Pour cause de fin de bail/La Question des chapeaux féminins au théâtre

LA QUESTION DES CHAPEAUX FÉMININS AU THÉÂTRE

Je possède une cousine, jeune encore, mais que le ciel a gratifiée du plus exorbitant des sang-froids et d’un peu commun esprit de répartie.

Ajoutons qu’elle est veuve et qu’elle jouit d’une vingtaine de mille livres de rente, ce qui n’a jamais rien gâté, n’est-ce pas ? (Rien des agences.)

La petite histoire qui vient de lui arriver n’est pas de nature, pour vrai dire, à déranger l’ordre établi du firmament ; mais comme elle relève du tapis de l’actualité, je vais me permettre de vous la narrer, si toutefois vous voulez bien m’y autoriser. Vous en mourez d’envie, dites-vous.

Allons-y.

Il y a peu de jours, ou plutôt peu de soirs, ma cousine se trouvait au théâtre en société de l’une de ses amies.

Ces deux dames occupaient chacune un fauteuil d’orchestre.

Tout à coup, elles se retournèrent, attirées par du vacarme.

Un gros monsieur, placé juste derrière ma cousine, menait un tapage d’enfer.

— Y a-t-il du bon sens, hurlait-il, y a-t-il du bon sens, je vous le demande, messieurs, à venir au théâtre avec un chapeau pareil !

(Ma cousine — elle est, d’ailleurs, la première à le reconnaître — était affublée, ce soir-là, d’un chapeau un peu excessif pour assister à la comédie.)

— Mais, madame, insistait le monsieur de plus en plus furibond, quand on a un chapeau comme cela, on le laisse au vestiaire.

Et autres aménités semblables.

Ma cousine, laquelle se sentait légèrement dans son tort, ne répliqua rien et, pour avoir la paix, se contenta de changer de place.

À quelques jours de là, ces deux mêmes dames se trouvèrent dans un autre théâtre, toujours aux fauteuils d’orchestre.

Soudain, qui ma cousine aperçut-elle, installé juste dans le fauteuil devant elle ?

Vous l’avez deviné, astucieuses lectrices, c’était le gros et tumultueux monsieur de l’autre soir.

Ce gros monsieur, non satisfait d’être de corps énorme, aggravait son cas par une tête plus énorme encore, une tête énorme, énorme, qu’une toison crépue hissait au fantastique dans l’énorme !

Et cela n’était encore rien, si on n’avait pas vu ses oreilles !

Oh ! ses oreilles !

Imaginez-vous deux éventails plantés dans cette tête et plantés bien perpendiculairement au plan des joues.

C’est alors que ma cousine sentit éclater au meilleur creux de son cœur l’allègre fanfare des justes revanches.

— Y a-t-il du bon sens, s’écria-t-elle, empruntant au monsieur les propres termes de son trivial répertoire, y a-t-il du bon sens, je vous le demande, messieurs et mesdames, à venir au théâtre avec une tête pareille et de telles esgourdes !

Ce fut au tour du monsieur à en mener beaucoup moins large que ses oreilles.

— Madame, balbutia-t-il, madame.

— Mais, monsieur, insista ma cousine ! quand on a une tête et des oreilles comme cela, on les laisse au vestiaire. Madame l’ouvreuse, veuillez débarrasser monsieur de sa tête et de ses oreilles, car, interposés entre la scène et moi, ces appendices me prohibent en totalité la vue du spectacle.

Le monsieur passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, sans oublier les fameux rayons ultra-violets.

Après le premier acte, il prit son air de rien, et disparut sans qu’on le revît par la suite.

Encore un, je le parie, qui n’osera plus hurler contre les chapeaux féminins au théâtre, ou s’il hurle, ce sera tout bas.