Portraits contemporains/Tome 1/George Sand/Lélia, 1833

Michel Lévy frères, éditeurs (Tome premierp. 495-523).

GEORGE SAND.

— Lélia, 1833. —

On doit être frappé du singulier mouvement moral et littéraire qui se déclare en France chez les femmes, d’une manière croissante, depuis les dernières années. À toutes les époques, sans doute, des personnes du sexe, nées la plupart dans des conditions de loisir où la culture de l’esprit est facile, avaient attiré l’attention par des romans, des lettres, des poésies, des livres d’éducation. Mme de Staël avait uni à des dons puissants d’imagination et de sensibilité un coup d’œil politique et philosophique fort étendu ; mais elle faisait exception dans son sexe, et, depuis elle, la prétention de nos femmes, même les plus distinguées, s’était restreinte à des chants suaves, à de délicates peintures, à une psychologie fine et tendre sous l’aile du christianisme. Or, voici que depuis trois ans environ, depuis que, d’une part, le bon ton rangé et le vernis moral de la Restauration ont disparu, et que, d’autre part, le Saint-Simonisme a fait entendre ses cris d’émancipation et ses appels multipliés, voici que l’esprit d’indépendance a remué les femmes comme le reste, et qu’une multitude d’entre elles prenant la parole, dans des journaux, dans des livres de contes, dans de longs romans, sont en train de confesser leurs peines, de réclamer une part de destinée plus égale, et de plaider contre la société. Est-ce là un pur caprice sans importance, une mode passagère qui ne tient à aucune cause sérieuse et qui ne vise à aucun effet ? Est-ce un dernier écho perdu de la tentative saint-simonienne ? Cette tentative, qui a été si impuissante pour rien édifier, a eu le mérite de mettre à nu plusieurs plaies de l’ordre social ; on a mieux senti en particulier ce qu’avaient d’irrégulier et de livré au hasard la condition de la femme, son éducation d’abord, et plus tard dans le mariage son honneur et son bonheur. Les peintures que faisaient à ce sujet les prédicateurs saint-simoniens étaient sans doute excessives et ne tenaient nul compte de beaucoup des adoucissements de la réalité ; mais sur certains points, le trait n’était que juste, et bien des cœurs jusque-là muets et contenus y répondirent avec tressaillement. Aujourd’hui donc, de toutes parts, les femmes écrivent ; chacune a son secret, son roman douloureux à l’appui du plaidoyer d’émancipation, et chacune le livre. Ce ne sont plus seulement des femmes du monde et d’un rang distingué, comme on disait, qui se délassent de la sorte ; ici comme ailleurs il n’y a plus de rang, et la démocratie coule à pleins bords. De quelque manière qu’on veuille interpréter ces symptômes évidents, qu’on y voie, comme les plus illuminés semblent le croire, l’annonce de je ne sais quelle femme miraculeuse destinée à tout pacifier ; qu’on y voie simplement, comme certains esprits plus positifs, la nécessité de réformer trois ou quatre articles du Code civil, nous pensons qu’il doit y avoir sous ce singulier phénomène littéraire une indication sociale assez grave ; nous aimons surtout à y voir un noble effort de la femme pour entrer en partage intellectuel plus égal avec l’homme, pour manier toutes sortes d’idées et s’exprimer au besoin en sérieux langage. Le sexe en masse ne deviendra jamais auteur, nous l’espérons bien ; mais beaucoup d’ignorances et d’interdictions seront levées pour lui, dussent même quelques grâces d’Agnès y disparaître. Aux abords de l’ordre social où nous touchons, en des situations de plus en plus rapprochées et nivelées, la femme aura à se pourvoir de moins de culte et de plus d’estime.

Parmi les femmes qui se sont ainsi lancées, la plainte à la bouche, dans cette mêlée, la plus éloquente, la plus hardie, la première de bien loin en talent, a été sans aucun doute l’auteur d’Indiana, l’accusatrice de Raymon de Ramière. Nous avons essayé autrefois de caractériser le genre de mérite et d’intérêt de ce premier ouvrage, mais sans faire assez ressortir peut-être l’inspiration philosophique et l’esprit de révolte contre la société qui perçait en maint endroit ; ce même esprit, qui ne s’était montré dans Valentine que sous des nuances moins directes et plus distrayantes, vient d’éclater avec toute son énergie et sa plénitude dans Lélia, roman lyrique et philosophique. Vers l’âge de trente ans, combien n’est-il pas actuellement de femmes qui, belles encore, ayant devant elles, ce semble, un riant automne de jeunesse, sentent pourtant en leur cœur l’ennui, la mort, l’impuissance d’aimer et de croire ! Elles ont été trompées une ou deux fois ; elles se sont heurtées en leur premier élan contre l’égoïsme et la fatuité vulgaire : les unes se veulent guérir en trompant désormais à leur tour ; les autres gardent en leur sein la cendre et dévorent leurs pleurs. S’il en est de plus fortes, de plus puissantes d’essor, de plus orgueilleusement douées, sentant ainsi cette vie d’amour éteinte, elles doivent frémir de colère, se frapper, souvent la poitrine, redemander la flamme perdue à tous les êtres, et, dans leurs moments égarés, en vouloir aux hommes et à Dieu, à la société, à la création elle-même. Telle est l’idée de Lélia.

Mais cette idée, qui, si elle avait été réalisée selon des conditions naturelles d’existence, dans un lieu, dans un encadrement déterminé, et à l’aide de personnages vivant de la vie commune, aurait été admise des lecteurs superficiels et probablement amnistiée, cette même idée venant à se transfigurer en peinture idéale, à se déployer en des régions purement poétiques, et à s’agiter au loin sur le trépied, a dû être l’objet de mille méprises sottes ou méchantes : on n’a jamais tant déraisonné ni calomnié qu’à ce sujet.

Comme il était arrivé qu’aux approches et aux environs de Lélia le mot de roman intime avait été prononcé par je ne sais qui[1], et sans qu’on eût, je le crois bien, la pensée de faire à Lélia l’application de ce mot, les plus subtils et les plus clairvoyants critiques ont à l’instant dénoncé l’œuvre nouvelle comme un formidable signal d’invasion, comme le monstre du genre. Il est merveilleux de voir combien, en ce temps-ci, une idée vraie ou fausse, une fois trouvée, devient précieuse. On en vit, on se la passe, elle circule d’un feuilleton à l’autre ; c’est la multiplication des cinq pains et des deux poissons, c’est une économie miraculeuse. Au lieu de signaler dans Lélia la véritable donnée génératrice, la pensée mi-partie saint-simonienne et mi-partie byronienne, au lieu d’y relever le côté original et senti, d’y blâmer le côté rebattu et déclamatoire, au lieu de saisir la filiation étroite de cette œuvre avec les précédentes de l’auteur, et d’apprécier cette Lélia au sein de marbre comme une sorte d’héroïne vengeresse de la pauvre Indiana, on a chicané sur une question de forme et d’école, on a reproché à l’écrivain l’abus du genre intime, comme s’il y avait le moindre rapport entre le genre intime et le ton presque partout dithyrambique, grandiose, symbolique ainsi qu’on l’a dit, et même par moments apocalyptique de ce poëme.

