Librairie du Jardin d'Acclimatation (p. 27-29).

IV

L’OISEAU MOQUEUR

Voilà assurément un des oiseaux les plus curieux du nouveau monde, plein de vivacité et de grâce, à l’œil américain, au regard oblique et narquois.

C’est un citoyen des États-Unis ; il ne porte point d’uniforme éclatant comme le perroquet et le toucan ; il n’a point de panache, ni de manteau, ni de jabot, ni d’épaulettes, ni de couronne ; il est tout bonnement vêtu de gris foncé, comme il convient à un oiseau protestant et républicain.

Sa seule parure consiste en une belle écharpe blanche qui fait le tour de ses ailes on dirait qu’elle se dénoue, qu’elle flotte, quand l’oiseau prend son vol. Elle n’a rien de municipal. Ce n’est pas l’écharpe d’un maire, c’est la ceinture éclatante et légère d’une jeune Yankee de New-York ou de Boston.

Le grand luxe de l’Oiseau moqueur, c’est son ramage, c’est sa langue, la mieux pendue, certainement, qui ait jamais babillé dans les forêts américaines.

Rien de flexible et d’harmonieux, de varié, de comique, de stupéfiant, comme cette voix qui se fait l’écho spirituel et moqueur de tous les sons, de tous les cris, de tous les chants, de tous les bruits.

Il siffle, brame, hennit, croasse, miaule, bourdonne, soupire, mugit, bêle, aboie. On dirait qu’il a avalé toute une ménagerie, qu’il porte la tour de Babel dans son gosier. On l’écoute, et l’on croit assister à un concert de l’arche de Noé.

Imitateur incomparable, critique infatigable et joyeux, il jette l’ironie de sa voix, à tous vents, contrefait ceux-ci, se rit de ceux-là, et se moque de tout le monde. Son talent égale sa malignité ; entre l’Oiseau moqueur et le geai, il y a la différence qui sépare un artiste d’un cabotin.

L’Oiseau moqueur a élevé la parodie à la hauteur d’un chant. Mais il a son chant à lui, dont aucun oiseau n’oserait se moquer, des airs charmants qu’il crée, qu’il improvise, en se jouant d’arbre en arbre. Alors il est sérieux, convaincu, inspiré. Il chante avec conscience, avec amour, quelque tendre chanson qu’on écoute et qu’on répète sous la feuillée.

Mais bientôt, revenant à ses tons railleurs, à ses fantaisies compliquées et bizarres, il imite le bruit du tonnerre, le galop d’un cheval, le chant d’un confrère, ou le grincement d’un violon campagnard. Après l’émotion, le bruit ; après les soupirs, la gaieté ; après l’art, la farce. Tout à coup la forêt retentit de mille chansons, des refrains les plus étranges et les plus divers. Un oiseau chante : c’est l’Oiseau moqueur qui, à lui seul, est toute une volière et tout un concert.

Semblable à ces artistes ambulants couverts d’instruments de musique qu’ils font retentir tous à la fois, l’Oiseau moqueur est l’homme-orchestre des forêts du nouveau Monde.