UN CHAPITRE QUI N’EST PAS SAGE !

le comble du pittoresque dans l’horreur. — les dessous d’une capitale


Les bonnes bourgeoises ne sont pas toujours mises à la dernière mode, mais elles ont toujours des dessous irréprochables de propreté, tandis que les demi-mondaines se contentent souvent des apparences — je prie le compositeur d’écrire ce dernier mot d’un seul morceau et sans mettre un trait au milieu.

Eh bien ! il faut bien l’avouer, presque toujours les grandes villes se conduisent comme ces dernières, et si elles se montrent pimpantes avec leurs monuments et la parure d’émeraude de leurs parcs et de leurs squares, il est quelquefois imprudent d’explorer leurs dessous d’un œil par trop inquisiteur.

Cependant, mes chers lecteurs, si vous le voulez bien — une fois n’est pas coutume — c’est précisément ce que je voudrais faire un peu — oh ! combien discrètement — aujourd’hui en votre compagnie.

Or donc, si vous voulez avoir une idée précise et nette, sans faire de longs voyages, sans dépenser d’argent et sans courir aucun danger, des horreurs sombres de Whitechapel à Londres, de Marseille, de Toulon, de Naples dans leurs quartiers les plus pauvres ; si vous voulez comprendre les horizons ravagés des ruelles de San-Francisco dans le quartier chinois ; si vous voulez admirer les petits édicules minables, étriqués et odorants qui s’alignent sur la Risle à Pont-Audmer — cette Venise normande — pour soulager l’humanité souffrante ; si vous voulez vous rincer l’œil avec tous les détails lamentablement pittoresques des quartiers aussi misérables qu’Indous de Calcutta !

Si, en un mot, vous voulez vous payer une orgie de couleurs sombres à la Ribot et de loques glorieuses à la Ribeira, vous n’avez simplement qu’à me suivre docilement, sans mot dire. Ça ne sera pas loin, n’ayez pas peur.

C’est ici, en pleins boulevards, autour du Palais-Royal, au beau milieu de Paris, quoi !

Nous voici au milieu des passages les plus gais, les plus vivants, où la foule toujours amusée et bruyante, grouille dans un chatoîment de couleurs tout à la fois ahurissant et charmant.

Eh bien, tout cela n’est rien. Entrons par une porte quelconque, cherchons à corrompre le gardien ou le concierge, surtout des passages où il y a beaucoup de cafés-restaurants, et une fois non pas dans la cour, mais dans le long boyau qui longe le passage de chaque côté, nous allons jouir d’un coup d’œil qui n’est point banal.

Les passages sont encadrés naturellement de hautes maisons ; ils sont comme dans un long puits, profond, horizontal !

Alors, de chaque côté, du haut en bas, pendant six et parfois sept étages, les murs lépreux, noirs, suent et coulent lamentablement, distillant une eau noire innommable, les maisons n’étant tenues qu’à laver et astiquer leur façade tous les dix ans. Plus en bas, tous les détritus, tous les débris des grands bars : carcasses aux couleurs provocantes de homards à la Lucellus, à côté de bouquets fanés qui pleurent le sein abandonné au petit jour, dans un dernier hoquet, pardon, dans un cabinet particulier ; plus haut, aux fenêtres, toutes les loques, toutes les étoffes sèchent et dégoulinent aux fenêtres.

Ah ! ces derrières de passages, ces couloirs sombres derrière ces passages clairs sont comme les latrines de la grande vie, comme les vomitoria du monde où l’on s’amuse, et toutes les fois que je veux philosopher un peu ou contempler du vraiment pittoresque, je m’empresse d’y faire un tour, quitte à me boucher le nez aux endroits par trop démonstratifs.

Les dessous de Paris, les voilà, chers lecteurs, vieux bouquets, fleurs fanées, débris des folles journées, avant qu’ils ne soient tombés irrémédiablement dans la hotte du chiffonnier, allez donc les contempler dans leur cadre sombre et coloré tout à la fois, le soir, si vous voulez, dans la buée lumineuse et froide des arrière-boutiques, entre le plongeur et le marmiton, dans quelque souillon de derrière de passages parisiens, et vous me direz après si je vous ai menti, si j’ai simplement exagéré et si vous n’avez pas eu là, tout à coup, subitement, comme la violente et sublime évocation d’un Callot, doublé d’un Ribeira !

Pour sûr que Paris est bien intéressant pour l’artiste qui sait le voir, le comprendre et l’aimer !