Mais c’était peu, et une autre découverte moins innocente, ayant succédé à la première, n’a pas tardé à être mise en circulation et à tout dominer. Je me garderai bien de répéter ici les accusations voilées que la pudeur de ces autres critiques n’osait articuler sur le sens ineffable du livre : il faut laisser certaines pensées où elles sont nées. Deux ou trois passages de Lélia pouvaient mériter, à coup sûr, des reproches et soulever des scrupules par une grande nudité d’aveu ; mais le sérieux continu et l’élévation du sentiment rendaient ces passages mêmes beaucoup plus chastes que les trois quarts des scènes triviales qu’admirent et célèbrent nos critiques dans les romans de chaque jour. Aussi ç’a été un curieux spectacle que ce débordement soudain de continence et de chasteté virginale de la part des vigoureux convertis ; chaque critique, subitement recouvert du bouclier de diamant de la vertu, est venu en accabler à son tour l’impie, l’effrontée Tarpéia.

L’idée réelle de Lélia, avons-nous dit, est l’impuissance d’aimer et de croire, la stérilité précoce d’un cœur qui s’est usé dans les déceptions et dans les rêves. Le front reste uni et pur, les cheveux sont noirs, abondants comme toujours ; la taille élégante et haute n’a pas fléchi. Le regard se promène avec dédain ou sérénité sur le monde, l’intelligence des choses n’a jamais été si limpide ; mais où est la vie, où est l’amour ? Si l’on me demande ce que je pense de la moralité de Lélia, dans le seul sens où cette question soit possible, je dirai que, les angoisses et le désespoir d’une telle situation d’âme ayant été admirablement posés, l’auteur n’a pas mené à bon port ses personnages ni ses lecteurs, et que les crises violentes par où l’on passe n’aboutissent point à une solution moralement heureuse. Le souffle général du livre est un souffle de colère par la bouche de Lélia ; et l’on n’a pour se délasser, pour se rafraichir de ce vent âpre et contraire, que le stoïcisme glacé de Trenmor. Ce Trenmor, qui représente la vertu et l’impassibilité finale après l’expiation, n’est pas un être à l’usage des hommes ; il ne console ni ne dirige personne. C’est un dieu d’Épicure, baptisé d’un nom d’Ossian et descendu assez mal à propos sur la terre. Il n’empêche aucun malheur ni aucune faute. Sténio se moque de lui vers la fin ; Magnus ne l’attend pas pour faire son crime. Ce Trenmor signifie simplement qu’on se guérit à la longue des vices et des douleurs, si toutefois on est assez fort et assez, heureux pour s’en guérir. Or, excepté lui, pourtant, il n’y a dans le livre entier qu’une grande complication de plainte et d’amertume ; il y a le sentiment immense d’un mal sans remède ; et ce mal, au lieu de se rapporter à certaines circonstances sociales et d’être relatif au sort des individus en question, envahit tout, se généralise dans la création comme dans la société, accuse la Providence autant que les lois humaines. Il est arrivé de là qu’une œuvre si pleine de puissance et souvent de grâce, mais où ne circule aucun zéphyr mûrissant, a paru extraordinaire plutôt que belle, et a effrayé plutôt que charmé ceux qui admirent sur la foi de leur cœur.

Comme la donnée première de Lélia est tout à fait réelle et a ses analogues dans la société où nous vivons, j’ai eu peine à ne pas regretter, malgré l’éclat prestigieux de cette forme nouvelle, que l’auteur ne se fût pas renfermé dans les limites du roman vraisemblable. Cette situation de Lélia et de Sténio, qui était exactement l’inverse de celle d’Adolphe et d’Ellénore dans le roman de Benjamin Constant, cette présence de Trenmor, c’est-à-dire d’un homme mûr, ironique, que Lélia estime, qui comprend Lélia, et qui porte ombrage à Sténio ; c’était là un germe heureux que la réflexion eût pu développer dans le sens de la réalité aussi bien que dans celui de la poésie et du symbole. Les plaintes sur la société, les conversations métaphysiques elles-mêmes y auraient trouvé place, mais avec plus de précision souvent, dans des scènes plus particularisées ; et ainsi eût été évité le voisinage de Byron, dont l’ombre doit se rencontrer trop aisément sur ces cimes imaginaires de Monte-Verdor ou de Monte-Rosa. En passant d’ailleurs à l’état de représentation idéale et de symbole, les personnages ou les scènes, dont la première donnée était, pour ainsi dire, à terre, n’ont pu éviter, au moment indécis de leur métamorphose, de revêtir un caractère mixte et fantastique qui ne satisfait pas. On s’accoutume difficilement à l’idée que Trenmor, cet homme et ce nom des régions inconnues, ait été dix ans au bagne à Toulon. Dans la scène du choléra, Lélia atteinte et déjà bleue discute avec le docteur et s’exhale vers son amant, comme les demi-dieux blessés n’auraient pas assez d’haleine pour le faire. Je ne reprocherai pas l’invraisemblance au bal du prince de’Bambuccj et à tout ce qui s’y passe : là, nous sommes en pleine féerie, dans le songe d’une nuit d’été, d’une nuit orientale ; mais nous n’y sommes plus, ou du moins nous ne devrions plus y être, lors de la description du couvent des Camaldules, et pourtant la fantaisie continue. Ce mélange de réel et d’impossible, qui était presque inévitable dans un roman-poëme, déconcerte un peu et nuit à la suite de l’émotion. L’auteur a heurté à plusieurs reprises cet écueil, bien que chaque fois il ait tâché de le recouvrir sous d’immenses richesses.

