SOUS LES TOITS

fenêtres à tabatière. — cruauté de m. vautour. — hommage à mansard. — nécessité d’une réglementation municipale.


On sait que la Ville de Paris — comme toutes les grandes capitales — possède une foule de réglementations concernant les bâtisses, comme disaient nos pères et comme disent toujours les Canadiens. C’est ainsi qu’il y a encore les édits rococos de Henry IV qui vous interdisent d’établir des Bow-Windos au premier étage des maisons, d’autres décrets et règlements imposent de bâtir en façade et avec tant d’étages dans tel quartier, à telle enseigne que vous pouvez peut-être posséder encore un cœur Chaussée-d’Antin, mais à coup sûr ni jardin, ni chaumîère : la Ville ne le tolérerait pas. Les maisons ne peuvent pas avoir autant d’étages qu’il plaît aux propriétaires, comme à New-York, et c’est même pour cela que je me suis trouvé réduit, dernièrement, à proposer des maisons, en vue de l’Exposition, à sept étages en l’air et à sept étages en dessous, dans les caves. Comme je n’ai pas pris de brevet, je livre mon idée pour rien à mes lecteurs.

On exige des façades en pierre de taille, on institue des concours de beauté entre lesdites, tout comme s’il s’agissait de jolies filles. On a pensé à l’hygiène, à l’air, au jour, à la lumière, à la gaîté et l’on exige des cours intérieures, d’une étendue déterminée, ce qui est excellent, et l’on pousse même le soin jusqu’à ne pas permettre que le second corps de bâtiment ait la même hauteur que le premier, ce qui est encore mieux, et enfin l’on s’est décidé à appliquer sérieusement le tout à l’égout, ce qui est parfait.

En un mot, comme en cent, on a tout réglementé, on a pensé à tout, sauf peut-être au point le plus capital ; je veux parler des chambres sous les toits, au six ou septième, et quelquefois au neuvième, — voir la maison du passage Radzivill. Ces chambres, ces cabinets, suivant le mot consacré, ces galetas plutôt, comme l’on dit à Toulouse, sont habitées par de petits employés, des garçons épiciers ou bouchers et, en majeure partie, par les bonnes, c’est-à-dire par les domestiques du sexe faible, auquel la plupart des hommes doivent leur mère !

Le sexe ! comme dit Pilou ou Pandore, mot auguste et sacré que l’on ne devrait prononcer qu’avec des larmes dans la voix et un trémolo à la clef.

Ah bien ouitche, les proprios s’en fichent un peu, et M. Vautour est toujours sans pitié à son endroit… à moins que… mais gazons.

Donc en été on cuit, on brûle, on sent le roussi, on attrape des méningites dans ces étuves sèches, et en hiver on y gèle, votre nez se change rapidement en vitelotte et vos mains, comme vos pieds, endoloris par les cruelles et sanguinolentes engelures, ne tardent pas à se refuser à tout service.

Et remarquez bien que les pauvres filles que l’on traite ainsi sont presque toutes de nos campagnes de France où elles retourneront se marier un jour ; c’est donc les mères futures, c’est donc une partie des sources vives, des œuvres-vivantes de la race que vous atteignez ainsi, en atrophiant, en tuant ces malheureuses.

Il y a vraiment là une cruauté inutile, et pour y remédier en grande partie, surtout en été, pour rendre ces refuges momentanés habitables, pour permettre au sommeil réparateur d’y entrer moins timidement et, comme à regret, une réforme, une simple petite réforme s’impose, mais elle sera le salut pour beaucoup de pauvres petites bonnes logées ainsi près du ciel, et qui s’y trouvent fort mal, même à vingt ans. C’est simplement de ne plus permettre la construction de maisons avec les fenêtres à tabatière, au dernier étage, sous les toits, mais bien d’imposer à tous les propriétaires les fameuses fenêtres à la Mansard, c’est-à-dire de véritables fenêtres droites, où l’on puisse s’accouder, respirer, voir, autrement qu’en passant la tête et, du même coup, aérer largement sa chambre.

Enfin il faut forcer les propriétaires en construisant, à maintenir entre les chambres de bonnes et le toit, un petit espace, comme un petit grenier, afin d’éviter, en partie du moins, les grandes chaleurs de l’été et les morsures douloureuses du froid en hiver.

Je remarque avec plaisir qu’il y a déjà beaucoup de propriétaires humains, intelligents et… pratiques, car ils louent mieux, qui font construire leurs maisons avec ces mansardes, ces fenêtres qui apportent le salut et la santé avec un peu d’air et de lumière.

C’est bien, mais il faut que cela devienne général, obligatoire, pour tout Paris, et je suis sûr qu’en adressant cet appel pressant au Conseil municipal, je serai entendu, par ce temps de chaleur caniculaire !

Il y va de la santé toujours, de la vie peut-être de millions de pauvres filles, des mères de demain, et nous n’avons pas le droit de jouer avec cela, aujourd’hui que la natalité est si faible. C’est plus que l’humanité qui nous commande impérieusement cette réforme, c’est encore notre intérêt bien compris de Français et de patriotes.

Et puis quoi, aujourd’hui on ne trouve plus de bonne et les bourgeois se plaignent et gémissent sur la dureté des temps ; ne serait-ce pas simplement la conséquence de l’égoïsme féroce des propriétaires ?

Vous logez vos domestiques d’une façon indigne, féroce, inhumaine ; ils se rebiffent, simplement pour défendre leur vie en danger, qui donc oserait les en blâmer ? Au lieu de vous plaindre que vous ne trouvez plus de petites bonniches pour vous servir, commencez donc par les loger sainement et humainement. Que diriez-vous, si l’on traitait de la sorte vos enfants ?

À vous, messieurs les conseillers municipaux, à voir ce qu’il y a à faire et à le faire vite ; des milliers de pauvres fillettes, seules à Paris, loin de leur famille, vous béniront et vous aurez vraiment fait une bonne action dans le sens le plus large et le plus utile du mot !