Pour cause de fin de bail/De quelques réformes cosmiques

Pour cause de fin de bailÉdition de la Revue Blanche (p. 127-132).

QUELQUES RÉFORMES COSMIQUES

Dans un article récent de M. Sarcey, je relève le passage suivant :

« … Du reste, on ne saurait s’imaginer à quel point d’ingénuité, de superstition, pour ne pas dire plus, en sont restés les gens de mer.

» N’ai-je point entendu, cet été, entendu de mes propres oreilles, à Concarneau où je passai quinze jours avec ma famille, un brave homme de pêcheur m’affirmer sans rire que le va-et-vient des marées n’était dû qu’à l’influence de la lune, de la lune, oui, vous avez bien lu !

» Tous les efforts que je fis pour détromper ce naïf furent en pure perte.

» Qu’est-ce que la lune venait faire là-dedans ? m’acharnais-je à lui demander. On ne s’attendait guère à voir la lune en cette affaire.

» Je ne sais pas si cette bizarre croyance, qui doit remonter aux vieux Druides, est répandue chez tous les marins français, mais en Bretagne et en particulier à Concarneau, elle est admise comme parole d’évangile, et si d’aventure vous essayez de démontrer leur erreur à ces nigauds, ils vous feront comme à moi, ils vous traiteront de vieil imbécile… »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Mon cher oncle, je suis au désespoir de prendre parti contre vous, mais ils avaient raison, les gens du Concarneau et d’ailleurs : c’est vous qui avez tort.

Le mécanisme des marées ne connaît point d’autre ressort que l’attraction lunaire.

Et ce sujet fut même, au cours de l’été passé, la thèse d’une fort belle conférence que proféra M. Tristan Bernard au casino d’Étretat, sous ce titre : La terre aux terriens.

M. Tristan Bernard y déplorait qu’une planète de l’importance de la terre eût à compter pour la réglementation de ses marées avec — je ne veux froisser personne, mais enfin ! — avec ce pâle satellite qu’est la lune.

Le savant cosmographe étudia les différents moyens proposés pour échapper à cette influence et pour devenir maîtres chez nous, que diable !

Un système de barrages fut celui qui me parut le plus pratique, mais voici où je diffère d’avis avec M. Bernard : cette question qui n’est, en somme, qu’affaire de vanité assez mesquine, mérite-t-elle tant d’efforts et de si fortes dépenses ?

Une autre entreprise, autrement intéressante celle-là et combien plus pratique, pourrait se réaliser presque sans bourse délier.

Ne serait nécessaire que la parfaite entente d’un Congrès international, composé de savants, de géographes, de calculateurs, etc.

Suivez-moi bien.

Les deux pôles jouissent d’une basse température, chacun sait ça, comme dit la chanson.

À quoi tient ce frigide état de choses ?

Tout le monde vous le dira : à leur éloignement de l’équateur.

Si les pôles étaient près de l’équateur, on n’y verrait plus d’icebergs, et les ours blancs se transformeraient en lamas.

Or, voulez-vous avoir l’obligeance de me dire ce que c’est que l’équateur ?

C’est une ligne fictive (n’oubliez pas ce détail), fictive et périmétrique d’un grand cercle perpendiculaire à l’axe des pôles.

Qui nous empêcherait — je vous le demande un peu, — qui nous empêcherait de la déplacer, cette ligne, puisqu’elle est fictive ?

Car s’il y a quelque chose de facile à déplacer au monde, c’est bien une ligne fictive, nom d’un chien !

On la ferait alors passer par les pôles qui dégèleraient bientôt et offriraient plus de confortable aux navigateurs.

Voilà un projet pratique, simple, peu coûteux ; mais les régions équatoriales consentiront-elles ?

Au nom de l’humanité, on saura les y contraindre à coups de canon.