Comme témoignage de lui-même, comme déploiement de sa force et de son talent, si l’auteur n’avait visé qu’à cela, Lélia atteindrait certes le but. On peut plus ou moins aimer cette œuvre, selon qu’on y reconnaît plus ou moins les pensées et la situation de son âme, selon qu’on est plus ou moins facile à la vibration poétique ; on peut la réprouver plus ou moins vivement, selon qu’on est plus ou moins sûr d’avoir trouvé le remède moral et la vérité ; mais on ne peut qu’être émerveillé de ces ressources infinies dans une femme qui a commencé, il y a environ dix-huit mois, à écrire. En lui désirant plus de calme dans la conception, et une continuité plus réfléchie, on admire cette rare faculté de style et cette source variée de développements. J’irai même jusqu’à reprocher à ce style ses formes trop savantes, trop arrêtées, qui n’ont jamais de défaillances gracieuses, de négligences irrégulières, comme Jean-Jacques ne se les permettait pas, comme Mme de Sévigné et tant d’écrivains du grand siècle en offrent délicieusement. Il y a certains replis délicats de la pensée qui ne se trahissent que par ces oublis de l’écrivain. L’auteur de Lélia n’a point de ces oublis : il m’a semblé que quelquefois même son talent seul achevait un développement qui était commencé avec l’âme. Les couleurs, la science, l’harmonie, affluent, se combinent et ne font jamais faute ; mais je préférerais encore une expression plus voisine du sentiment, fût-elle incomplète par endroits. J’attribue à la rapidité de l’exécution ce surcroît de talent qui, d’après ma conjecture, vient au secours de la pensée primitive et la perd bientôt de vue en allant au delà. Il est nécessaire à un auteur, en ces sortes de compositions, de s’arrêter souvent et de n’avancer que pas à pas, pour suivre sans écart le courant caché.

Mais il y a bien des passages dans Lélia où toutes les grâces du talent ne sont employées qu’à nuancer et à revêtir les sentiments les plus éprouvés, les émotions les plus présentes. Ainsi dans la confession même de Lélia, lorsqu’elle raconte les mystères de sa solitude, sa retraite au vieux couvent, et tous les détails enchanteurs de sa claustration volontaire : « Je relevai en imagination les enceintes écroulées de l’abbaye ; j’entourai le préau, ouvert à tous les vents, d’une barrière invisible et sacrée ; je posai des limites à mes pas, et je mesurai l’espace où je voulais m’enfermer pour une année entière. Les jours où je me sentais agitée au point de ne pouvoir plus reconnaître la ligne de démarcation imaginaire tracée autour de ma prison, je l’établissais par des signes visibles ; j’arrachais aux murailles décrépites les longs rameaux de lierre et de clématite dont elles étaient rongées, et je les couchais sur le sol aux endroits que je m’étais interdit de franchir : alors, rassurée sur la crainte de manquer à mon serment, je me sentais enfermée dans mon enceinte avec autant de rigueur que je l’aurais été dans une bastille. » J’indiquerai encore dans le début toute cette promenade poétique du jeune Sténio sur la montagne, la description si animée de l’eau et de ses aspects changeants, et, au sein de la nature vivement peinte, les secrets surpris au cœur : « Couché sur l’herbe fraîche et luisante qui croît aux marges des courants, le poëte oubliait, à contempler la lune et à écouter l’eau, les heures qu’il aurait pu passer avec Lélia : car à cet âge tout est bonheur dans l’amour, même l’absence. » On pourrait, chemin faisant, noter dans Lélia une foule de ces douces et fines révélations, dont l’effet disparaît trop dans l’orage de l’ensemble.

Quoi qu’il en soit, Lélia, avec ses défauts et ses excès, est un livre qui méritait grandement d’être osé. Si la rumeur du moment lui semble contraire, la violence même de cette rumeur prouve assez pour l’audace de l’entreprise. Nous aurions souhaité au livre un ton plus apaisé, des conclusions plus consolantes, plus de conduite et de tempérance, en quelque sorte ; mais n’eût-ce pas été en changer la nature et y retrancher une portion notable des qualités ou défauts extraordinaires ? Lélia, d’ailleurs, est un ouvrage une fois fait ; il n’est pas à craindre que l’auteur continue cette manière et donne suite à ce genre. L’auteur, nous l’espérons, reviendra au roman de la vie réelle, comme Indiana et Valentine l’ont posé ; mais il y reviendra avec toute la force acquise dans une excursion supérieure. Parmi les personnages et portraits charmants déjà en foule échappés à sa plume, nous en savons un dont nous voudrions lui inculquer le souvenir, parce qu’en même temps qu’il est proche parent de Lélia pour les principales circonstances, il a, dans le caractère et dans l’expression, la mesure, la grâce, la nuance qu’on aime et qui attire tout lecteur : ce personnage est celui de Lavinia, que l’auteur a peinte dans une Vieille Histoire. Si le souffle et l’accent de Lavinia se font sentir dans les productions futures de l’auteur, au lieu de l’ironie et de l’invective éloquente de Lélia, nous louerons alors Lélia avec beaucoup plus de sécurité. Nous admirerons encore plus le poëte d’avoir enfanté cette grande figure, dès que nous verrons qu’il ne vit plus sous son ombre.

Septembre 1833.




C’est ici le lieu tout naturel de parler de mes premières relations avec George Sand. Je voudrais pouvoir le faire aussi complètement que possible, parce que rien, selon moi, ne plaiderait plus en faveur de ce beau génie que les confidences d’amitié dont j’ai été le dépositaire à un moment bien décisif et critique de sa vie. Dès aujourd’hui pourtant je puis indiquer le caractère d’une liaison dont elle-même a si bien parlé en ses Mémoires.

Lorsque je commençai à écrire sur George Sand et que je donnai au National les articles qu’on a pu lire sur Indiana et sur Valentine, je ne la connaissais nullement. Ces deux romans m’avaient été signalés comme écrits par une jeune femme qui venait assez souvent dans un cabinet de lecture de la place de l’Odéon et qui vivait d’une vie originale, d’une vie de garçon et d’étudiant. Je ne savais rien de plus, que de la manière la plus vague et par ouï-dire. L’article sur Indiana passa sans que je reçusse de ses nouvelles ; mais après l’article sur Valentine, Planche qui la connaissait déjà me dit que l’auteur désirait me voir pour me remercier. Nous y allâmes un jour vers midi ; elle habitait depuis peu, et seule, le logement du quai Malaquais. Je vis en entrant une jeune femme aux beaux yeux, au beau front, aux cheveux noirs un peu courts, vêtue d’une sorte de robe de chambre sombre des plus simples. Elle écouta, parla peu et m’engagea à revenir. Quand je ne revenais pas assez souvent, elle avait le soin de m’écrire et de me rappeler. En peu de mois ou même en peu de semaines une liaison étroite d’esprit à esprit se noua entre nous. J’étais garanti alors contre tout autre genre d’attrait et de séduction par la meilleure, la plus sûre et la plus intime des défenses. Ce préservatif contre un sentiment d’amour en présence d’une jeune femme qui excitait l’admiration fut précisément ce qui fit la solidité et le charme de notre amitié. George Sand voulut bien me prendre, à ce moment délicat de sa vie où elle arrivait à la célébrité, pour confident, pour conseiller, presque pour confesseur. J’ai entre les mains les lettres les plus vraies, les plus naïves, les plus modestes, dans lesquelles elle s’ouvrait à moi et de son cœur et de son talent. C’est trop vif, trop sincère, trop plein surtout de noms propres, pour pouvoir être donné en entier. Voici pourtant quelques-uns de ces billets pris au hasard et qui me font trop d’honneur ainsi qu’à elle pour que je ne saisisse pas l’occasion qui s’offre de les montrer aux amis comme aux ennemis, si elle pouvait en avoir encore. Les deux ou trois premiers qui tranchent par le ton sont les seuls qui soient légèrement cérémonieux ; le monsieur tomba vite entre nous.


