Pour cause de fin de bail/Sauvegarde des bicyclettes

Pour cause de fin de bailÉdition de la Revue Blanche (p. 241-246).

SAUVEGARDE DES BICYCLETTES

De même que, sous la blouse d’un humble campagnard ou d’un modeste artisan, peuvent se percevoir les battements d’un cœur d’homme, de même aussi, sous la casquette élimée d’un simple contremaître, peut-on constater le grouillement sourd d’un cerveau de génie.

Si ces messieurs et dames veulent bien m’accorder une petite minute d’attention, on s’apercevra que mes paroles ne sont nullement mensongères, ni même exagératoires.

… Un des gros ennuis de la bicyclette réside en l’étrange facilité de son larcin.

Le cycle, en effet, a ceci de particulier qu’il sert à favoriser la fuite rapide de qui vient de le dérober, ce qui n’arrive point dans mille autres cas, comme, par exemple, le vol d’un sac de farine ou d’un lot d’escargots.

Frappés de cet inconvénient, les bécaniciens les plus en vogue cherchent depuis longtemps le moyen d’en pallier les funestes effets.

Ayons le courage de reconnaître que rien de sérieux ne fut encore accompli dans cette voie.

Il fallut qu’arrivât le simple contremaître à qui j’ai fait allusion un peu plus haut.

Le temps de se frapper le front, cet homme avait résolu la question, grâce à son petit appareil qu’il a baptisé le Pique-Cul.

… Pourquoi, mesdames, cacher vos pudiques roseurs derrière vos éventails ?

Et en quoi le mot de Pique-Cul vous effarouche-t-il tant ?

Si élevées aux Oiseaux que vous puissiez avoir été, n’avez-vous donc jamais prononcé les mots gratte-cul, cul-blanc, cul-de-sac, etc., etc ?

Eh bien ! alors ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Je continue :

Sans entrer dans des détails de construction trop techniques, qu’il vous suffise de savoir que le nouvel appareil se compose d’une forte aiguille longue d’environ 5 centimètres et dissimulée sous la selle de telle façon qu’elle peut prendre, grâce à un ressort, la position verticale ou horizontale.

Une légère ouverture circulaire, pratiquée dans le pégamoïd de la selle, permet le passage à pointe.

L’engin est complété par une bobine d’induction, dont un pôle correspond au guidon et l’autre à l’aiguille.

Et voilà !

Dès que vous êtes contraint d’abandonner votre machine, vous faites prendre à votre aiguille la position verticale, et vous vaquez tranquillement à vos occupations ou à vos besoins (cela ne regarde que vous).

Survient le voleur qui, d’un bond, saute sur votre machine avec l’agilité du sapajou lancé d’une main sûre.

Sous son poids, la selle fléchit et l’aiguille pénètre dans les parties les plus charnues de l’indélicat personnage.

Un courant électrique s’établit à travers son corps…

Ah ! le pauvre, il ne va guère loin, car une pelle prochaine a bientôt fait de le livrer à la justice de son pays !

Alors, vous, après avoir remis en état inoffensif votre cruel petit instrument, vous continuez votre route par les campagnes embaumées.

Est-ce pas simple à la fois et charmant ?

Présentez-vous de ma part chez notre vieux Comiot, représentant du Pique-Cul pour toute la France.

Amenez, sans le prévenir, un de vos amis auquel vous ferez jouer le rôle de voleur, et vous vous amuserez bien.