Pour cause de fin de bail/Pénibles Débuts

Pour cause de fin de bailÉdition de la Revue Blanche (p. 47-52).

PÉNIBLES DÉBUTS

Une des premières visites que fit ce jeune homme, débarquant à Paris, fut pour moi, moi son vieux concitoyen.

— Une place ? lui répondis-je, une belle place ? Vous cherchez une belle place ?

— Dam ! aussi belle que possible.

— Eh bien, mon cher ami, je puis vous en indiquer une superbe !

— Ah ! vraiment. Laquelle ?

— La place de la Concorde.

Cette facile plaisanterie, vieille déjà de pas mal d’années, continue à m’enchanter comme aux premiers jours (ainsi certains vieillards conservent jusqu’au seuil du sépulcre la plus réjouissante allégresse).

Le jeune homme consentit à sourire, mais je vis bien qu’il ne goûtait pas intégralement ma petite facétie.

Pour le remettre en joie, je l’entraînai vers un bar voisin que je connais et où l’on rencontre le seul gin buvable de Paris.

Un vieux camarade, étrange type et fertile en avatars, s’y trouvait déjà.

— Comment va ?

— Et toi ?… Rien de neuf ?

Je présentai mon jeune ami au personnage.

Justement cela tombait bien, le personnage venant d’acquérir un journal du soir et recrutant pour son organe une rédaction jeune, ardente et pas encore compromise. C’était touchant d’entendre le monsieur parler de la sorte.

Il fut convenu que mon protégé ferait partie du vespéral canard en question et qu’il écrirait chaque jour un Croquis de Paris de vingt ou trente lignes.

— Mais, protestait mollement le jouvenceau, je ne sais pas si je saurai, moi d’hier à Paris, écrire des choses bien parisiennes.

— Au contraire, mon garçon ! affirmait l’autre. Ce sera bien mieux ainsi. Vous verrez Paris sous l’angle charmant de vos yeux ingénus et vous le décrirez d’une plume non encore souillée des mille compromissions de la capitale !

(Mon vieux camarade use parfois de ces termes grandiloquents.)

— Alors, entendu.

— Quant aux appointements, — je vous avoue que je suis pour l’instant un peu serré, — je ne saurais donc vous gorger d’or. Je vous offre 150 fr. par mois — somme dérisoire, je le sais… Ce sera pour vos cigares…

— Je ne fume pas.

— Tous mes compliments, jeune homme ; je voudrais pouvoir en dire autant.

Ce fut donc convenu.

Dès le lendemain, le jeune homme entrait en fonctions.

Chaque jour, il abattit son petit Croquis de Paris, pas plus mal qu’un autre, ma foi, et même souvent de fort gentille tournure.

À la fin du mois, un peu ému, il se présentait à la caisse.

— Vous désirez ? fit l’argentier.

— Je suis M. Un Tel, j’appartiens depuis un mois à la rédaction du journal, à raison de 150 fr. par mois, lesquels cent cinquante francs j’aimerais bien toucher à cette heure.

— Je n’ai pas d’ordre, monsieur. Voyez le directeur.

D’un bond, le jeune homme était chez le directeur.

— On refuse à la caisse de me régler mon traitement de ce mois.

— Quel traitement ?

— Les 150 fr. que vous m’avez promis.

— Pardon, jeune homme, je vous ai, en effet, promis 150 fr. ; mais, avais-je ajouté, c’était pour vos cigares. Or, vous m’avez déclaré vous-même que vous ne fumiez pas.

—  !!!