« (Janvier 1833.) Serai-je bien indiscrète si je vous demande deux places pour la première représentation de Lucrèce Borgia ? Vous êtes l’ami de Victor Hugo, et nous sommes, mon pseudonyme et moi, ses fervents admirateurs. Il ne peut pas vous refuser, et il ne doit pas nous repousser de la foule qui veut son triomphe.

« Si je suis importune, cependant, dites-le moi, mais venez me le dire vous-même. J’en subirai l’arrêt avec plus de résignation. »


« (Février 1833.) Je vous remercie, monsieur, de ne m’avoir pas oubliée pour ces places de théâtre ; mais ce que je désire le plus, c’est de vous voir. Voulez-vous venir jeudi à onze heures du matin ? car c’est jeudi le jour de la représentation, je crois, et je suis forcée de sortir à midi. J’ai si rarement le plaisir de vous recevoir, que je ne veux pas le perdre encore cette fois. »


« (18 février 1833.) Vous êtes venu me voir, aujourd’hui, monsieur, et je n’y étais pas ; et vous venez si rarement ! Vous avez demandé à M. Planche à quelles heures il fallait venir pour me trouver. Il faut venir à toutes les heures que vous voudrez ; j’y serai toujours pour vous, tant que j’y serai réellement ; et, quand réellement je n’y serai pas, il ne faudra pas me compter votre carte pour une visite ; il faudra revenir le lendemain.

« Il faut surtout que vous ne me haïssiez pas ; car moi, je désire beaucoup votre amitié. Cela est peut-être ridicule à vous dire, mais quand on se sent dans le vrai, on ne recule pas devant la crainte des fausses interprétations. D’ailleurs ce n’est pas vous, qui comprenez si bien la pensée de toutes choses, qui pouvez être un mauvais juge de la mienne. »


Vers ces premiers temps de notre connaissance, qui coïncidait avec l’entrée de George Sand à la Revue des Deux-Mondes, les directeur et propriétaires de cette Revue réunirent les principaux de leurs rédacteurs ou amis à un dîner chez Lointier, rue Richelieu. Mme Sand y fut invitée, elle était la seule femme. Elle y fut amenée par Planche qui lui servait de cavalier, et qui était alors dans une de ses courtes et rares périodes d’élégance ; elle connaissait très-peu d’entre nous, trois ou quatre au plus ; elle fut l’objet d’une vive curiosité qu’elle soutint simplement et avec bon goût, observant, parlant peu ; elle se retira de bonne heure. Jouffroy, Alexandre Dumas, Auguste Barbier, s’il m’en souvient, étaient de ce dîner ; point Alfred de Musset. Le lendemain j’avais précisément rendez-vous le soir chez George Sand pour lui lire quelques chapitres du roman que je faisais alors (Volupté) : elle devait elle-même me lire des pages de Lélia qu’elle écrivait dans le même temps. Il est question de cette double lecture dans les lettres qui suivent : elle m’y loue plus que je ne le méritais, et elle se montre plus sévère pour elle qu’il n’était juste. Elle était alors dans une veine d’amertume et de misanthropie sociale, à la veille de rompre un lien déjà ancien, dans un véritable isolement moral, et se demandant quels amis et quel ami elle se pourrait choisir parmi tous ces visages nouveaux de gens à réputations diverses qu’elle affrontait pour la première fois. Elle nous croyait meilleurs que nous n’étions, et elle se croyait pire. On va voir qu’elle eut envie, d’après quelques paroles que je lui en avais dites, de se faire présenter Jouffroy. L’idée d’Alfred de Musset, dont elle me savait ami, lui traversa dès lors l’esprit, mais elle la rejeta pour l’instant. Le mieux, maintenant, est de la laisser parler elle-même :


« (Mars 1833.) Sauf à passer pour une écriveuse comme Mme A…, je veux vous faire l’injure d’un billet, Je ne vous ai pas assez dit l’impression que m’a faite votre livre. Vous savez comme on est gêné par la figure des gens,… et juger n’est pas mon état. Mais il m’a pénétré le cœur comme eût fait le récit d’une vie douloureuse et puissante, dite avec des mots simples et profonds… Comme vous valez mieux que moi, mon ami ! comme vous êtes plus jeune, plus vertueux et plus heureux ! Après avoir écouté Lélia, vous m’avez dit une chose qui m’a fait de la peine : vous m’avez dit que vous aviez peur de moi. Chassez cette idée-là, je vous en prie, et ne confondez pas trop l’homme avec la souffrance. C’est la souffrance que vous avez entendue, mais vous savez bien comme en réalité l’homme se trouve souvent au-dessous, et par conséquent moins poétique, moins méchant et moins damné que son démon…

« Dites-moi le soir que vous pourrez me donner, afin que j’aie l’autre moitié de mon manuscrit. Vos encouragements me donneront la force d’achever. Vraiment c’est une chose triste que ce livre, et s’il pouvait me faire concevoir l’ennui de mon ennui, ce serait le seul bien dont il fut capable. Mais travaillez au vôtre afin qu’il serve de contre-poison… Et ne croyez pas trop à tous mes airs sataniques : je vous jure que c’est un genre que je me donne. À propos, réflexion faite, je ne veux pas que vous m’ameniez Alfred de Musset. Il est très-dandy, nous ne nous conviendrions pas, et j’avais plus de curiosité que d’intérêt à le voir. Je pense qu’il est imprudent de satisfaire toutes ses curiosités, et meilleur d’obéir à ses sympathies. À la place de celui-là, je veux donc vous prier de m’amener Dumas en l’art de qui j’ai trouvé de l’âme, abstraction faite du talent. Il m’en a témoigné le désir, vous n’aurez donc qu’un mot à lui dire de ma part : mais venez avec lui la première fois, car les premières fois me sont toujours fatales.

« Dimanche soir. »


Elle entendait par là que les premières fois elle était toujours embarrassée, silencieuse, et ne laissant point à ceux dont elle faisait cas l’impression qu’elle aurait voulu.

