Pour cause de fin de bail/Bottons nos animaux domestiques, mais bottons-les bien

BOTTONS NOS ANIMAUX DOMESTIQUES, MAIS BOTTONS-LES BIEN

Pour peu qu’on soit affublé de la moindre fille, ou de la moindre jeune sœur, ou de la moindre pas très âgée cousine ou de toute autre gracieuse et analogue parente, on connaît la Revue pour les jeunes filles.

Chaque fois qu’il m’arrive de feuilleter cet aimable périodique — bien que n’étant point jouvencelle — je suis certain d’y enrichir mon esprit de quelque connaissance nouvelle.

C’est ainsi que, ayant lu Sur les routes de Russie, une relation des plus intéressantes, signée Mme Stanislas Meunier, j’ai appris l’existence, du côté de Bakou, des oies bottées.

Je laisse la parole à la charmante et littéraire femme du savant géologiste bien connu :


LES OIES BOTTÉES

Ces oies sont très abondantes dans le steppe : tout comme les chameaux, les chevaux, les moutons, elles y font des bandes nombreuses ; et quelquefois toutes ces bêtes disparates de forme, mais également végétariennes et paisibles, sont réunies en un troupeau commun.

Les oies ne sont pas créées pour pâturer éternellement, toutes blanches sur des terres noires. Elles doivent achever leur destinée, dorées dans un plat. Mais pour arriver du steppe dans le plat, il faut faire bien des étapes, car les distances sont longues, et cinq cents kilomètres séparent quelquefois le nid du four. Transporter les oies en chemin de fer, vous n’y songez pas ! On ne voiture là-bas que les chrétiens, ou tout au plus les musulmans, quand ils sont riches. Les oies vont à pied. Mais comme elles ont les pattes tendres, on les botte.

On les botte !… Ne vous récriez pas. Les fausses nouvelles du Congrès, rarement absurdes, s’appuient ordinairement sur de la vraisemblance. Les bottes des oies ne sont pas de celles qu’on fabrique dans les cordonneries ; elles sont une invention simple et sublime, comme celle des tuyaux à pétrole et des wagons-citernes. Donc, on chasse les oies, à coup de trique, sur une aire résineuse, puis sur une aire de petits cailloux ; les pattes poissées se recouvrent de gravier ; l’enduit s’agglutine et sèche. Comprenez-vous ?… Les oies ayant la palmature protégée par des brodequins pierreux à double semelle, peuvent hardiment aller de l’avant, ce qu’elles font à grand bruit, comme autant de statues du Commandeur en marche.

Je crois que le journaliste scientifique bien connu, M. Alphonse Allais, était membre du Congrès.

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Non, madame Stanislas Meunier, je ne faisais pas partie du Congrès de Bakou, ces messieurs organisateurs ayant totalement négligé de m’inviter, et moi n’ayant pas coutume de me rendre aux endroits où je ne suis pas mandé.

Je le regrette, car sur ces questions des oies bottées, j’aurais pu émettre quelques idées tant personnelles qu’acquises et singulièrement perfectionner le système russe.

Écoutez plutôt :

En Nouvelle-Zélande un procédé analogue est appliqué aux pattes des autruches, mais combien plus scientifique et plus ingénieux ! Suivez-moi bien.

On fait barboter les volatiles dans une auge contenant une solution de caoutchouc mélangée à du carbonate de magnésie.

Au bout de quelques séances successives de trempages et de dessications, les pattes des autruches se trouvent enfermées dans une grosse boule de substance élastique.

Mais ce n’est pas tout !

Pour rendre cette substance plus élastique encore, on promène nos autruches sur du sable surchauffé.

Qu’arrive-t-il ?

Le carbonate de magnésie se décompose sous l’influence de la chaleur : de grosses bulles d’acide carbonique se forment dans la masse de caoutchouc, produisant autant de petits pneux et augmentant incroyablement l’élasticité de la matière.

D’autre part, la magnésie devenue libre n’a plus qu’une ressource, c’est de vulcaniser notre caoutchouc, mission dont elle s’acquitte à la satisfaction générale.

Les autruches se trouvent ainsi bottées pour la vie et bottées d’admirables pneus qui donnent à leur allure une légèreté, une grâce inexprimables, sans compter que la vitesse des bêtes s’en trouve presque doublée et la fatigue pour ainsi dire abolie.

Voilà du progrès ou je ne m’y connais pas !