La fée aux oiseaux

Une pièce à l’usage des pensionnats de demoiselles. — La férie ailée. — Comment le théâtre peut devenir ainsi le plus utile auxiliaire du collège.

En devenant vieux, le diable se fait ermite, dit un antique proverbe et si je suis un bon diable, je ne me sens nullement la vocation pour succéder à saint Antoine ; cependant, si j’avais le temps, j’aurais l’ambition d’écrire une pièce d’un ordre tout à fait nouveau, morale entre toutes, à seule fin d’instruire la jeunesse, quelque chose comme qui dirait une féerie zoologique et surtout ornithologique.

Au premier acte, nous sommes à la campagne, dans une grande ferme de la Normandie et la fille de la maison qui sort du lycée de jeunes filles, adore les bêtes, vit au milieu des poules, des canards de barbarie, des pintades, les pigeons et est entourée de cages où des tourterelles, des oiseaux des tropiques, des serins de Hollande, parfaitement dressés, chantent et exécutent sur un signe de sa main les chœurs les plus célèbres de nos grands opéras.

Sur la pièce d’eau du château-ferme, sa barque est tirée par des cygnes blancs et noirs, bien supérieurs aux cygnes allemands ! Et les dindons et les paons font la roue devant elle et lui font une garde d’honneur lorsqu’elle rentre au logis paternel…

Au deuxième acte grand duo d’amour, — un duo d’amour est toujours nécessaire dans une pièce qui veut réussir, — elle vient d’épouser un jeune et brillant officier de spahis — un officier est toujours brillant — changement de décor à vue pendant le même acte, elle a suivi son mari en garnison à Ouargla et comme une bonne Française qu’elle est, elle a créé un superbe parc d’autruches et de casoars, à seule fin de faire la pige aux Anglais du Cap, et il se trouve que du même coup, elle fait fortune avec son intelligente industrie.

Au troisième acte encore deux tableaux, le premier se passe à Madagascar où son mari est capitaine et elle a la bonne fortune de reconstituer trois squelettes d’Epiornis, dont elle envoie une collection superbe d’œufs au Muséum d’histoire naturelle de Paris qui lui retourne ses remercîments et les palmes académiques par câblogramme.

Au second tableau son mari est en mission en Australie pour étudier l’influence du tambour sur le développement rapide des jeunes républiques ; elle organise avec lui une grande expédition dans l’intérieur de l’Île-continent et, incontinent, ils découvrent aux sommets des montagnes bleues, toute une tribu de Moas, les oiseaux géants, les oiseaux grands comme des girafes et que l’on croyait disparus de la surface de la terre depuis près d’un siècle !

Avec l’œuf de l’un de ces oiseaux elle fait un berceau confortable pour son dernier né et ayant attelé un couple de Moas à sa voiture, elle fait une entrée triomphale à Melbourne et le gouvernement par acclamation, la nomme citoyenne d’honneur du Commonwealth !

Vingt-cinq ans se sont passés, son mari a sa retraite comme général d’union, car il n’y a plus de division dans le pays.

Ils vivent retirés dans leur château, sur la frontière d’Alsace, et elle, la douce fée aux oiseaux, toute blanche et toujours charmante est là, sur la pelouse du parc, au milieu de ses enfants et de ses petits-enfants.

Un des plus petits s’écrie : grand’mère, voilà tes amies !

Et en effet, une bande de cigognes vient s’abattre à ses pieds et lui donner des nouvelles toutes fraiches de l’Alsace !

Le général essuie furtivement une larme ; au second plan, les plus jeunes enfants donnent leur brioche aux jolis oiseaux.

La salle est émue, la fille ainée joue la Marseillaise dans le salon du château dont la fenêtre ouverte est au fond de la scène.

Enthousiasme, délire, applaudissements frénétiques, attendrissements diluviens. Le temps est sombre, tous les petits enfants se sont blottis dans les jupons de la grand’maman et la Fée aux oiseaux, sous sa belle couronne d’argent, doucement émue, s’écrie :

Après avoir tant aimé les oiseaux toute ma vie, me voilà maintenant encore en train de jouer le rôle charmant de la mère Gigogne ou de la mère l’Oie !

La toile tombe sur la dernière strophe de la Marseillaise au piano et un titi, plus ému qu’il ne veut paraître, descend du poulailler — toujours les oiseaux — en s’écriant : C’est bien envoyé !