Consulté par elle sur les personnes et leur caractère, et me tenant un peu trop sans doute à mon propre point de vue, je lui conseillais de se faire des amis distingués, sérieux, et à force de m’écarter du genre camarade, je ne prenais pas garde que j’allais donner dans le doctrinaire. Elle me le faisait assez bien sentir, tout en s’y prêtant avec une sorte de docilité gracieuse :


« Mardi soir,

« Mon ami, je recevrai M. Jouffroy de votre main. Quelque peu disposée que je sois à m’entourer de figures nouvelles, je vaincrai cette première suggestion de ma sauvagerie, et je trouverai, sans doute, dans la personne recommandée par vous si chaleureusement toutes les qualités qui méritent l’estime.

« Prévenez-le, je vous prie, de mon extérieur sec et froid, de la paresse insurmontable et de l’ignorance honteuse qui me rendent silencieuse la plupart du temps, afin qu’il ne prenne pas pour de l’impertinence ce qui est chez moi une habitude, un travers, mais non pas une malveillante intention. J’ai vu, à la figure de M. Jouffroy, qu’il pouvait avoir l’âme belle et l’esprit bien fait, mais je lui reconnaîtrai peut-être la possession de ces choses (très-rares et très-estimables à coup sûr) sans une très-grande admiration. Il y a des hommes qui viennent au monde tout faits et qui n’ont pas de lutte à soutenir contre les écueils où les autres s’engagent et se choquent : ils passent au travers sans savoir seulement qu’ils existent, et parfois ils s’étonnent de voir tant de débris flotter autour d’eux. Je crains un peu ces hommes vertueux de naissance. Je les apprécie bien comme de belles fleurs et de beaux fruits, mais je ne sympathise pas avec eux ; ils m’inspirent une sorte de jalousie mauvaise et chagrine : car, après tout, pourquoi ne suis-je pas comme eux ? Je suis auprès d’eux dans la situation des bossus qui haïssent les hommes bien faits : les bossus sont généralement puérils et méchants, mais les hommes bien faits ne sont-ils pas insolents, fats et cruels envers les bossus ?

« Au reste, tout ceci doit être pris par vous d’une façon plutôt générale qu’applicable absolument à M. Jouffroy. Je ne prétends pas le juger sans le connaître ; je ne veux pas négliger de le connaître par la seule crainte de le trouver trop régulièrement bon. Vous me dites de lui des choses qui s’accordent fort bien avec l’idée que j’en ai, et qui me confirment dans une opinion que j’ai de tous les hommes, c’est qu’il n’y a pas de confiance entière possible à réaliser : les gens qu’on estime, on les craint, et on risque d’en être abandonné et méprisé en se montrant à eux tel qu’on est ; les gens qu’on n’estime pas comprendraient mieux, mais ils trahissent.

« Cela est triste ; mais ce qui prouve que c’est vrai, c’est que, cela même, il faudrait le penser et ne pas le dire.

« Or, cette idée de solitude éternelle qui vous saisit et vous serre au sein des plus vives et des plus saintes affections, c’est une idée très-sombre et très-difficile à accepter. Tant qu’elle m’a semblé nouvelle, elle m’a fait désespérer : je commence à l’admettre, j’en parle encore comme d’une chose étonnante et rude, comme on parlait du choléra huit jours encore après le choléra, et bientôt, sans doute, je m’en tairai comme d’une chose triviale et de mauvais goût ; je n’en souffrirai peut-être plus. Quand on consent à vieillir, on vieillit si vite.

« Je dis donc que M. Jouffroy doit être bon, candide, inexpérimenté pour un certain ordre d’idées où j’ai vécu et creusé, où vous avez creusé aussi, quoique beaucoup moins avant que moi. Par exemple, je me suis dit : Est-ce qu’il ne serait pas permis de manger de la chair humaine ? — Vous vous êtes dit : Il y a peut-être des gens qui se demandent si l’on peut manger de la chair humaine. — Et M. Jouffroy s’est dit : L’idée n’est jamais venue à aucun homme de manger de la chair humaine. — Pourtant il y a des peuplades entières qui en mangent, et qui n’en sont peut-être pas plus mal avec Dieu pour cela.

« Moi, je ne m’estime pas, car, après m’être adressé de semblables questions, je ne les ai pas résolues et j’en suis restée là ; M. Jouffroy, n’ayant pas appris que ces questions existent, n’a pas grand mérite à les nier ; mais vous qui, ayant songé à tout et peut-être goûté à des choses immondes comme font les chimistes, avez déclaré que la chair humaine est mauvaise et malsaine, et vous êtes décidé à vivre d’aliments choisis, apparemment vous avez le discernement, c’est-à-dire, dans le sens moral, la lumière et la force. Vous voyez que je m’explique très-froidement et sans engouement ni prévention le cas extrême que je fais de vous, préférablement à beaucoup d’autres qui me ressemblent ou ne me ressemblent pas. — Bon soir, mon ami.

« Tout à vous,
« George S. »


Cependant la fatalité avait son cours : cette nature exceptionnelle de femme et d’artiste, livrée à elle-même et sans appui, ne pouvait se retenir sur cette pente : il y eut, en ces mois avant-coureurs du printemps, des ennuis, des déchirements, des essais brisés et des reprises dont je ne fus parfaitement informé qu’un peu plus tard. En supprimant même ce qui est d’une confession trop positive et trop détaillée, on en suivrait la trace dans quelques-uns de ces billets, à la fois discrets et douloureux :

« (7 mars 1833.) Mon cher Sainte-Beuve, j’aurais été bien heureuse de vous voir aujourd’hui, quand vous êtes venu. Serez-vous assez bon pour revenir bientôt ? Je suis dans un grand redoublement de douleur. Je ne vous ennuierai pas à vous dire mes causes de chagrin ; mais je vous verrai, ce sera beaucoup : on a besoin d’amitié quand on souffre. Voici un commencement d’épreuve pour la vôtre.

« G. Sand. »
« Mercredi soir. »


« (Mars 1833.) Mon ami, je vous envoie les feuilles que je vous ai promises, et je désire que vous les lisiez avec attention ; car j’ai besoin de votre jugement et de vos conseils. Soyez-moi moins indulgent que votre amitié ne vous porte à l’être. Il faut que vous veniez m’écrire cette lettre que vous savez bien, et dîner avec moi après-demain ou le jour suivant. Pouvez-vous ?

« Si vous avez travaillé à votre livre, vous seriez bien bon de m’en apporter la suite.

« Adieu. Je voudrais bien mériter votre affection, mais je m’aperçois de plus en plus que vous valez mieux que moi, et cela me fâche.

