Les progrès de la science appliqués à la cambriole

Comment les voleurs emploient les rayons Rœntgen. — Travail propre et expéditif. — Tout le monde y trouve son compte. — M. le préfet de Police et les ordures de commerce.

Dernièrement, chez trois cambrioleurs de marque, au milieu d’un grand nombre de couteaux, de revolvers, de poignards et de pinces-monseigneur admirablement nickelés et en excellent état, on trouvait une lampe cathodique ; avec la meilleure grâce du monde les trois professionnels du crime ont expliqué comment ils se servaient des rayons X pour examiner, à travers leurs parois, les coffres-forts — combien forts — avant de les ouvrir !

Il est évident qu’il est très malheureux qu’il y ait encore tant de voleurs, de cambrioleurs et de criminels, et il est non moins évident que l’instruction seule, répandue sur une vaste échelle, pourra faire disparaître petit à petit ces malandrins ; mais, enfin, en attendant, il faut savoir se contenter de peu et je trouve tout à fait excellente cette application aussi scientifique que pratique des rayons Rœntgen à l’usage de la cambriole et la chose se comprend de soi, sans avoir besoin d’être démontrée, en quelque sorte.

En effet, avec cette nouvelle méthode que je qualifîrai volontiers tout à la fois de rationnelle et de scientifique, tous les coffres-forts vides ou ne renfermant pas de valeurs, se trouvent épargnés et, en définitive, c’est le propriétaire légitime qui en profite. Mais ce n’est pas tout, en allant plus vite dans leurs investigations et, par conséquent, en ayant terminé plus promptement leur besogne, les voleurs risquent d’autant moins de rencontrer les propriétaires de l’appartement ou de la maison dévalisée et c’est pour eux autant d’occasions de crimes évitées.

D’une façon générale l’on peut affirmer hautement qu’avec l’emploi permanent des rayons cathodiques, le travail de ces Messieurs de la Pince est fait d’une manière plus prompte et plus propre.

C’est ce que l’on appelle de la belle ouvrage et sans meurtre inutile et toujours regrettable, surtout pour la victime.

C’est ainsi que, grâce aux progrès de la science, tout se transforme, aussi bien les crimes immondes de la guerre qui tendent de plus en plus à disparaître et que les grands voleurs avaient qualifiés eux-mêmes de glorieux.

Mais, assez philosopher. Je suis heureux simplement de constater que la science moralise tout, même le crime, si j’ose m’exprimer ainsi, puisqu’elle lui évite, en même temps que des pertes d’heures, des extrémités toujours fâcheuses, quand ce ne serait qu’aux yeux de la gendarmerie et de la loi.

Il est évident que le savant qui a découvert les rayons qui portent son nom ne se doutait guère qu’il servirait ainsi la cause de l’humanité et de la civilisation par des voies que je me permettrai de trouver singulièrement détournées !

Cependant, le fait est là, patent et épatant ; il n’y a plus à le nier. Il y a d’autant moins à le nier que la Société philanthropique de secours mutuels des pickpockets de Londres vient d’instituer pour ses membres, et dans un but dont le côté hautement humanitaire ne saurait échapper à la perspicacité de mes lecteurs, un cours destiné à enseigner l’emploi des rayons Rœntgen pendant les indispensables opérations de la cambriole.

Des esprits étroits vont crier au scandale ; moi, au contraire, je trouve cela très chic, très modern-style, et, en attendant la disparition des filous avec la disparition de l’ignorance, comme de tous les vices, je dis que si la science mise au service des voleurs leur économise quelques crimes devenus inutiles pour eux, il convient de s’en féliciter hautement.

Avant tout, il faut éviter de ratiociner et il convient de se rendre à l’évidence et surtout de toujours saluer avec joie un progrès, quelque petit et modeste soit-il.

Ceci dit, je demande la permission d’entretenir mes lecteurs d’une petite affaire personnelle qui me tourmente beaucoup en ce moment.

On sait qu’à Paris nous payons tous des taxes fort lourdes à la Ville pour l’enlèvement de nos ordures ménagères tous les matins, grâce aux Poubelles.

M. de Rambuteau avait déjà donné son nom à une colonne indispensable, ce qui prouve que nos préfets ont toujours aimé à s’occuper de questions de détritus et d’ordures, ce qui est fort intéressant dans une grande ville.

Mais voilà que M. le Préfet de police ou le service de la voirie, je ne sais pas au juste, viennent d’inventer une chinoiserie aussi monumentale qu’injuste et que je vous donnerais bien en mille à deviner : désormais on enlève les ordures ménagères, mais pas les ordures de commerce et d’industrie.

Que l’on fasse cette distinction pour de grandes usines, je le comprends, mais l’administration, féroce et bête comme toutes les administrations, prétend le faire avec les fruitiers, épiciers, bouchers, boulangers, etc. Ainsi chez un épicier on se refuse à enlever des épluchures de salade, comme si un épicier ne pouvait pas manger de salade, tout comme les filles de ce bon Nadard !

Un certain nombre de commerçants ont résolu de laisser leurs ordures sur place et ils ont bien raison. L’administration furibonde et exaspérée ne veut pas céder et va créer une escouade d’inspecteurs experts pour examiner les ordures de tout un chacun.

C’est complètement idiot, mais ça fera toujours des places nouvelles à payer pour les contribuables et ça fera aussi toujours des palmes et surtout des poireaux à donner — ce sera même là leur vraie destination.

Mais voilà en quoi la chose me touche et m’inquiète beaucoup : que vais-je faire moi-même de mes détritus et ordures professionnels ? Voyons, monsieur : le Préfet, soyez humain.

Depuis quinze jours, pour ne pas contrevenir à votre ordonnance et éviter une contravention, je suis obligé d’avaler tous mes vieux fonds d’encrier, mes rognures de crayons, mes vieilles plumes de fer, tous mes papiers gâchés. J’ai des maux d’estomac affreux et je dépéris à vue d’œil et tout cela parce que je n’ai plus le droit de jeter tous les matins mes ordures professionnelles dans la rue. C’est véritablement une alternative terrible : ou une contravention ou la mort. Pour peu que cela continue je vais quitter Paris.

Prenez garde, M. le Préfet de police ou de la Seine, MM. de la voirie, c’est avec des mesures tout à la fois aussi draconiennes et aussi charentonnesques que l’on tue et que l’on dépeuple une grande ville et si vous ne vous décidez pas à être enfin moins féroces et rétrogrades avec nos détritus et ordures de commerce, professionnels ou non, prenez garde, Paris ne tardera pas à n’être plus tout à la fois qu’un désert et qu’un souvenir !

Pour mon compte je me révolte et je ne veux plus continuer à avaler toutes mes ordures professionnelles pour les beaux yeux de la Voirie.

J’aime encore mieux une contravention.

Allons-y ! Mais cela ne fait rien, connaissez-vous quelque chose de plus bête que les mesures prises par des ronds-de-cuir ?