’ailleurs, les créations de ce genre, auxquelles l’habitude nous a rendus indifférents et même inattentifs, étaient une affaire sérieuse, qui avait ses règles, on pourrait presque dire son cérémonial. D’ordinaire c’était dans la conversation, alors assez travaillée pour devenir une œuvre littéraire, assez libre pour conserver une heureuse audace, que s’introduisaient d’abord les nouveautés ; elles passaient ensuite, le plus souvent du moins, dans la prose d’abord, subissaient le contrôle des grammairiens, et n’entraient dans la poésie que lorsqu’elles étaient définitivement reçues ; car si l’on reconnaissait aux poëtes le droit d’user avec discrétion de locutions déjà vieillies, on trouvait avec raison que presque toujours le néologisme enlevait à la fois à leurs vers la noblesse et le naturel.

Vaugelas remarque, dans sa Préfacexi), « qu’il est justement des mots comme des modes. Les sages ne hasardent jamais à faire ni l’un ni l’autre ; mais si quelque téméraire ou quelque bizarre, pour ne lui pas donner un autre nom, en veut bien prendre le hasard, et qu’il soit si heureux qu’un mot, ou qu’une mode qu’il aura inventée, lui réussisse, alors les sages, qui savent qu’il faut parler et s’habiller comme les autres, suivent, non pas, à le bien prendre, ce que le téméraire a inventé, mais ce que l’usage a reçu, et la bizarrerie est égale de vouloir faire des mots et des modes, ou de ne les vouloir pas recevoir après l’approbation publique. »

Molière a trouvé cette comparaison si juste qu’il s’en est emparé, en ayant soin toutefois de la renfermer en quatre vers :

Doit faire des h… Tout homme bien sage
Doit faire des habits ainsi que du langage,

N’y rien trop affecter, et sans empressement
Suivre ce que L’usage y fait de changement.
L’École des maris, acte I, scène i.)

Il observe d’ailleurs fort strictement ce précepte ; jamais il n’invente de mots : désamphitryonner, désosier, on tartufiée, ne peuvent être considérés comme «les néologismes. Ce sont là créations bouffonnes dont les poëtes comiques ont toujours eu l’incontestable privilège. Suivant M. Castil-Blaze, il est vrai, c’est dans le Bourgeois gentilhomme que chanteur a été employé pour la première fois, au lieu de chantre, qui jusqu’alors, dit-il, était seul usité[18] ; mais cette assertion est sans fondement, car si chanteur manque dans la plupart de nos anciens dictionnaires, on le trouve dans la seconde édition des Recherches françoises et italiennes d’Antoine Oudin, en 1643, c’est-à-dire vingt-sept ans avant la première représentation du Bourgeois gentilhomme.

On pourrait du reste, sans crainte, tenir le pari de trouver ainsi un père, ou du moins un parrain, à presque tous les termes que les critiques et les commentateurs ont signalés comme nouveaux dans les œuvres des écrivains éminents.

Moutonnier, indiqué à tort comme étant de la création de la Fontaine, a été trouvé dans Rabelais par M. Génin ; ratte, qui lui est attribué par M. Walckenaer, se rencontre chez Marot ; nivellerie est dans les Recherches italiennes d’Oudin ; bestion, dans les œuvres de Philibert Delorme, et poulaille, partout[19].

Il en est de même en ce qui concerne Corneille. Bouhours, qui avait plus de goût que d’érudition, n’hésite pas, dans ses Doutes sur la langue françoise[20], à le mettre au nombre des inventeurs de mots : « Le public est si jaloux de son autorité qu’il ne veut la partager avec personne ; et c’est peut-être pour cela qu’il rebute d’ordinaire les mots dont un particulier se déclare l’inventeur ou le patron. Témoin l’esclavitude et l’insidieux de M. de Malherbe ; le plumeux de M. Desmarets ; l’impardonnable de M. de Segrais ; l’invaincu et l’offenseur de M. Corneille. »

Le piquant, c’est qu’aucun des mots cités ici par Bouhours n’a été réellement créé par l’auteur auquel il l’attribue ; Ménage, qui se laisse si souvent battre quand il s’agit de questions purement littéraires, triomphe ici sur tous les points. Il établit qu’insidieux est dans Nicot, plumeux dans le baron de Fœneste, et que Malherbe n’a pas fait esclavitude ; enfin, en ce qui touche particulièrement Corneille, il fait observer que l’Académie a justifié l’emploi d’offenseur[21], et que notre poëte n’a fait ni ce mot ni celui d’invaincu[22] : « J’ai bonne mémoire, dit-il, d’avoir lu le premier dans l’Astrée ; et pour le segond, il est dans Nicod[23]. » Nous avons rapporté dans notre Lexique des autorités plus anciennes que celles qu’invoque ici Ménage.

De notre temps on s’est efforcé de nouveau de faire de Corneille un néologue, et cela, suivant toute apparence, afin d’ajouter quelque chose à sa gloire. Voici en quels termes M. Aimé-Martin s’exprime à ce sujet : « C’était peu de dégrossir la langue, il fallait réparer ses pertes ; il fallait plus, il fallait l’élever jusqu’à la poésie et la rendre capable d’exprimer noblement de nobles pensées. Telle était alors sa pauvreté, qu’un poëte n’aurait pu qualifier, sans de longues périphrases, soit le bras qui punit, soit le cœur qui pardonne, soit les disgrâces du sort et de la fortune, soit enfin cette qualité de l’esprit qui fait entreprendre les choses avec une adroite légèreté. Corneille voulant que toutes ces choses pussent se dire d’un mot, il fit punisseur, exorable, infélicité, qui sont restés français, et popularisa dextérité, depuis peu introduit dans la langue. Des circonvolutions interminables étaient également nécessaires pour spécifier un raisonnement qui n’a que l’apparence de la vérité, ou une finesse difficile à démêler, ou un caractère plein de ruses et de déguisements : Corneille créa le mot captieux, qui représente aujourd’hui toutes ces nuances d’idées. Il créa également le mot impénétrable, mot si nécessaire qu’on le croirait aussi vieux que la langue, et qui cependant n’y entra qu’en 1640 ; ainsi, avant Corneille, on n’aurait pu dire : des arbres impénétrables aux rayons du soleil, ou figurément, en se servant de la même expression : les desseins de Dieu sont impénétrables[24]. »

Toutes ces assertions si formelles sont fausses : punisseur se trouve dans les tragédies de Garnier ; exorable, dextérité, impénétrable figurent en 1607 dans le Thresor des deux langues françoise et espagnole de César Oudin ; on rencontre infélicité, dès 1530, dans la Grammaire de Palsgrave ; enfin captieux qualifie le mot projet dans Juvénal des Ursins.

Ces mots loin d’être nouveaux du temps de Corneille, commençaient, pour la plupart, à être oubliés ; ce sont de beaux débris du vocabulaire de la Pléiade, recueillis et habilement mis en œuvre par notre poëte.

Les substantifs en eur tirés de nos verbes, tels qu’offenseur et punisseur ont été créés en grand nombre par les écrivains du seizième siècle ; on les formait alors à volonté. Plusieurs sont définitivement entrés dans notre langue ; beaucoup ont disparu dès les premières années du dix-septième siècle ; d’autres, rarement employés, surprennent encore chaque fois qu’on les entend. Il en est de même de captieux et de la plupart des adjectifs de cette terminaison : tantôt tirés des adjectifs latins en osus, tantôt formés directement sur des substantifs français, ils se montrent parfois tour à tour sous deux formes, comme il arrive pour nuageux et nébuleux ; dans ce cas la première a seule pénétré dans les rangs inférieurs de la société, et Tallemant des Réaux nous raconte, dans une anecdote qu’il est impossible de reproduire ici, combien le président de Chevry[25] trouvait la seconde inquiétante dans la bouche d’une paysanne.

Quant aux réduplicatifs, on les formait, suivant le besoin, soit en parlant soit en écrivant, et il faut tenir singulièrement à donner à Corneille un grand rôle dans la création de notre vocabulaire, pour lui attribuer rapaiser, rembraser, reflatter, etc. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que les verbes composés avec entre, dont notre poëte a fait grand usage, sont fort anciens dans notre langue.

Dans ses notes, M. Aimé-Martin indique un bon nombre de termes comme inventés par Corneille, mais toujours avec aussi peu de fondement ; ainsi éloigner la ville, en parlant d’un vaisseau, est signalé comme vieux dans une excellente remarque de Ménage sur Malherbe, et déceptif se trouve dans Garnier, qui employait aussi déceveur. Ce qu’on aura peine à croire, c’est que penser pris substantivement a passé aussi pour une création de Corneille, tandis que cet emploi des infinitifs remonte aux origines mêmes de la langue.

En voyant les commentateurs les plus estimés de nos auteurs classiques tomber, au sujet de la date des mots, dans de si fréquentes méprises, on se demande avec étonnement ce qui peut les occasionner. La confiance illimitée qu’ils accordent à Nicot doit être considérée comme une des principales causes de leurs erreurs : ils s’imaginent, bien gratuitement, que son Dictionnaire est complet, et tous les mots qu’ils n’y trouvent pas, ils les attribuent à l’auteur qu’ils publient. On ne se rend guère compte des motifs qui ont pu acquérir à ce dictionnaire une si grande autorité ; s’il renferme de curieux renseignements, la nomenclature n’en est pas moins des plus défectueuses, et souvent un mot qui manque à son rang alphabétique se trouve employé dans le cours d’un autre article : c’est, par exemple, ce qui arrive pour captieux, qu’on ne rencontre qu’au mot Subtilité.

Comme les dictionnaires de ce temps sont rédigés avec une absence complète de méthode, on ne saurait en consulter un trop grand nombre ; il existe une foule de lexiques français-anglais, français-italiens, français-espagnols, trop peu connus, trop peu recherchés, et qui pourraient cependant être du plus grand secours. Les principaux sont : en 1599, le Recueil de dictionnaires francoys, espaignols et latins d’Henri Hornkens ; en 1603, le Dictionnaire françois et italien de Pierre Canal ; en 1607, le Thresor des deux langues françoise et espagnolle, par César Oudin ; en 1609, le Thresor des trois langues françoise, italienne et espagnolle, par Hierosme Victor ; en 1611, l’excellent Dictionnaire françois-anglois de Cotgrave, bien plus complet que Nicot ; en 1643, les Recherches françoises et italiennes d’Antoine Oudin. Enfin le curieux Glossaire de Sainte-Palaye, qui n’a été imprimé que jusqu’au mot asseureté[26], mais dont les matériaux, disposés alphabétiquement, sont conservés au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale, offre d’inépuisables ressources pour l’histoire de notre langue.

Il est bien vrai que tous ces lexiques ne suppléent pas à la lecture attentive de nos anciens auteurs, mais du moins ils mettent sur la voie, et empêchent de tomber dans des erreurs aussi graves et aussi nombreuses que celles que nous venons de signaler.

Tandis que les commentateurs de Corneille lui attribuaient des expressions qui, loin d’être nouvelles, commençaient au contraire à vieillir lorsqu’il en a fait usage, ils négligeaient d’en noter quelques autres, rares il est vrai, qu’il peut passer pour avoir voulu introduire le premier dans notre langue. Tel est alfange, mot d’origine arabe, qu’il transcrivait littéralement, en 1664, de l’espagnol, pour le faire entrer dans le Cid à la place du mot épée. Cet essai assez curieux de stricte fidélité historique ne fut pas fort goûté, et bien que Corneille ait constamment maintenu sa nouvelle rédaction, on en revint au théâtre à son premier texte. Le mot Cid, que Corneille avait prudemment accompagné de cette glose poétique :

Cid en leur langue est autant que Seigneur (iii, 170. Cid, 1223),


fut, au contraire, promptement compris et accepté.

Parfois notre poète emprunte à la langue espagnole des tournures et des locutions toutes faites. S’il faut en croire Ménage, la phrase donner la main, darse las manos, pour se promettre mariage, se marier, s’épouser, est de ce nombre[27].

Eu recherchant, chez les contemporains de notre poëte et dans ses propres œuvres, les rares témoignages relatifs aux façons de parler introduites par lui dans la langue, nous avons noté ce passage de la Suite du Menteur, où Corneille signale avec une certaine complaisance un proverbe auquel avait donné lieu sa précédente comédie :

La pièce a réussi, quoique foible de style,
Et d’un nouveau proverbe elle enrichit la ville :
De sorte qu’aujourd’hui presque en tous les quartiers
On dit, quand quelqu’un ment, qu’il revient de Poitiers.
(iv, 305. S. du Ment. 295-298.)


Le fait est curieux, mais il se pourrait bien que ce ne fût là qu’une simple bouffonnerie de Cliton.

Sans parler des vers du Cid que l’on cite à chaque instant, tels que :

La valeur n’attend point le nombre des années…
(iii, 129. Cid, 406),
À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire… (iii, 130. Cid, 434),
… Le combat cessa faute de combattans (iii, 175. Cid, 1328),


ce chef-d’œuvre a donné lieu à un proverbe des plus glorieux pour lui, et Pellisson nous raconte, dans son Histoire de l’Académie, qu’il passa en coutume de dire : « Cela est beau comme le Cid[28]. »

Plus heureux que ses prédécesseurs, Corneille sut constituer ce style noble dont ils avaient le sentiment, mais auquel il ne leur avait pas été donné d’atteindre, et il y parvint sans effort et presque sans travail, simplement, mais avec la simplicité du génie.

Ennemi déclaré, quoi qu’on en ait dit, de toute création de mots, n’admettant ceux de la Pléiade qu’avec un choix habile et surtout des plus discrets, ce fut dans le vocabulaire vraiment national qu’il puisa presque toujours. Il n’est pas rare de lui voir recueillir des termes d’un usage assez peu répandu, oubliés par les lexicographes contemporains, et connaissant bien mieux qu’eux les ressources et l’étendue de notre vocabulaire, il place souvent de la manière la plus heureuse dans ses œuvres tel mot dont on l’a cru l’inventeur, faute de le trouver à son rang alphabétique dans les dictionnaires.

Quant à ses modèles dramatiques, ce n’est pas au théâtre grec qu’il va les demander, il les doit presque tous à l’Espagne, et même lorsqu’il les cherche dans l’antiquité latine, c’est encore, comme il le remarque lui-même[29], aux auteurs de ce pays qu’il a surtout recours. Mais l’ardeur méridionale est constamment tempérée dans ses écrits par la sapience normande ; la vivacité de la passion, unie au calme du bon sens, forme le caractère propre de son génie. C’est là le fond commun que nous retrouvons dans les personnages si divers qu’il a fait parler ; c’est de là que procèdent la majesté familière d’Auguste, la fermeté si mâle et pourtant si attendrie du vieil Horace, le courage ému de Rodrigue, l’héroïsme exalté, et pourtant toujours simple et naturel, de Polyeucte.

Corneille ne court point après le majestueux et le sublime ; il s’étudie généralement à proportionner son langage aux sujets qu’il traite et aux gens qu’il fait parier ; chez lui la noblesse du style dépend surtout de la noblesse des sentiments. Qu’on écoute Maxime et Félix, on se convaincra bien vite que parfois notre poëte abaisse à dessein le style de la tragédie jusqu’au ton le plus vulgaire, de peur d’ennoblir, par l’expression, des pensées qui doivent demeurer viles et abjectes. Dans la comédie, il recherche le langage simple de la bonne compagnie, et il nous apprend lui-même que ce fut là un des principaux motifs du succès de Mélite : « La nouveauté de ce genre de comédie, dont il n’y a point d’exemple en aucune langue, et le style naïf qui faisoit une peinture de la conversation des honnêtes gens, furent sans doute cause de ce bonheur surprenant, qui fit alors tant de bruit[30]. »

Voilà, pour la langue, dans tous les genres qu’il a traités, le premier modèle de notre poëte : la conversation des honnêtes gens ; cette conversation tour à tour grave et enjouée, qui abordait si résolument les sujets religieux, philosophiques, littéraires, et où, comme dans un combat à armes courtoises, la politesse n’excluait la vivacité ni de l’attaque ni de la défense.

Ce précieux secours manquait aux prédécesseurs de Corneille, au milieu de ce seizième siècle si intelligent et si agité, où les vertus, les vices, les ambitions, les talents, le génie, la médiocrité, luttaient pêle-mêle, sans que l’unité ni la mesure existassent nulle part. Mais lorsque Mélite parut, ce langage exquis de la conversation avait déjà eu le temps de se former, sans aucun profit toutefois pour nos auteurs dramatiques, qui écrivaient encore dans le style de convention, le style factice, de l’école de Ronsard. Notre poète comprit le premier, dès son début, l’importance de cet élément nouveau, et il sut s’en servir, non-seulement comme d’un exemple utile pour le langage de la comédie, mais encore comme d’un point de départ pour s’élever à celui de la tragédie, qui, sauf les passages où la passion domine, n’est, à bien prendre, qu’une suite de conversations entre personnages illustres.

Dans les ouvrages de Corneille, le style noble diffère plus du langage ordinaire par l’exclusion de certains mots que par l’emploi fréquent d’expressions sonores et d’élégances convenues. Encore notre poëte se montre-t-il fort sobre d’exclusions, et désirant se renfermer le plus possible dans le vocabulaire courant, il n’en retranche rien qu’à regret. Mais tandis que les esprits sages et justes restreignaient de plus en plus l’usage des termes de Ronsard, l’hôtel de Rambouillet, qui, à bien des égards, avait conservé les traditions de la Pléiade, poursuivait rapidement son travail de proscription sur le fond même de notre langue, avec autant de tranquillité, autant de confiance, que si les mots étranges dont on prétendait l’avoir enrichie eussent été admis définitivement : si bien que le style noble, ainsi travaillé par les écrivains judicieux qui retranchaient les importations maladroites, et par les précieuses qui écartaient avec soin les mots du langage ordinaire, ressemblait fort à cet homme entre deux âges dont les fabulistes nous ont raconté la plaisante mésaventure.

Rien du reste ne serait plus délicat que de dresser définitivement, sans mauvais goût comme sans pruderie, la liste des mots qui ne doivent jamais entrer dans le style noble. L’important est d’en bannir sans retour toute pensée puérile et mesquine. Quand Horace critique ce vers de Furius Bibaculus (livre II, satire v, vers 41) :

Jupiter hibernas caria nive conspuet Alpes,


c’est plus encore parce que l’image n’est pas d’une ampleur suffisante pour l’idée, que pour ce qu’il y a de répugnant dans l’expression.

Nous croyons qu’on peut en dire autant, en notre langue, du passage qui suit et de bien d’autres du même genre :

La tombante tempeste,
Aduersaire à l’orgueil
Escarbouilla leur teste.
Escarbouill(Jodelle, Cléopatre, acte II, chœur.)

Le mot vomir, qui, au sens propre, choque notre délicatesse, peut être au figuré d’une très-grande énergie. Vaugelas l’a bien compris, et il prend dans ses Remarques[31] la défense de cette expression fort mal reçue à la cour, « principalement des dames, à qui un si sale objet est insupportable. » Dans une langue artificiellement formée, comme l’a été, en partie du moins, notre langue littéraire, des circonstances fortuites ont un grand pouvoir ; l’avis des grammairiens est parfois d’un poids immense, et deux lignes de l’un d’entre eux peuvent nous conserver une locution excellente, que l’exemple de nos premiers écrivains n’aurait peut-être pas suffi à sauver.

Par malheur, il est rare que les grammairiens se montrent cléments, et plus d’une fois, d’accord avec les précieuses, ils sont parvenus à bannir des termes tout à fait indispensables. Les étrangers doivent être fort surpris de voir que, dans notre style noble, il est impossible de nommer avec quelque précision les différentes parties du corps. Ventre, dont se servaient les anciens tragiques, est devenu trivial, et Corneille n’aurait pas osé dire comme Jean Heudon :

Entre, lame pointue, … C’est par trop viure :
Entre, lame pointue, en mon ventre, et deliure
Mon corps de son esprit, mon esprit de langueur. (Pyrrhe, acte V.)

On trouve qu’estomac, dont notre poëte se sert souvent, rappelle trop l’idée des phénomènes de la digestion ; poitrine paraissait à certains délicats devoir être évité, parce qu’on dit une poitrine de veau et Vaugelas, qui nous l’a conservé, n’a pas réussi, pendant un temps du moins, à maintenir face, qu’ils attaquaient également ; plus d’un n’a voulu supporter flanc qu’accompagné d’une épithète. Sein s’est alors employé dans un sens fort général pour tenir lieu de la plupart de ces mots qui disparaissaient, mais, par un singulier contraste, il perdait en même temps son acception particulière, qui commençait à sembler un peu libre ; elle choquait surtout au théâtre, et Corneille, qui avait d’abord écrit dans la Veuve :

Vous portez sur le sein un mouchoir fort carré
Vous portez sur le sein un m(Tome I, p. 409, vers 211 var.),


remplaça plus tard sein par gorge, terme plus général et plus vague, qu’il a substitué, dans Médée[32], en parlant d’un dragon, au mot gueule, qu’on trouvait répugnant.

Les poëtes contemporains de Corneille, loin de se permettre l’emploi des termes relatifs aux différentes professions, comme nous avons vu qu’il aimait à le faire, évitaient, au contraire, avec le plus grand soin, tout mot qui avait, dans une science quelconque, une acception technique et particulière, et nous apprenons de Vaugelas et de Ménage[33] que futur, même employé adjectivement, était, dans la prose, banni du beau langage, comme sentant le notaire et le grammairien. On a évite de même les expressions qui rappelaient les noms des contrats, des conventions d’affaires. Ménage a beau dire, dans ses notes sur Malherbe, que ceux qui blâment loyer pour récompense sont trop délicats ; malgré l’emploi excellent que Corneille a souvent fait de ce mot, il est devenu bien rare, ainsi que congé dans le sens général de permission. Les termes qui, par une seule de leurs acceptions, faisaient penser aux détails du ménage, étaient encore bannis plus rigoureusement. Vers le milieu du dix-septième siècle, un amant qui, au lieu de déclarer sa flamme, eût parlé de sa braise, aurait été sans doute fort mal accueilli, quoique Corneille n’ait pas hésité, dans ses premières pièces, à se servir de cette expression, et que tous les mots qui ont la même origine, tels qu’embraser, embrasement, brasier, soient, même maintenant, du haut style. C’est un motif analogue qui a porté à exclure de la langue bouillons, au figuré, quoique on dise encore bouillonner, et qui a fait critiquer vivement l’expression passer l’éponge, employée par notre poëte, dans la tragédie, d’une manière fort heureuse.