« George. »


« (Mars 1833.) Eh bien ! mon ami, quand viendrez-vous dîner avec moi ? Que vous n’ayez pas faim, ce n’est pas une raison ; je ne tiens pas à vous faire manger, mais à causer avec vous sans être dérangée, et à ces heures-là je suis libre. Voulez-vous venir demain ou après-demain ? Je serai bien aise que vous me fassiez toutes vos objections contre Lélia, et je suis bien contrariée que les fautes signalées dans votre lettre soient sur les bonnes pages (style d’imprimeur). Si je vous lisais le manuscrit, il y aurait au moins du remède pour l’avenir. Mais vous me traitez beaucoup trop bien. J’ai peur de votre admiration, parce qu’on dit que c’est chez vous une disposition généreuse de l’âme ; mais la raison reprend, dit-on, ses droits un peu plus tard. Je voudrais pourtant bien me tenir à la place où vous m’avez mise d’abord ; je la trouve fièrement belle.

« J’ai vu le docteur Louis. C’est un bien grand homme. Il m’a recommandé de me distraire, d’éloigner toute cause de chagrin, d’éviter toute contrariété, de prendre l’air, de tâcher d’avoir de l’appétit, enfin de faire tous mes efforts pour me bien porter.

« Je vous en souhaite autant, mon ami, et vous recommande d’être heureux le plus possible.

« George S. »
« Vendredi. »


« (11 mai 1833.) Mon ami, vous êtes venu et j’étais sortie. Quand vous reviendrez, tâchez que ce soit le matin, de midi à deux ou trois heures. Je suis restée hier au gîte, espérant que vous viendriez. Comment êtes-vous ? Vous m’avez écrit une lettre un peu folle, à moi qui suis devenue excessivement grave. C’est à mon tour à vous faire des sermons, je le vois : ce sera neuf et surprenant. — Sermonneur ou pénitent, je suis votre amie à présent et toujours.

« George. »


« Mon ami, m’avez-vous encore une fois oubliée ? Je ne vous le permets pas, moi. »


« (20 juin 1833.) Qu’est-ce que vous devenez, mon ami ? Il y a bientôt quinze jours que je ne vous ai vu. Seriez-vous malade ? Je désirerais bien vous parler pour une affaire qui ne m’est pas personnelle, mais qui m’intéresse et à laquelle vous pouvez quelque chose.

« Est-ce que, vous aussi, vous boudez les hommes et repoussez l’amitié ? Vous empiétez sur les privilèges des méchants comme moi. Vous usurpez un droit qu’il faut nous laisser, entendez-vous ?

« A v.
« George. »


« (18 juillet 1833.) Mon ami, tout cela est bien cruel, bien triste, bien malheureux et me jette dans un très-grand découragement de la vie et de la société. Si j’ai été amère, vraiment je n’en sais rien, je ne m’en souviens plus. J’ai des jours comme cela ; il faut me les pardonner, car j’ai beaucoup souffert et je souffre beaucoup encore de toutes choses. Je vois à tout cela une bien déplorable conclusion, c’est que rien n’est vrai. Je vous le disais bien, l’amitié n’est pas une affection qui puisse faire vivre. Vous prétendiez que si. Vous voyez bien ! Nous sommes tristes, malheureux, souffrants ; l’amertume nous vient de tous côtés ; nous donnerions le reste des jours qui nous sont comptés pour voir, ne fût-ce qu’une heure, un visage ami, pour presser une main sincère, pour entendre des paroles d’encouragement et de bonté. Eh bien ! ce sont de vains besoins du cœur qu’il faut étouffer, car à cette heure-là nos amis sont occupés ailleurs : l’un songe à la gloire, l’autre à ses amours, un autre boude on ne sait pourquoi, et l’on reste seul. C’est une bonne et rude leçon, et l’on en profite ; mais il est bien des malheureux qui ont longtemps porté leur joug avec courage, et qui un jour se sont enfin soustraits à ce joug de plomb : ceux-là, on les plaint et on les oublie, et c’est encore bien ; mais je suis sûre que, si l’on eût pu recueillir les dernières plaintes de leur agonie, on eût entendu sur leurs lèvres d’amers et justes reproches pour leurs amis.

« Et nous aurions tort après tout de nous accuser : car nous ne valons pas mieux les uns que les autres ; moi qui me plains de vous aujourd’hui, j’ai eu mille égoïsmes semblables envers ceux qui m’appelaient et me réclamaient en vain. C’est qu’il n’y a pas d’amitié, c’est qu’il n’y a rien et que nous sommes une fourmilière d’orgueilleux et de menteurs.

« Faites donc comme vous voudrez, mon ami, je ne vous tourmenterai pas davantage. Êtes-vous heureux ? Tant mieux ! j’en bénis le Ciel et trouve que vous faites bien de m’éviter. Je n’ai pas le front joyeux, moi, et la solitude me convient. Si votre bonheur trouve sa fin, et que vous ayez besoin de me retrouver dans un jour de tristesse ou d’ennui, comptez sur moi toujours.

« G. S.

« Mercredi. »


Cependant ces ennuis, ces amertumes avaient tout d’un coup cessé. Le mois d’août avait été témoin d’un changement soudain, d’un renouvellement moral dans cette riche nature, dont le désespoir et les malédictions n’étaient le plus souvent que dans le trop-plein d’ambitions, de désirs et d’espérances. Lélia paraissait à peine que déjà l’astre funeste, sous lequel elle avait été conçue, était conjuré. La passion immortelle, qui a été chantée, romancée et déplorée des deux parts avec tant d’éclat, et qui est désormais entrée dans la poésie du siècle, venait de naître et s’éclairait, au début, d’une lune clémente. Mais, en même temps, ce grand talent n’arrivait pas à la pleine renommée et au triomphe sans beaucoup d’insultes. C’est la loi commune, et la femme célèbre y est doublement sujette. George Sand fit donc appel en cette heure critique à ses amis. Je ne donnerai ici que ce qui se rapporte principalement à la littérature, à cette Lélia si diversement commentée, et à ce rôle de critique, de conseiller véridique et amical qui m’était si gracieusement déféré, et que je continuais de tenir de mon mieux :


