La mort d’un chien

Sous les Tropiques. — Le coup de soleil

D’un article fort intéressant de mon confrère Billy-Joung, sur les chiens et les chats à bord des navires, j’extrais la partie suivante sur un pauvre diable de chien, sur Gabon, qui est mort d’une façon dramatique, comme l’on va voir, à Port-au-Prince, la capitale de la République d’Haïti :

« Gabon », nous l’avions adopté à Libreville, — et son nom le rappelait, — faisait le quart avec les hommes des deux bordées sur le Sully. « Tribordait et babordait à l’appel ! » Gabon était là.

Puis, lorsqu’on avait rompu, alors que chacun s’en allait à son poste, Gabon se promenait du banc de quart à l’habitacle, puis au gaillard d’avant. Là, il frôlait les hommes de veille, cherchant une caresse, après quoi, il revenait s’assoupir sur la dunette.

Mais, au commandement, on le retrouvait debout. Si, avant la tourmente, il était inquiet au cœur de la manœuvre, le nez dans la rafale, il avait les oreilles hautes, le poil hérissé jusqu’à l’embarquement du premier paquet de mer qui, comme nous, le trempait jusqu’aux os, sans qu’il se fût sauvé, ainsi qu’on pourrait le croire.

Quand le capitaine prenant la barre pour qu’il y ait plus de bras à la manœuvre, tous les hommes pouvaient se mettre à serrer les voiles, les yeux du chien suivaient ceux du capitaine vers les verges et il tressaillait aux éclats de voix.

Quand nous descendions, les voilures serrées, il était au pied des haubans, et il aboyait joyeusement, tout heureux de ne plus être si seul sur le pont et comme s’il eut compris que le navire était en sûreté.

Pauvre Gabon ! Un jour, à quatre heures après-midi, nous venions de mouiller en rade de Port-au-Prince — Haïti —, et nous étions encore tous à serrer les voiles. Soudain, on entend des abois furieux, puis des hurlements déchirants. Qu’y a-t-il ? De la vergue de misaine on regarde. C’est Gabon qui aboye ainsi, et le voici qui se met à courir tout autour du pont, follement, sans s’arrêter, tournoyant sur lui-même.

« Gabon ! Gabon ! » crions-nous. Mais en vain, Gabon est devenu fou, frappé d’une insolation sans doute. Il escalade la dunette et d’un bond, franchissant le bastingage, il saute à l’eau. Gabon s’est noyé ! Il a probablement été dévoré de suite par les requins !

Comme il nous à manqué pendant une longue campagne qui dura encore huit mois ! C’était bien notre meilleur ami. »

Si j’ai tenu à rapporter ici cette histoire authentique, c’est qu’elle confirme celle du pauvre chien fou que je conte ici-même, un peu plus loin, qu’elle est la confirmation éclatante de l’avis des savants qui ont démontré que les animaux avaient le cerveau tout à fait conforme au nôtre, et, enfin, qu’elle est de nature à intéresser tout particulièrement mes petites nièces quand elles la liront, car, en effet, la République d’Haïti est le pays de ma femme.

Joli pays ensoleillé, aux paysages intertropicaux, aux lointains chauds et bleuâtres s’estompant dans les montagnes perdues à l’horizon, à la végétation luxuriante et qui, à tout prendre, quoique formant notre ancienne Saint-Domingue, rappelle, à s’y méprendre, le coteau enchanteur dans lequel Paul et Virginie ont bercé notre enfance attendrie et émerveillée !

Mon Dieu, que le soleil y est chaud ! J’y ai plus d’une fois attrapé un mal de tête de chien, dans de longues chevauchées à travers les montagnes, et si je ne suis pas mort d’une insolation, comme le pauvre Gabon, certes, ce n’a toujours pas été de ma faute, tant il est vrai qu’au pays intertropical, la moindre imprudence peut devenir fatale… même à nos frères inférieurs !