Pour lire en automobile/Comment on meurt aux Colonies/03

III

Étranges trépas. — Révélations surprenantes des explorateurs. — Le nœud fatal

Toujours fidèles au rendez-vous et mus par l’espoir d’entendre quelques nouveaux récits intéressants, nous étions tous assis tranquillement sous une tonnelle embaumée au Frioul, humant les brises chaudes et caressantes du large qui semblaient nous apporter les parfums enivrants d’Afrique, au coup de neuf heures tapant.

La nuit était radieuse et tous, en face d’un bock confortable, sans plus attendre, nous donnâmes la parole au vieux capitaine Capdediou, de Tarascon.

— En effet, Messieurs, j’ai pas mal navigué dans les mers du Sud et dans le Pacifique dans ma longue carrière de vieux loup de mer au long cours, c’est bien le cas de le dire, cependant aujourd’hui, si vous le voulez bien, nous n’irons pas aussi loin et nous nous arrêterons en route, dans l’île enchantée de Ceylan.

Un beau matin, il y a de cela trente et des années, j’étais arrivé avec mon raffiot, faire escale à Colombo, histoire d’y déposer un peu de riz et d’y embarquer un peu de café. Le matin même j’avais réglé toutes mes affaires en ville et, l’après-midi, tandis que mes mathurins, comme disent les amiraux, achevaient le déchargement et le rechargement d’une partie de la cargaison, je m’étais esquivé, histoire de prendre un peu l’air, à travers les faubourgs de la ville que je connaissais d’ailleurs comme ma poche, pour les avoir fréquentés à chaque relâche dans l’ile.

Je m’étais donc dirigé tranquillement vers une maison hospitalière bien connue des marins, et j’avais été fort heureux d’y rencontrer une jeune Anglaise débarquée depuis peu, ne connaissant pas encore le pays, mais parlant assez correctement le français. Or comme je baragouine l’anglais comme une génisse espagnole qui aurait été élevée en Russie, j’étais enchanté de rencontrer cette quasiment compatriote, tout au moins par la langue !

Les formalités d’usage remplies, nous partîmes à l’aventure nous promener un peu. Au bout d’une demi-heure nous étions dans une forêt paradisiaque et, tout à coup redevenu enfant sous le coup des effluves enivrantes de cette forêt tropicale, je m’étais mis à gambader et à cueillir le long des troncs d’arbres une botte d’orchidées, de ces parasites merveilleux qui, à Marseille, auraient valu au moins dix louis et joyeusement je les lui mettais dans les bras. Pendant qu’elle se débattait sous l’avalanche de ces fleurs étranges, je tirai ma pipe — une vieille habitude de loup de mer — la bourrai et l’allumai ; ce fut sa perte.

Sans que je m’en aperçoive, cette folle fille d’Albion, ignorante des terribles dangers de Ceylan, avait ramassé un fil rouge au milieu de la route pour lier sa gerbe de fleurs. Elle tomba foudroyée, morte, sans pousser un cri…

Le ruban rouge était un petit serpent corail qui l’avait mordue et vous savez qu’il tue à la seconde…

Le capitaine se tut et pendant un instant nous restâmes songeurs, car involontairement ces récits de morts étranges nous faisaient ressentir la petite mort, comme disait l’immortelle marquise.

Huit jours après, continua Capdediou, je me trouvais dans le port d’un petit état indépendant d’un sultan, non loin de Katmando, dans le Népaul, lorsque… mais j’ai fini, car chacun ne doit raconter qu’une histoire.

— Va, continue, si, si, il ne fallait pas nous mettre l’eau à la bouche…

… Je fus invité à assister le lendemain à une exécution capitale. À l’heure fixée, sur la place devant le palais du sultan, le condamné se mit à genoux tout seul, avec la résignation des asiatiques et mit lui-même sa tête sur le billot. Grave et solennel, sûr de lui-même, de sa force et de son adresse, le bourreau lui mit un pied sur la tête, appuya, et instantanément l’aplatit comme une pomme cuite.

L’homme était mort sous le coup, sans avoir dit seulement ouf !

— Eh bien il était solide ton bourreau, dit Marius d’un ton d’incrédulité.

— Je te crois, c’était un éléphant dressé à la noble fonction de bourreau.

— C’est curieux, ponctua sentencieusement Castagnat, comme il a fallu que dans tous les pays du monde l’homme se fasse un devoir de corrompre l’animal à son image, en le rendant aussi cruel que lui.

— C’est juste, fîmes-nous et la parole fut donnée au célèbre inventeur des moustiquaires en tôle galvanisée qui lui aussi avait beaucoup voyagé dans les îles du Pacifique pour placer son incomparable produit.

— Allons, à toi Lagriffoul.

Et incontinent Onésime Lagriffoul commença en ces termes :

Mais avant, mes chers lecteurs, je vous demande dix minutes d’entracte, que vous avez bien méritées.