« (21 septembre 1833.) Mon ami, vous rendrez compte de Lélia dans le National, n’est-il pas vrai ? Je n’ai pas renoncé à espérer qu’un défenseur littéraire se lèverait enfin pour moi, non pour louer mon talent que j’abandonne à la plus sévère critique, mais pour écarter de mon livre les sottes et sales interprétations que l’on y donne. Vous seul pouvez eu toute liberté élever la voix pour moi. Rien ne s’opposera à ce que vous me rendiez ce service, n’est-ce pas ? Je me soumets non sans chagrin, mais du moins sans humeur à ne point vous voir ; mais je ne veux pas cesser de compter sur votre dévouement, comme vous comptez, j’espère, sur le mien. Vous m’aviez promis de m’écrire quelquefois. Parce que je ne suis plus en danger de désespoir et de mort, pensez-vous que votre souvenir me serait un bonheur superflu ? Donnez-moi au moins des nouvelles de votre santé, et dites-moi quelque chose de vos occupations. Moi, j’ai été malade, mais je suis bien. Et puis je suis heureuse, très-heureuse, mon ami. Chaque jour je m’attache davantage à lui ; chaque jour je vois s’effacer en lui les petites choses qui me faisaient souffrir ; chaque jour je vois luire et briller les belles choses que j’admirais. Et puis encore, par dessus tout, ce qu’il est, il est bon enfant, et son intimité m’est aussi douce que sa préférence m’a été précieuse[2]… Vous êtes heureux aussi, mon ami… Tant mieux. Après tout, voyez-vous, il n’y a que cela de bon sur la terre. Le reste ne vaut pas la peine qu’on se donne pour manger et dormir tous les jours.

« Tout à vous,
« George Sand. »


« (Septembre 1833.). J’ai bien tardé, mon ami, à vous remercier de votre bel et bon article. Je voulais vous en parler longuement et, dans l’intention de profiter de vos conseils, vous adresser quelques questions littéraires et philosophiques ; mais je n’en ai pas pu trouver le temps, et je ne l’ai pas encore. Mon cerveau est entrepris par des nouvelles que je maçonne pour gagner, comme dit ma fille, tout l’argent à Buloz, et qui ne m’amusent pas du tout. Je vais cependant commencer bientôt un livre, et quand j’en aurai éclairci l’idée, je vous demanderai ce qu’il faut en faire. Vous êtes moral, vous, mon ami : le suis-je aussi, ou ne le suis-je pas ? Je ne sais pas ce que c’est. Je crois qu’être moral, c’est espérer : moi, je n’espère pas ; j’ai blasphémé la nature et Dieu peut-être, dans Lélia ; Dieu qui n’est pas méchant, et qui n’a que faire de se venger de nous, m’a fermé la bouche en me rendant la jeunesse du cœur et en me forçant d’avouer qu’il a mis en nous des joies sublimes ; mais la société, c’est autre chose : je la crois perdue, je la trouve odieuse, et il ne me sera jamais possible de dire autrement. Avec cela je ne ferai jamais que des livres qu’on appellera méchants et dangereux, et qui le seront peut-être. Comment faire, dites-moi ?

« Votre article a excité par lui-même beaucoup d’admiration[3] : je vous remercierai surtout d’avoir pris ma défense avec tant de hardiesse. Vos paroles valent bien mieux et me sont bien plus utiles que les coups d’épée de mes autres amis[4]. Il y a aussi des mots de sympathie qui m’ont été au cœur et qui m’ont consolée de tous les maux de ma vie, autant que je puis l’être.

« On me dit que votre santé est fort altérée. Soignez-vous donc, mon ami. Peut-être songez-vous trop. Personne ne comprend rien à votre vie et n’en sait les plaisirs ou les peines. Puisse-t-elle être aussi belle que vous le méritez et que je le désire ! Adieu ; donnez-moi quelquefois de vos nouvelles sans que je vous en demande.

« Votre amie,
« G. S.»


On a souvent dit que les hommes de notre génération étaient, dans leurs rapports littéraires, d’une camaraderie effrénée, qu’ils étaient avides et insatiables d’éloges, et qu’ils ne se les plaignaient pas entre eux. Déjà l’on a pu voir, dans les précédents morceaux de critique, à quel point, même après m’être engagé d’abord par une admiration sincère, je ne craignais pas de revenir et de poser mes réserves quand il y avait lieu. J’ajouterai, à l’honneur des auteurs critiqués, qu’il n’en est aucun, ni La Mennais, ni Lamartine, ni Hugo, qui ne m’ait donné, même après ces articles restrictifs, des témoignages de pardon indulgent et de bienveillance. Ici l’on va voir comment, dans l’intimité, George Sand allait au-devant des critiques, les acceptait ou les discutait avec une entière bonne foi et une absence complète d’amour-propre. Il est peu de pages plus honorables au point de vue de la conscience littéraire, de la part surtout d’un écrivain aussi accepté déjà, aussi acclamé du jeune public et en pleine possession de la vogue :


« (14 novembre 1833.) J’ai été bien reconnaissante et bien touchée, mon ami, de votre prédilection pour Métella. Maintenant, je viens vous demander non plus une marque d’indulgence, mais une preuve d’amitié. C’est de lire le manuscrit de Le Secrétaire intime, avant que l’impression en soit commencée. Donnez-moi votre avis tandis qu’il est temps encore de faire des corrections. Je ne promets pas de me rendre aveuglément à toutes vos critiques (quoique vous en soyez trop avare avec moi) : nous avons tous une partie de nous-même en jeu dans nos œuvres, et nous tenons souvent autant à nos défauts qu’à nos qualités ; mais un lecteur éclairé voit mieux que nous, quand nous rendons bien ou mal nos idées les plus personnelles, et nous empêche de donner une mauvaise forme à nos sentiments. Si c’est une corvée trop pénible que de déchiffrer le plus barbouillé des manuscrits, refusez-moi pourtant. J’abuse bien de votre bonté en vous adressant ma demande, mais Buloz m’a fait espérer que vous l’accepteriez. Je fais du reste fort peu de cas de ce que je vous envoie. Ce n’est ni un roman ni un conte ; c’est, je le crains, un pastiche d’Hoffmann et de moi. J’ai voulu m’égayer l’esprit, je ne sais si j’égayerai le public. Je crois que l’ouvrage est beaucoup trop étendu pour la valeur du sujet, qui est frivole. J’en avais d’abord fait une nouvelle ; le besoin d’argent et je ne sais quelles dispositions facétieuses de mon esprit m’ont fait barbouiller beaucoup plus de papier qu’il n’aurait fallu. Prenez toutes ces choses en considération, et, si vous trouvez le livre pitoyable, ne me découragez pas trop. Je n’ai pas dessein de faire beaucoup de choses aussi futiles, et je vais entreprendre, à l’heure qu’il est, un travail plus soigné.

