Près du lac d’amour

Vers et Prosetome 9, mars-avril-mai (p. 117-118).


PRÈS DU « LAC D’AMOUR »


I

Le jour vient de s’éteindre et ce n’est pas la nuit :
L’ombre a des reflets clairs ; des lueurs attardées
Sèment de la douceur et des grâces fardées
Sur les contours plus flous de la Ville sans bruit…

Personne… Une langueur dans l’air flotte et se mêle
À la subtile odeur des feuillages mouillés.
Déjà tous les objets sont comme dépouillés
De réel, à mes yeux que le soir ensorcèle.

Là-bas le canal dort ; ici le lac se tait,
À peine un peu ridé par la brise légère ;
Sur un fond vert le pont d’aspect gris et sévère,
Dessine faiblement ses arches en retrait…

Des cloches ont sonné, rythmant de leurs voix grave
Les battements pressés dont s’agite mon cœur ;
Il palpite plus fort devant l’assaut vainqueur
D’un grand trouble à la fois redoutable et suave…

Tout mon être se fond dans l’ardente beauté
Dont l’heure a revêtu la nature pâmée ;

Un rêve vient bercer mon âme sublimée
Planant toujours plus haut dans son vol exalté…

Tous mes sens ont frémi, je tremble dans l’attente
D’un mystère entrevu… Je ne sais si la Mort
Ou son frère, l’Amour, plus grand qu’elle et plus fort,
Tout à coup m’a frôlé d’une aile immense et lente…


II


Au crépuscule gris, sous les arbres bruissants,
J’ai vu devant mes yeux apparaître mon rêve ;
Il était lumineux dans le jour qui s’achève,
Vaine image pourtant, jeu de rayon mourants…

Fantôme hallucinant qui dans le soir se lève,
Naissait-il de l’émoi de mon cœur bondissant ?
Effluve de mon âme, était-ce moi pensant ?
Vers l’extase en tremblant avec lui je m’élève ;

Mais, un doigt sur la bouche, il montait dans l’éther
D’un vol puissant et sûr, d’un grand essor si fier
Qu’il tendait vers les cieux !… Comme des vagues lentes,

Sur la terre glissaient d’enivrantes odeurs ;
Et j’ai cru respirer des roses défaillantes,
Un goût de volupté se mêlait aux senteurs…


ARTHUR DAXHELET
Bruges, juin 1905.