Préface (La Verdure dorée)


Préface (La Verdure dorée)
La Verdure doréeÉditions Émile-Paul frères (p. V-X).

PRÉFACE



Monsieur Derème au cœur trop tendre
Par ses propos nous fait dormir.
Ah ! que de grâces à lui rendre
Il nous épargne de l’ouïr.

Il nous épargne de l’ouPhilippe Huc.



On ne lit point les préfaces, et c’est au seuil d’une préface que je me divertis à le dire. Si, de la sorte, quelqu’un s’avisait de me répondre, je serais prêt, qu’il approuvât mes paroles ou dénonçât mon erreur, à lui rendre les armes, en chantant ses louanges. Charmante et vaine hypothèse, car je tiens pour assuré de n’incommoder personne, si je note ici quelques réflexions touchant cet ouvrage, où la plupart des pages que j’ai écrites se trouvent recueillies.

Ce livre est toute ma jeunesse, pourrais-je fredonner, moi aussi, et non sans quelque amertume, peut-être. Mais, si j’ajoutais que je l’ai fait sans presque y penser, il ne me faudrait plus croire, et ce ne pourrait être qu’en un de ces soirs heureux où, moins soucieux d’être sincères que d’étonner et de ravir qui leur prête audience, les poètes se plaisent à laisser entendre qu’ils chantent sans plus de peine ni de malice que les noisetiers, quand le vent souffle, ou les troènes. Ainsi le vieil Ovide, quoi qu’il tentât d’écrire, c’était un vers…

Ô printemps, jeunesse de l’année ! Ô jeunesse, printemps de la vie ! Célèbre tour d’équilibre, et la jeunesse n’est qu’un flot mouvant et vivace de verdure, que dorent maintenant le souvenir et la mélancolie.

Mais, cette couleur dorée, agréable aux regards et pourtant au cœur douloureuse, n’est-ce pas simplement, comme au feuillage du platane et du peuplier, la marque de l’automne, quand l’air aigre des matinées commence à dépouiller les roses rouges de septembre ?

D’un autre point de vue, la chair de la poésie, nos joies, nos peines, nos désirs, nos rêveries, nos tristesses, ne sont-elles pas chose vivante et bruissante, comme la verdure des vergers et des bois ? Mais n’est-ce pas seulement par l’artifice du poète, qui, sur certaines feuilles, appuie son pinceau doré, qu’il leur est permis de prendre une figure qui, parfois, ne passe point ?

Ainsi, la matière donnée, l’art est tout choix et industrie dans l’assemblage des éléments choisis, habileté dans l’emploi des lumières diverses dont le poète se plaît à éclairer son domaine. De la sorte, loin qu’il se laisse noyer aux sentiments, il les évalue, les domine, les juge et les canalise.

Le poète, dès lors, en vient à chanter des passions qui sont les siennes, certes, mais que sa raison, souvent, ne peut cependant contempler sans qu’elle sourie, avec indulgence ou avec dureté. Video meliora… Pourquoi les laisserait-il au silence, puisqu’elles sont véritables, qu’elles emportent le cœur de tous les hommes et qu’elles composent, en quelque manière, l’étoffe de notre vie ? Mais, dans ses poèmes, la tristesse et l’affliction les plus douloureuses n’apparaîtront qu’ornées des claires guirlandes de l’ironie, qui est, on l’a dit, une pudeur, et qui est aussi une rébellion et une revanche.

Le choix des mots, des rythmes, la rime, l’assonance — aucune richesse ne doit être négligée — serviront le poète en ce dessein. Il saura, par l’éclat exagéré d’une rime, par la rouerie d’une épithète ou le jeu trop sensible des allitérations, donner volontairement à sourire des sentiments graves qu’au même instant il chante et sans cesser d’être sincère.

Nous avons méthodiquement utilisé dans ce livre la contre-assonance. Tandis que dans l’assonance, le son des voyelles subsiste dans la variation des consonnes, dans la contre-assonance, les consonnes se maintiennent dans la mutation des voyelles. La rime dit : lèvres — fièvres ; l’assonance : lèvres — Thèbes ; la contre-assonance : lèvres — livres ; elle dirait aussi : cœur — décor, amer — endormir ; certains — printemps, etc… C’est, exécutée sur la vieille et solide rime, une variation qui donne à l’ouïr une impression ambiguë de liberté, de surprise et de malaise.

Cette forme peut donc être rangée dans l’arsenal des moyens qui servent à exprimer le secret d’un poète, — si ce poète, semblable, d’ailleurs, à la plupart des hommes, se trouve en perpétuel désaccord avec ce qui l’entoure, comme avec lui-même.

T. D.
1921.