« Il faut que je vous demande un autre conseil, au risque de vous ennuyer de moi à mort. J’ai vu Béranger une fois, je l’ai trouvé excellent, et j’ai beaucoup désiré le revoir et cultiver une connaissance qui me semble précieuse. Je n’ai pas le désir de faire de nouveaux amis : j’ai tout ce qu’il me faut en ce monde ; ma vie de cœur est arrangée et ne cherche plus rien ; mais causer de temps en temps avec un homme aussi distingué et aussi bon me serait agréable. Je lui ai écrit et l’ai invité à dîner, en lui demandant la permission de lui présenter Musset. Il m’a répondu une lettre charmante, et quelques jours après il est venu me voir, pour me dire qu’il partait pour la campagne pour huit ou dix jours, et qu’à son retour il viendrait dîner avec moi. Il a dit ces choses à ma duègne, car, comme il n’était guère que deux heures de l’après-midi, je n’étais pas levée. Il y a, je crois, six semaines de tout cela, et je n’ai plus entendu parler de lui. J’ai eu envie de lui écrire, mais je n’ai pu m’y décider. Je suis très-orgueilleuse, mon ami, et plus on dit de mal de moi, plus je deviens hautaine et concentrée. Il fallait que je vous aimasse bien sincèrement pour solliciter de vous des explications et pour vous en donner comme je l’ai fait : je ne m’en repens certes pas, puisque vous m’avez rendu votre confiance et que rien, j’espère, ne la troublera plus ; mais avec personne au monde je ne voudrais recommencer. Et non-seulement cela, mais toute espèce d’avance affectueuse ou d’insistance quelconque pour entretenir une liaison qui semblerait me fuir serait pour moi chose odieuse et impossible. Cependant, si Béranger est sincère dans les expressions de ses lettres, il n’y aurait rien de cela ; mais je suis maintenant craintive et méfiante, et je n’ose plus faire un pas, même quand le cœur me le dit. Dites-moi donc ce qu’il faut faire. Vous connaissez Béranger, vous savez s’il y a en dessous de ses paroles ces petites ruses de politesse auxquelles je n’entends rien, et si ses excuses sont des prétextes. En causant avec lui (quand vous en aurez l’occasion), il vous sera facile de savoir ce qu’il pense à mon égard et quelles sont ses vraies idées. Si elles sont défavorables, je ne vous impose pas, mon ami, la corvée de me les dire, mais vous pouvez d’un mot m’engager à insister ou m’en empêcher. Je m’inquiète peu de ce qui est convenable selon le monde, mais maintenant je respecte beaucoup la dignité et la paix de ma retraite, et comme je crois que vous êtes bien de cet avis-là, je me fie à vous pour me bien conseiller.

« Nous parlons continuellement de vous et nous nous affligeons de ne pas vous voir. Je n’insiste pas, vous le savez, mais il m’est bien permis de vous regretter comme un absent. Musset a souvent envie d’aller vous voir et de vous tourmenter pour que vous veniez chez nous, mais je l’en empêche, quoique je fusse toute prête à y aller avec lui, si je ne craignais que ce fût inutile. Adieu, mon ami, nous vous aimons quand même. Je voudrais que vous fussiez aussi heureux que moi, vous le méritez bien mieux. Donnez-moi de vos nouvelles et parlez-moi de vous.

« Votre ami, George.
« Mercredi. »


« Mardi.

« (27 novembre 1833.) Non, mon ami, vos critiques ne m’ont pas fâchée contre vous, mais bien contre moi qui les mérite. Je vous remercie au contraire mille fois de votre obligeance et de votre bonté. J’en ferai bien mon profit, et je l’ai déjà fait pour le plus important ; j’ai retranché toute la partie champêtre, et j’ai abordé tout de suite la Cavalcanti : de cette manière, le conte se passe tout entier dans ce monde de fantaisie où je l’avais conduit maladroitement. Vous avez raison d’aimer mieux les choses complètement réelles : moi, j’aime mieux les fantastiques ; mais je sais que j’ai tort ; aussi n’en ferai-je que peu, de temps en temps et pour m’amuser. J’aurais bien fait, dans mes intérêts, de publier, après Lélia, un roman plus rapproché du genre de Walter Scott, mais cette Quintilia était avancée dans mon portefeuille, et le besoin d’argent ne m’a pas permis de l’y garder plus longtemps. La même raison m’empêche de changer la manière générale du conte ; pour cela, il faudrait le recommencer, et il n’en vaut d’ailleurs pas la peine. Si vous avez la bonté d’en rendre compte, comme je vous en prie, faites-en donc bon marché, comme vous dites fort bien, et traitez-le comme une chose sans importance. La seule pensée que j’y aie cherchée, c’est la confiance dans l’amour présentée comme une belle chose, et la butorderie de l’opinion comme une chose injuste et bête. — J’avais, comme vous l’avez très-bien aperçu, commencé cette histoire de Saint-Julien dans d’autres vues, et les deux corps se joignaient fort mal. Je l’ai donc retirée pour en faire le commencement d’une historiette toute rustique, et j’ai mis dans la bouche de mon secrétaire intime, dans le courant de son séjour à Monteregale, un récit de sa jeunesse où j’ai tâché de tracer son humeur d’une manière qui s’harmonie mieux avec la suite. Je ne suis pas de votre avis sur deux choses : d’abord l’amour que Quintilia devrait avoir, selon vous, pour lui ; ensuite l’indulgence qu’elle devrait avoir à la fin. Je crois que dans l’un et l’autre cas ce serait altérer le caractère étourdi, mais probe et ferme, que je veux donner à ma princesse. Seulement je profiterai encore de vos objections, qui sont bonnes par elles-mêmes : je me chargerai, moi conteur, ou bien quelqu’un de mes personnages, d’avouer au lecteur que la Cavalcanti n’est pas sans imprudence et sans tort. C’était bien là mon idée, en la montrant et si sage et si folle ; mais votre remarque me prouve que je ne l’ai pas assez expliquée. — Je ferai attention aussi, en corrigeant les épreuves, aux expressions louches et aux mauvaises constructions que vous m’avez signalées. Merci donc mille fois, mon ami, et pour vos avis utiles et pour la peine que vous avez prise pour m’obliger, et pour ce que vous me dites de Béranger. Tout cela me sera salutaire, et en outre il m’est bien doux de trouver en vous toujours le zèle et l’amitié que je réclame toujours avec confiance sans crainte d’être indiscrète. Moi, je ne vous rendrai jamais la pareille en avis judicieux et en critiques sages, mais au moins j’aurai la même affection et le même dévouement à votre service. Adieu, mon très-cher. Musset vous donne la main, et moi aussi de tout mon cœur. Portez-vous donc bien, et donnez-nous donc bientôt ce beau livre dont le commencement m’a charmée.

« T. à V. George. »


Tout ceci est antérieur au voyage d’Italie ; les confidences purement littéraires s’arrêtent là. Je ne donnerai plus que le billet suivant, écrit après le retour, après les orages, au terme des déchirements et à la veille d’un départ pour le Berri :

« Mercredi.

« (Été de 1834.) Mon ami, je vous remercie de votre aimable envoi. