Jeune bergère gauloise

Dans une grotte du Puy-de-dome. — Les Fontaines pétrifiantes. — Curieuse découverte. — Récit d’un témoin

Je me trouvais, il y a quelques mois, à Clermont-Ferrand, où j’allais faire une conférence économique sur les alcools agricoles et de synthèse, et, une fois mes affiches collées, ayant deux jours devant moi, je descendis au bas de la ville visiter, pour la dixième fois, la fontaine pétrifiante et l’espèce de petit musée-magasin qui y est annexé qui est bien connu des touristes en général des Anglais en particulier.

Tout en regardant les spécimens de pétrification exposés sous des vitrines aux yeux des visiteurs, j’eus la bonne fortune de me rencontrer avec un vieux savant du pays dont on me permettra de taire le nom, du moins pour le moment.

Comme il me savait un vieil ami du poète Fabre des Essarts, de l’ancien député Blatin, de M. Bouquet de la Grye, de H. Luguet et de beaucoup d’autres illustrations du pays, la connaissance fut bien vite faite.

— Vous avez visité Royat et sa « grotte du chien » ?

— Souvent, et d’ailleurs je connais à fond les grottes de Hans en Belgique, celles de Saint-Marcel dans l’Ardèche, le gouffre de Padirac et les fameuses grottes de l’île de Majorque, aux Baléares ; c’est vous dire que j’ai une passion malheureuse pour la spéléologie. C’est une façon d’occuper grottesquement ses loisirs, avec deux t, n’est-ce pas ?

— Mais pas du tout.

— Et j’ai visité vos coteaux et décrit, dans mon dernier volume des Causeries agricoles, la façon si intelligente et si ingénieuse avec laquelle on y cultive la vigne.

— Je vois, Monsieur, que vous aimez et connaissez bien le pays ; et, si vous voulez bien me faire le plaisir de m’accompagner demain matin, je vous conduirai dans une grotte pétrifiante immense, merveilleuse, peu praticable naturellement, encore inconnue et que je viens de découvrir tout dernièrement dans la montagne. Habillez-vous en conséquence, avec une bonne paire de bottes et un caoutchouc imperméable, si vous les avez.

— Je les ai, comme tout voyageur curieux.

— Eh bien nous partirons de bonne heure ; j’emmènerai simplement mon domestique qui est débrouillard, avec une pelle, une pioche, quelques bonnes cordes et un léger déjeuner froid pour manger dans l’antre et ne pas perdre de temps.

— C’est entendu.

— Alors, demain matin, à six heures, ma voiture vous prendra à la porte de votre hôtel.

— Parfaitement.

Le lendemain matin, à huit heures et quart sonnant, nous quittions la route et vingt minutes plus tard, en pleine montagne, nous nous trouvions en face d’un trou rond dans lequel on pouvait juste entrer, courbé en deux et mon aimable cicerone me dit :

— Voici l’entrée de la caverne ; il n’y manque que les voleurs pour nous croire tout à fait en pays Calabrais.

Nous fîmes une dizaine de pas, avec tout notre matériel et nous pûmes enfin nous redresser dans une première salle qui formait comme l’entrée de cette cathédrale souterraine.

Alors nous n’eûmes plus qu’à allumer nos lanternes et, d’un pas assez rapide, nous avançâmes, car je n’avais qu’à suivre mon ami qui connaissait sa grotte, comme il l’appelait avec amour. Du reste, elle formait un ensemble de salles, assez bien groupées, de plus d’un kilomètre environ, et, en somme, l’exploration n’avait rien de bien pénible, quoique les salles ne fussent pas encore, naturellement, aménagées pour les touristes.

Bientôt nous arrivâmes au bout d’une salle, le long d’une paroi lisse et unie, d’un aspect vraiment particulier pour un spéléologue qui a du flair.

— Vous voyez cette muraille banale ; eh bien, tenez, il y a là, le long, à hauteur d’homme, non pas des signes, des caractères, mais comme des reliefs usés, qui paraissent avoir été tracés de mains d’homme, étant donnée leur symétrie.

Après un examen attentif, je dis :

— Vous devez avoir d’autant plus raison qu’ils me rappellent, dans leur état fruste, ceux que j’ai vus dans le Morbihan, l’année dernière, le long des blocs intérieurs d’un dolmen de Locmariaquer.

— Vraiment ? Comme c’est curieux. Mais vous voyez là, dans ce coin, un trou où l’on ne peut pas encore s’engager sans danger ; mon domestique va essayer de le déblayer et, s’il y a moyen, nous nous y engagerons ; nous avons des cordes, car je suis persuadé qu’il doit y avoir une autre salle au bout.

— C’est également mon avis.

Le brave domestique se mit résolument à la besogne et, dans notre impatience, nous l’aidâmes fébrilement ; au bout de deux heures, il put pénétrer aisément dans une salle encore inconnue, circulaire, n’ayant pas plus en surface, d’une centaine de mètres.

Quand il fut remonté et qu’il nous eut déclaré n’avoir jeté qu’un regard d’ensemble sur la dite salle, nous nous mîmes à déjeuner, pour nous donner des forces, avant d’y pénétrer nous-mêmes.

Nous mangeâmes vite et bien, avec l’appétit spécial des spéléologues qui sont contents d’eux et, après avoir fumé un bon cigare dont la fumée allait embrumer et ternir momentanément les milliers de facettes qui brillaient de mille feux sous nos lampes que nous avions sorties des lanternes pour déjeuner, le domestique passa le premier et, mon ami me faisant signe de la main, je passai le second.

Effectivement, la salle était bien circulaire, le sol plat, usé, sec ; nous la traversâmes en dix secondes et poussâmes tous deux un cri de surprise, de stupéfaction, tués, anéantis, pétrifiés et médusés sur place, comme jamais êtres humains ne durent en pousser depuis le déluge.

Nous ne pouvions en croire nos yeux : un corps pétrifié, couché de tout son long sur une espèce de console naturelle, était là devant nous et quand nous l’eûmes examiné de près, nous ne tardâmes pas à reconnaitre que nous avions devant nous le corps d’une femme de haute stature. Elle avait probablement été surprise là par un orage et pétrifiée sur place.

Deux pas plus loin, gisaient des squelettes de moutons et de chèvres non pétrifiés ; il n’y avait pas de doute, nous nous trouvions en face du corps d’une bergère gauloise et appartenant probablement à la période préhistorique.

— Sauf que l’enveloppe est plus brillante et plus lisse, on se croirait, dis-je, en face des corps que l’on a retrouvés, sous la lave, à Herculanum et dont il y a quelques spécimens si curieux dans le petit musée, à l’entrée de Pompéi.

— Vous avez ma foi raison, répondit mon vieux savant.

Et quand nous fûmes revenus un peu de notre inconcevable surprise, il fit jurer le secret le plus absolu à son domestique et nous rentrâmes en ville.

Le lendemain, nous étions de retour à la grotte une heure plus tôt avec une charrette et de la paille et, avec des rouleaux de bois, mille précautions et une fatigue de tous les diables, nous ramenâmes secrètement la femme pétrifiée pendant la nuit au domicile de mon ami.

Après l’avoir installée dans un hangar sûr, fermé et bien agencé, je fis ma conférence et il fut convenu que mon ami — heureusement assez riche — allait commander de suite à Paris un appareil frigorifique perfectionné et capable de contenir la femme pétrifiée et qu’aussitôt en possession de l’appareil, il me préviendrait.

C’est fait, je rentre à Clermont-Ferrand et je suis fou d’impatience…

… Une fois placée dans le frigorifique, nous fîmes sauter délicatement la couche de silicate pétrifié qui recouvrait le visage et la poitrine et aussitôt une jeune femme d’une incomparable beauté, en chair et en os, comme endormie seulement, mais pas morte, fraîche et rose, apparut à nos yeux. Jamais je n’oublirai une pareille apparition. Elle est là toujours dans le frigorifique de mon ami, souriante comme si elle allait se réveiller et cependant elle doit avoir plus de quatre mille ans !

Et nous avons comme un scrupule de la débarrasser de sa couche entière de silicate… Si nous allions la perdre !

Ça va bouleverser le monde savant ; il faut que le Muséum fasse construire de suite un frigorifique national pour la conserver. C’est fou, c’est sublime, c’est admirable !

Mais mon émotion est si forte que je ne puis plus écrire ; à bientôt, j’espère, chers lecteurs et chères lectrices, au Muséum, où je pourrai enfin vous montrer, en chair et en os, mon ancêtre gauloise d’une incomparable beauté.

Quelle aventure ! quelle aventure !

Et dire tout de même que la spéléologie peut vous conduire à de pareilles découvertes !

Mais à quoi bon se mettre Martel en tête !