On ne voit pas que tant d’entraves aient beaucoup gêné le premier élan du style de Corneille. Les critiques survenant, il lui arrivait d’effacer et de retoucher, mais il n’allait guère de lui-même au-devant des objections, et continuait toujours à faire parler ses personnages avec autant d’aisance et de naturel.

Il en résulte assurément quelques trivialités, relevées dans notre Lexique, et parmi lesquelles nous pouvons citer ici, comme exemples, cajoler, tâter pour éprouver, pousser à bout, prendre en traître, tomber des nues, se moquer de, faire pester, avoir la larme à l’œil, avoir sur les bras, bonace, charogne, crachat, chiche, en colère, le cœur gros de soupirs, crève-cœur, ébahi, être aux écoutes, soûler. Remarquons toutefois que ces expressions n’ont pas été blâmées par les contemporains ; plusieurs d’entre elles peuvent fort bien n’être devenues trop familières qu’assez tard. Quelques-unes, comme pousser à bout, le cœur gros de soupirs, se retrouvent chez Racine[34] ; parfois aussi celles qu’on rencontre chez ce dernier poëte, si elles ne sont pas identiques, sont du moins équivalentes.

D’ailleurs, si le style de Corneille n’a pas cette élévation continue que certains écrivains ont regardée comme une condition essentielle de la tragédie, on en est bien dédommagé par un grand nombre d’expressions de la plus énergique simplicité[35].

En le lisant, on est surpris et attristé des pertes que notre langue a faites[36]. Les mots qui depuis son temps ont vieilli et qui sont maintenant hors d’usage sont extrêmement nombreux, quoiqu’il n’ait jamais recherché les archaïsmes, et qu’il se soit toujours efforcé, au contraire, comme le veut tout particulièrement le genre dramatique, de se conformer le plus fidèlement possible au langage de son époque. Certains de ces termes surannés figurent seulement dans ses premières pièces : il en est d’autres qu’il n’a pas même laissés subsister là et qu’il a fait disparaître dans ses dernières éditions.

Quelques expressions, encore employées aujourd’hui, mais qui se sont affaiblies et altérées par l’usage, comme les monnaies par la circulation et le frottement, demandent un peu plus d’attention. Abîmer, après avoir signifié précipiter dans un abîme, veut dire simplement, gâter, endommager, salir ; chagrin, déplaisir, être fâché, en colère, en fureur, ont tant perdu de leur valeur, à force de servir à exprimer la contrariété la plus légère, qu’ils ne peuvent plus guère trouver place dans le haut style ; il en est de même de méchant, au sens général de mauvais, de mutin, mutinerie, prodigués pour la moindre faute commise par un enfant. Mélancolie se disait en médecine du délire d’une personne tourmentée par une grande abondance de bile noire, et au figuré du chagrin le plus vif, le plus exclusif ; il est resté noble, n’a nullement vieilli, et on le prodiguait, il n’y a pas longtemps, dans certains ouvrages alors à la mode ; mais c’était pour exprimer un état qu’on ne peut pas nommer douloureux, une tristesse vague, ou plutôt un simple penchant à la tristesse, qui n’exclut ni la vie du monde, ni les distractions, ni les plaisirs, au milieu desquels on se contente de porter un visage quelque peu assombri.

Ennui, qui s’appliquait pendant le cours du dix-septième siècle aux chagrins qui s’emparent de l’âme tout entière, n’est plus aujourd’hui en usage que pour exprimer l’état produit par une contrariété légère ou par l’absence d’occupation ; et gêne, qui, au propre, désignait les tourments de l’enfer, et par suite les plus violentes douleurs morales, ne se dit plus que de la souffrance que cause une chaussure trop juste, un vêtement mal fait, ou tout au plus un manque de fortune encore fort éloigné de l’indigence. C’est incommodé qu’on employait en ce dernier sens du temps de Corneille ; il convenait alors aussi bien au peu de richesse qu’au peu de santé ; par une conséquence naturelle, on se servait d’accommodé en parlant d’une personne dans l’aisance.

Beaucoup de mots, qui du temps de Corneille se pliaient à plusieurs significations, se sont, de la façon la plus bizarre, immobilisés et pétrifiés, si l’on ose le dire, dans des sens étroits et restreints : succès, par exemple, s’employait fort bien de la façon la plus générale, sans rien préjuger quant à la nature du résultat, tandis que succéder, pris absolument, signifiait souvent réussir, ce qui n’a plus lieu. Plusieurs termes, dont nous n’avons conservé que des acceptions fort détournées, paraissent encore à cette époque dans toute leur énergie étymologique : stupide, stupidité expriment la stupeur, plutôt encore que la lourdeur d’esprit, que le manque d’intelligence ; imbécile signifie faible, plus fréquemment que sot ; secrétaire se dit fort bien pour confident ; ressentiment, redite, guindé, et même divaguer, se rencontrent dans un sens favorable ; procurer, au contraire, se prend souvent en mauvaise part ; le divorce n’est pas seulement la rupture du mariage, mais une séparation quelconque ; le mot génie exprime le caractère propre, le naturel de chacun, et n’est pas exclusivement réservé aux intelligences créatrices ; la préoccupation est souvent l’état d’un esprit occupé d’avance par un autre sujet que celui qu’on veut lui proposer, et non pas d’un esprit distrait ; rabaisser, c’est parfois abaisser de nouveau, et non dénigrer ; idée ne signifie fréquemment qu’image ; hôtesse a un sens réciproque qui s’applique aussi bien à celle qui est reçue qu’à celle qui reçoit ; divertir, comme distraire, c’est détourner d’une pensée dominante : le sens d’amuser n’est que secondaire et accessoire ; se rafraîchir ne signifie pas seulement prendre des rafraîchissements, mais aussi se reposer ; monument se dit surtout d’une construction destinée à rappeler le souvenir de quelqu’un, d’un sépulcre, d’un tombeau.

Certains mots ne s’appliquent qu’aux personnes, d’autres ne se disent que des choses. Corneille n’a pas observé toutes ces distinctions, ou plutôt, pour bien des termes, elles n’existaient pas alors. Il n’a pas hésité à employer les expressions suivantes : « des vœux, des desirs contents, des événements dénaturés, prince déplorable, ennemi pompeux, l’empressement d’une affaire, accabler un vaisseau, dépayser un sujet de pièce, héros miraculeux, suborner des pleurs[37]. »

On retrouve souvent avec plaisir, dans toute la force de leur sens primitif, des termes que nous ne prenons plus qu’au figuré, ou qui n’ont été conservés que dans les vocabulaires spéciaux des arts ou des sciences : débiliter, qui aujourd’hui ne se dit guère qu’en médecine, était alors du langage ordinaire ; captiver, ravi s’employaient souvent au propre. D’un autre côté, beaucoup d’expressions qu’on n’oserait plus prendre au figuré étaient hasardées par notre poète : dans son hardi langage, étaler tout Pompée aux yeux des assassins, c’est leur faire connaître la grande âme du héros ; il se sert du mot bouche en parlant d’une plaie ; de support dans le sens où nous employons appui ; de secret pour ressort : « le secret a joué[38] ; » de remplace, de véhicule, de sucre, dans des acceptions métaphoriques, qui, il est vrai, ne nous semblent pas irréprochables, mais seulement parce que l’usage ne les a pas consacrées.

Faire rendre aux mots tout ce qu’ils peuvent donner, en varier habilement les acceptions et les nuances, les ramener à leur origine, les retremper fréquemment à leur source étymologique, constituait un des secrets principaux des grands écrivains du dix-septième siècle. Un de leurs prédécesseurs avait du reste donné d’admirables exemples de cette manière d’écrire et en avait même ainsi exprimé la règle fondamentale : « Le maniement et employte des beaux esprits, dit Montaigne, donne prix à la langue, non pas l’innouant, tant comme la remplissant de plus vigoreux et diuers seruices, l’estirant et ployant[39]. »

L’oubli de ce précepte a fortement contribué à faire naître le néologisme. Quand on n’a plus su profiter des richesses que fournit notre langue, on l’a crue pauvre ; on a voulu l’enrichir. Par malheur, au lieu d’en creuser le fond plus avant et d’en étendre le domaine, on l’a surchargée sans besoin d’ornements d’emprunt, et l’amour de la nouveauté qui, bien dirigé, tendait de plus en plus du temps de Corneille à rapprocher les poëtes du génie propre à notre idiome, est précisément ce qui les en éloigne aujourd’hui.

Rien ne serait si facile, comme on l’a remarqué plus d’une fois, que de suivre dans le théâtre de Corneille le progrès des mœurs publiques ou du moins des convenances extérieures. Plus chaste, dès son début, que la plupart des poëtes dramatiques de son temps, il avait néanmoins écrit dans ses premières pièces, et notamment dans Clitandre, certaines scènes qu’il retrancha soigneusement plus tard, comme ne répondant pas à la dignité qu’il avait su donner à la comédie, et dont il s’applaudit avec un si juste orgueil à la fin de l’Illusion comique. Plusieurs des mots dont notre auteur s’est servi dans ses premiers ouvrages suffiraient à eux seuls pour témoigner de la licence du théâtre au moment où il les écrivait : il parle de maîtresse engrossée, de fille forcée, sans chercher à adoucir par le choix de l’expression ce que l’idée a de choquant. Il faut reconnaître néanmoins que certaines de ces libertés de langage témoignent plutôt de la simplicité des mœurs de cette époque que de leur corruption ; les jeunes filles traitent ouvertement d’amants ceux qui les courtisent, elles les tutoient jusque dans Horace et le Menteur, sans que cela excite un sourire ; l’expression faire une maîtresse, que nous voyons employée par Corneille, même dans la tragédie, s’applique à une recherche honorable, et ne sent nullement le libertinage. Ce dernier mot et celui de libertin n’avaient pas le même sens que nous leur donnons aujourd’hui : ils désignaient seulement une certaine indépendance, une liberté plus ou moins grande dans la manière de penser ou d’écrire ; notre auteur ne les emploie que comme termes de poétique. Le vocabulaire de la galanterie était dès lors très-étendu et très-raffiné. Ce n’est pas Bélise qui a inventé d’appeler les yeux des truchements ; cette expression paraît dans Mélite et se trouve encore dans Suréna ; quant au mot objet, on le rencontre à chaque instant, non-seulement pour signifier la personne aimée elle-même, mais pour désigner son apparence extérieure, son aspect, son image :

— Hélas ! c’est m… Angélique est fort dans ta pensée.
— Hélas ! c’est mon malheur ; son objet trop charmant,
Quoi que je puisse faire, y règne absolument.
Quoi que je puisse faire, y règ(ii, 232. Pl. roy. 182-184.)

Ces termes viennent pour la plupart de l’Astrée, où on lit aussi particulariser une personne, en faire sa particulière dame, tournure qui sans doute a donné naissance à l’expression ma particulière, encore fort en usage, tout au moins dans nos régiments.

Non content de se servir de ces mots dans la comédie, Corneille en place plus d’un dans la bouche des personnages de l’antiquité. Il en fait autant, comme en général ses contemporains, pour les formules habituelles de la politesse de son temps, qu’il introduit, sans y prendre garde, dans ses tragédies : il y est question de civilités, d’incivilité, de compliments, de visites ; on y parle de la condition des personnages, et on les appelle constamment Monsieur, Madame, Seigneur. Corneille cependant a été moins loin dans cette voie que ses prédécesseurs ; dans les Juives de Garnier, Amital dit à Nabuchodonosor (acte III, vers 72) :

Las ! n’est-ce rien souffrir quand vn royaume on perd ?
Sire, Dieu vous en garde !…


Il est peu de titres honorifiques qu’on n’ait ainsi transportés dans les temps anciens.

On n’est pas moins surpris de voir dans Mélite, par une bizarrerie toute contraire, Éraste qui, pendant un accès de folie, se croit poursuivi par toutes les divinités infernales, et invoque les Dieux comme un païen pourrait le faire ; mais c’était encore là une tradition, trop fidèlement suivie par Corneille. Dans l’Eugène de Jodelle, le principal personnage n’agit pas autrement (acte III, scène ii)) :

Ô Iupiter ! que sommes-nous ?
Pouuons-nous rien de nous promettre ?


s’écrie-t-il dans un moment d’abattement, soit que les poëtes d’alors aient contracté cette habitude par la traduction des auteurs profanes, soit qu’elle ait eu une sorte de fondement réel, et qu’à cette époque, dans une société imbue de la connaissance de l’antiquité, les expressions par Jupiter, par les Dieux, aient eu effectivement cours dans la conversation, précisément pour éviter des jurements plus en rapport avec nos croyances, et par cela même plus répréhensibles.

Les mots qui désignent les différentes classes et catégories de personnes méritent attention. Quant à la forme, ils sont les mêmes qu’aujourd’hui ; mais quant à la signification, ils sont entièrement différents. C’est en pareil cas surtout qu’il importe d’oublier ce que l’on sait, et de ne juger du sens d’une expression que par celui de la phrase entière. Rien ne trompe davantage les Français médiocrement lettrés, persuadés bien gratuitement qu’ils connaissent leur langue, et plus déroutés souvent que les étrangers qui doutent et cherchent.

Au dix-septième siècle, pour être honnête homme la probité ne suffisait pas ; on dirait même que c’était, à tout prendre, la moins nécessaire des qualités requises : on devait d’abord être du monde, c’est-à-dire en connaître le ton et le langage ; puis avoir de l’esprit, de la grâce, de la tournure ; enfin répondre à un idéal que bien des contemporains se sont efforcés de définir, mais dont ils n’ont jamais su nous indiquer que les traits principaux.

Les gens de lettres formaient une classe toute nouvelle, qui n’était généralement désignée sous ce nom que depuis peu de temps, bien qu’il paraisse déjà dans les Commentaires de Blaise de Montluc. Les jeunes gens qui fréquentaient les cours des écoles ne s’intitulaient pas étudiants, et souffraient qu’on les appelât écoliers. Le mot artisan était appliqué par la Fontaine aux peintres, par Boileau aux sculpteurs, par Corneille aux poëtes ; et le terme d’ouvrier se disait alors fort bien d’une personne à laquelle on accorderait aujourd’hui sans conteste le titre d’artiste. Les marchands parlaient de leur chalandise, et le désir d’employer des expressions plus relevées ne devait pas de sitôt leur suggérer la ridicule pensée de se servir des mots de clientèle et de clients, et de se faire ainsi les patrons de leurs acheteurs.

Quelques termes d’ajustements qu’on trouve dans Corneille pourraient embarrasser un instant. Nous les avons expliqués dans le Lexique : le tapabord était une sorte de chapeau employé sur mer et en voyage ; la petite-oie, une garniture d’habit ; le galant, un nœud de ruban ; du reste il suffit de lire la dernière scène des Mots à la mode de Boursault, pour se convaincre que certaines parties du costume des femmes portaient parfois des noms encore beaucoup plus singuliers.

Ce n’est pas seulement sur les dénominations de ce genre que la mode exerçait son empire ; elle changeait tout à coup la signification d’un terme étranger à son domaine et datant des origines mêmes de la langue. Jadis le mot viande s’appliquait à toute espèce d’aliments ; mais à la fin du seizième siècle, la cour, comme nous l’apprend Nicot, introduisit la coutume d’en limiter la signification, et de la restreindre à la nourriture animale, désignée jusqu’alors par le mot chair ; Corneille et nos autres grands écrivains tentèrent vainement de lui maintenir un sens plus large : le caprice l’emporta sur la raison.

Si l’examen des œuvres de Corneille facilite singulièrement l’étude de la formation du style noble et la connaissance des acceptions particulières de certains mots pendant le cours du dix-septième siècle, il jette aussi beaucoup de jour sur l’histoire chronologique de nos règles grammaticales.

Depuis 1629, date fort probable de Mélite, jusqu’à 1674, époque de la première représentation de Suréna, de profonds changements eurent lieu dans la langue, et l’histoire de la carrière dramatique de notre poëte coïncide admirablement avec celle de la constitution définitive du Français moderne : l’étude du sens des mots et de la nature des règles qui doivent les régir occupait les savants, défrayait les conversations des ruelles, et se faisait place, jusque dans les lettres galantes, entre une déclaration et un madrigal. Au milieu de tant de doutes, de questions, de remarques, de décisions, d’arrêts, la langue marchait si vite que les travaux d’érudition ne pouvaient la suivre. L’Académie fut obligée, avant de publier son Dictionnaire, d’en modifier entièrement les premières lettres, tant l’usage avait changé pendant qu’elle le rédigeait ; et Vaugelas récrivit plusieurs fois sa traduction de Quinte-Curce : nous ne la possédons, par malheur, que sous sa forme définitive, et l’on ignore le sort du manuscrit original, qui nous ferait connaître les scrupules et les préférences du savant grammairien.

Pressés de profiter de l’à-propos et des circonstances, les poëtes dramatiques ne pouvaient ainsi revoir leurs écrits à loisir avant la publication ; mais ceux qui, comme Corneille, parcourent glorieusement une longue carrière, ont tout le temps de revenir sur leurs ouvrages de jeunesse et d’en faire disparaître les expressions hors d’usage. Il ne manqua point d’agir ainsi : chaque édition nouvelle était pour lui une occasion de corrections et de retouches. Mais celle de 1660 est surtout remarquable à cet égard : c’est là qu’il arrête à peu près définitivement son texte, et que, désormais fixé sur les règles de la poétique, il nous donne pour la première fois les admirables Examens où il critique ses propres œuvres avec tant de franchise, et les Discours où il discute les principes mêmes de l’art. Dans celui qui est consacré aux trois unités, il dit, en parlant de la nécessité de la liaison des scènes : « Ce qui n’étoit point une règle autrefois l’est devenu maintenant par l’assiduité de la pratique[40]. » Cette remarque s’appliquerait fort bien aux préceptes de la grammaire : la plupart des points en litige avaient été décidés ; les genres des noms commençaient à se fixer ; les diverses parties du discours, mieux définies, ne s’employaient plus aussi facilement les unes pour les autres ; la syntaxe avait des principes plus sûrs et plus uniformes.

Vaugelas rédigea le premier ces règles nouvelles, et il eut d’autant moins de peine à les faire adopter qu’elles n’étaient que les simples résultats de l’usage le plus général, habilement mis en rapport avec le génie de notre langue. Ce travail si important fut présenté au public de la façon la plus simple, la plus modeste, sans aucun appareil d’érudition, sans la moindre prétention philosophique. Cela devait plaire à Corneille, qui attacha, en effet, une grande importance à ce livre. Il ne nous le dit point, mais il est facile de voir que les Remarques, publiées en 1647, ont été son principal guide dans les révisions entreprises par lui depuis cette époque. Presque partout il se conforme aux arrêts de l’habile grammairien ; et, lorsqu’il a l’intention de les suivre, s’il arrive qu’une expression souvent répétée se trouve, en certains endroits, engagée trop avant dans le tissu même de l’œuvre, et ne puisse être enlevée sans endommager l’ensemble ou sans entraîner de graves modifications, il la retranche du moins partout où il peut le faire facilement, afin que, moins fréquemment employée, elle puisse passer presque inaperçue.

Un des travers de notre temps est de faire la part trop grande à l’inspiration. Nous sommes portés à nous représenter Corneille comme un génie des plus indépendants, indomptable, audacieux, inégal, s’abandonnant sans préoccupation et sans réserve à son enthousiasme poétique. Rien n’est plus éloigné de la vérité : peu confiant en lui-même, il avait un fréquent besoin d’aide et de conseil ; plus d’une fois la veine stérile de Pierre réclamait une rime à la banale facilité de Thomas ; souvent notre poëte, timide outre mesure et trop docile à la critique, affaiblissait un vers pour en faire disparaître une légère incorrection, et tout prouve que la puissante originalité de son style est due à la profondeur et à l’éclat de la pensée bien plus qu’à une manière individuelle, à une façon d’écrire tellement indépendante qu’elle refuse de se soumettre aux règles généralement adoptées.

Les bizarreries qu’on peut noter dans les ouvrages de Corneille se retrouvent chez la plupart de ses contemporains. L’une des plus étranges pour nous, mais des plus ordinaires alors, était l’usage de franciser la plupart des noms propres. Il n’hésite pas à dire Mome, Pyrrhe, Brute, Crasse, au lieu de Momus, Pyrrhus, Brutus, Crassus. Cela peut surprendre au premier aspect, mais la surprise cesse, ou du moins nous nous expliquons sans peine que Corneille parle ainsi, quand nous apprenons par les Remarques de Vaugelas et les Observations de Ménage combien on a été divisé à ce sujet, et que nous trouvons dans ces ouvrages de grammaire ces mêmes noms que nous venons de rapporter[41]. On en peut dire autant de la plupart des autres anomalies (anomalies à notre point de vue) que nous avons relevées dans notre Lexique. Nous avons presque toujours pu y joindre des exemples d’écrivains antérieurs ou contemporains qui prouvent que notre poëte se conformait très-scrupuleusement à l’usage le plus général.

Nous ne pousserons pas plus loin cette étude sur la langue de Corneille, car, pour la développer et l’étendre, il faudrait ou empiéter sur le Lexique, dont elle ne doit être que la préface et l’analyse, ou aborder l’appréciation, non pas seulement de la langue, mais du style de Corneille, sur lequel on a depuis longtemps tout dit, et si bien. D’ailleurs, à voir soutenir, à l’occasion du même écrivain, des opinions si diverses, parfois même si contradictoires, on se sent pris d’un tel scepticisme littéraire et d’un si grand découragement, qu’on se borne volontiers aux humbles recherches grammaticales, et que, même sur ce terrain, on s’écarte le moins qu’on peut de l’observation des faits.

En commençant notre Lexique, nous voulions entreprendre de tout expliquer, résoudre toutes les objections, relever toutes les méprises des commentateurs ; mais nous nous sommes peu à peu convaincu que cela n’était point nécessaire, et que notre tâche était plus facile ; que d’ordinaire la réunion des divers exemples, groupés sous un même mot et confirmés au besoin par des passages empruntés aux prédécesseurs et aux contemporains de Corneille, répondait assez aux attaques injustes, et qu’elle pouvait souvent tenir lieu de toute autre explication. Nous conservions encore cependant quelques scrupules au sujet de cette méthode : l’Avertissement du Dictionnaire historique de la langue française, entrepris par l’Académie, les a fait disparaître.

Grâce à ce procédé, le plus simple, et, en pareille matière, le plus scientifique, bien des tours et des emplois de mots reprochés à nos auteurs classiques, et considérés à tort comme des exceptions et des licences, témoignent, par leur nombre même, d’un usage fréquemment répété, dont il est facile de déduire des règles différentes des nôtres, mais souvent plus logiques, et appliquées d’une façon aussi sûre que constante.

Après des études de ce genre faites sur nos principaux écrivains, on possédera les matériaux nécessaires pour entreprendre une véritable grammaire française historique, remontant aux origines mêmes de la langue, indiquant les habitudes diverses de ceux qui l’ont successivement écrite et y ont fait autorité, signalant l’époque où ces habitudes deviennent des règles, le court instant où les grammairiens et les auteurs paraissent d’accord, et les circonstances qui rompent cette passagère harmonie : œuvre immense par les travaux qu’elle demanderait, mais aussi par ses conséquences ; où les principes généraux, présentés au début, répandraient sur tout le livre une heureuse clarté, où les opinions les plus diverses, les plus contradictoires, les archaïsmes du peuple et les scrupules des délicats, trouveraient leur éclaircissement et leur conciliation, à l’aide d’études chronologiques, donnant, sur certains points, tort à tous en général, et raison à chacun à un certain moment et à une date déterminée ; œuvre dans laquelle aussi, comme conclusion et comme résultat définitif, on chercherait à établir les règles du langage moderne, strictes et rigoureuses pour tout ce qui n’admet ni la passion ni la fantaisie, plus flexibles et plus larges pour la conversation et la correspondance, et surtout pour l’orateur et le poëte, qu’elles doivent guider sans jamais l’assujettir servilement.

P. S. La préface qui précède est celle qui se trouvait en tête du Lexique que nous avons présenté à l’Académie ; elle a été imprimée textuellement d’après notre manuscrit dans le tome II de la 5e série de la Bibliothèque de l École des chartes. Nous l’avons revue et retouchée avec soin avant de la reproduire ici, et nous en avons supprimé les parties qui, d’après le plan général de notre édition, avaient dû forcément trouver leur place ailleurs.

En établissant le texte de Corneille, nous avons eu souvent l’occasion de rectifier ou de compléter notre Lexique : certains mots qui ne provenaient que de mauvaises lectures ont disparu, et réciproquement d’autres, que la constitution du texte d’après les sources nous faisait connaître pour la première fois, ont dû y être recueillis[42]. Nous avons puisé dans le Lexique de l’un de nos concurrents, M. Godefroy, plus d’un exemple négligé dans notre premier travail, et que nom ajoutons à celui-ci après une scrupuleuse et nécessaire vérification. Le Dictionnaire de M. Littré nous a, en mainte occasion, présenté des secours du même genre. Enfin nous sommes redevable à M. Régnier d’un grand nombre de passages curieux, recueillis par lui pendant le cours de la publication des Œuvres de Corneille. Du reste l’obligation que nous lui avons en cette circonstance, tout importante qu’elle est, demeure encore une des moindres de toutes celles que nous avons contractées envers lui pour son précieux concours et ses excellents conseils[43].


  1. Tome I, p. 18.
  2. Voyez la Critique de l’École des femmes, scène vii.
  3. Voyez particulièrement au tome VI, p. 111 et suivantes.
  4. Dans l’ouvrage intitulé la Médecine dans Homère, Paris, 1865, in-8o.
  5. Voyez, au tome II du Lexique, l’Appendice, p. 460, et à la page 496, la réponse de l’Académie à cette critique de Scudéry.
  6. Voyez la Notice de Sertorius, au tome IV, p. 354.
  7. Voyez tome IV, p. 120-122. — On peut ajouter aux rapprochements que nous avons faits en cet endroit ces vers de Joachim du Bellay :
     
    Ce sont beaux motz que brauade,
    Soldat, cargue, camyzade,
    Auec’ vng braue san-dieu…
    C’est pour faire vng Demi-dieu
    (Discours sur la louange de la vertu, à Salmon Macrin, tome II, p. 40 de mon édition) ;


    et ce passage de la Muse historique, où Loret nous peint les bourgeois de la Fronde de retour chez eux après un combat :

    Ensuite, étant dans leurs familles,
    Avec leurs femmes et leurs filles,
    Ils ne disoient parmi les pots
    Que mots de guerre à tous propos :
    Bombarde, canon, coulevrine,
    Demy-lune, rampart, courtine,
    Poste, terre-plein, bastion,
    Lignes, circonvallation,
    Mon tire-bourre, mon écharpe,
    Le parapet, la contrescarpe,
    Et d’autres tels mots triomphants
    Qui faisoient peur à leurs enfants.
    (Tome I, p. 243, édition de M. Ravenel.)

  8. Tome X, p. 404 ; voyez aussi la note 4 de la page indiquée.
  9. Tome II, p. 12.
  10. Tome II, p. 21, vers 78 et suivants.
  11. Voyez tome IV, p. 204, note 1.
  12. Tome VIII, p. 10.
  13. Voyez le Lexique, à ces divers mots.
  14. Voyez au tome I du Lexique, p. 88, la fin de l’article Attitré.
  15. Voyez au tome I du Lexique, p. 258 et p. 376, et au tome II, p. 50.
  16. Voyez tome III, p. 325, note a.
  17. Voyez, au tome II du Lexique, Yl’Appendice, p. 457 et p. 487.
  18. Molière musicien, Paris, 1852, tome II, p. 34.
  19. Voyez notre Essai sur la langue de la Fontaine.
  20. Page 50.
  21. Voyez, au tome II du Lexique, l’Appendice, p. 487.
  22. Cela n’a pas empêché M. Victor Hugo de dire : « Plusieurs ont créé des mois dans la langue. Vaugelas a fait pudeur, Corneille invaincu, Richelieu généralissime. » (Littérature et philosophie mêlées, Paris, Charpentier, 1842, p. 163.) Remarquons en passant que Vaugelas, loin d’avoir créé pudeur, en a attribué la création à des Portes (Remarques, p. 538), et qu’ainsi que l’a fait observer M. Littré, généralissime se trouve déjà dans d’Aubigné.
  23. Observations de M. Ménage sur la langue françoise’, seconde édition, tome I, p. 302.
  24. Étude de la langue de Corneille. Œuvres de Corneille, édition de Lefèvre, tome I, p. xi.
  25. Historiettes, tome I, p. 426.
  26. La Bibliothèque impériale possède de ces premières feuilles du Glossaire des épreuves, la plupart corrigées à la main, dont une porte la date du 21 octobre 1775.
  27. Voyez l’article Main dans le Lexique, tome II, p. 65.
  28. On peut rappeler à ce propos que de même, en espagnol, pour vanter l’excellence de quelque œuvre, il était passé en proverbe de dire : Es de Lope, « c’est de Lope. » Voyez les Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 506 et note 6.
  29. « J’ai cru que nonobstant la guerre des deux couronnes, il m’étoit permis de trafiquer en Espagne. Si cette sorte de commerce étoit un crime, il y a longtemps que je serois coupable, je ne dis pas seulement pour le Cid, où je me suis aidé de don Guillen de Castro, mais aussi pour Médée, dont je viens de parler, et pour Pompée même, où pensant me fortifier du secours de deux Latins, j’ai pris celui de deux Espagnols, Sénèque et Lucain étant tous deux de Cordoue. » (Tome IV, p. 131. Épître du Menteur.)
  30. Tome I, p. 138.
  31. Page 127.
  32. Tome II, p. 362, vers 425.
  33. Remarques, p. 787, édition de 1697. — Les Œuvres de François Malherbe avec les observations de M. Ménage, édition de 1723, tome III, p. 99.
  34. Voyez le Lexique de Racine.
  35. Voyez au Lexique les articles Gris (cheveux), Main (tenir dans sa), etc.
  36. On peut voir, par exemple, dans notre Lexique, les mots suivants : accort, accortement, affété, affiner, affoler, affronteur, allégeance, assiette (pour situation), attache (pour attachement), bénignité, charmeur, chef (pour tête), coléré, congratulation, congratuler, conquêter, courre, coutumier, dam, désanimé, au desçu, dextre, dextrement, envieilli, épartir, forcènement, forcènerie, galantiser, incaguer, ire, magnifier, marri, muable, nef, outrecuidé, portraire, quérir.
  37. Voyez ci-après l’Introduction grammaticale, p. xl, 6°.
  38. Tome IV, p. 210, le Menteur, vers 1301.
  39. Essais, livre III, chapitre v, édition de 1866, tome III, p. 322.
  40. Tome I, p. 102.
  41. C’était l’usage général de nos anciens tragiques de terminer par un e muet beaucoup de noms latins auxquels nous conservons aujourd’hui leur terminaison ; Garnier a dit :
     
    Reuienne encore Brute, et le hardi Sceuole,
    Camille et Manle (Manlius) armez pour notre Capitole
    Reuiennent… (Garnier, Cornelie, acte I, vers 17.)
     
    I’ay veu, quand i’estois ieune, acharnez contre Sylle,
    Maire (Marius), Cinne, Carbon, tyranniser la ville. (Ibidem, acte II, vers 133.)
     
    Scipion est occis, et Caton, et Petree,
    Et Vare, et Iube, roy de la More contrée. (Ibidem, acte III, vers 141.)
     
    Corneille a fait de même pour les terminaisons us et a, et parfois pour la terminaison ius, comme on va le voir par les exemples qui suivent.
     
    Terminaisons us et ius remplacées par e.
    Brute :
    Il est des assassins, mais il n’est plus de Brute. (iii, 405. Cin. 438.)
     
    Cosse :
    Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens. (iii, 452. Cin. 1536.)
     
    Crasse :
    Veuve du jeune Crasse… (iv, 68. Pomp. 990.)
     
    Crispe : Le gendre de Phocas se nomme ainsi dans Héraclius, mais dans l’avis Au lecteur il est appelé Crispus.
     
    Icile (iii, 451. Cin. 1490).
     
    Iphite (vi, 343. Tois. 2093).
     
    Lépide (iii, 11. Cin. 598).
     
    Mome (vii, 368 et 369. Psy.).
     
    Mopse (vi, 343. Tois. 2093).
     
    Pompose (iii, 451. Cin. 1490)
     
    Romule :
    … Respecte une ville à qui tu dois Romule. (iii, 283. Hor. 52.)
     
    Rutile (iii, 451. Cin. 1489).
     
    Sexte (iii, 435. Cin. 1135).
     
    Tulle :
    Leur plus bouillante ardeur cède à l’avis de Tulle. (iii, 371. Hor. 823.)
     
    Terminaison ius remplacée par ie.
     
    Cassie (iii, 396. Cin. 265).
     
    Décie (iii, 495. Cin. 50, 55, etc.).
     
    Manlie :
    Ainsi l’ont autrefois versé Brute et Manlie, (iii, 566. Pol. 1703.)
     
    Terminaison ias remplacée par ie.
     
    Tirésie :
    Vous pouvez consulter le devin Tirésie. (vi, 178. Œd. 1026.)
     
    Terminaison a remplacée par e.
    Agrippe :
    Jodelle a employé cette forme dans le second acte de sa Cléopatre, et Corneille dans Cinna (tome III, p. 403, vers 394).
     
    Caligule :
    Tibère étoit cruel, Caligule brutal, (vi, 621. Oth. 1063.)
     
    Cinne :
    Tu m’assures bien mieux de l’immortalité
    Que Cinne*, Rodogune, et le Cid, et l’Horace, (x, 103. Poés. div. 10.)
     
    * La forme Cinne a été omise, par mégarde, dans notre Table alphabétique et analytique.
     
    Fauste : dans le Discours sur la tragédie (tome I, p. 71).
     
    Jugurthe :
    … Un Pyrrhus, un Jugurthe, un Persée. (x, 259. Poés. div. 105.)
     
    Murène :
    Murène a succédé, Cépion l’a suivi, (ni, 438. Cin. 1203.)
     
    Terminaison anus rendue par an, et non, comme aujourd’hui, par en.
     
    Diocletian :
    Quand Dioclétian fut maître de l’empire. (v, 18. Théod. 35.)
     
    Octavian :
    Dépêche Octavian… (v, 230. Hér. 1703.)
     
    Turpilian :
    Varron, Turpilian, Capiton et Macer. (vi, 577. Oth. 52.)
     
    Valentinian :
    Je reverrai mon frère en Valentinian. (vii, 150. Att. 1028.)
     
    Virginian (m, 45 1. Cin. 1489).
     
    Notons, en terminant, deux substantifs communs empruntés à des noms propres et destinés à désigner un parti littéraire, à savoir les mots Uranin et Jobelin :
     
    Nos Uranins ligués contre nos Jobelins
    Portent bien au combat une autre véhémence. (x, 126. Poés. div. 5 et 6.)
     
    Mais il importe de remarquer que Corneille n’a pas inventé ces dénominations, et qu’il n’a fait en les employant que suivre l’usage général.
  42. Voyez par exemple Amatrique, s’Appliquer sur, Blanque, etc.
  43. Nous avions prié M. Anders, chargé du soin des collections musicales de la Bibliothèque impériale, de nous fournir quelques notes sur les mots concert et tablature. Au lieu de notes, il nous a donné ces deux articles tout rédigés, et de telle sorte qu’il était impossible de faire autre chose que de les accueillir sans y changer un seul mot. Ce savant modeste a succombé l’année dernière (1866) à une douloureuse maladie ; mais nous tenons à reconnaître ici ce que nous lui devons, pour acquitter, autant qu’il est en nous, notre dette.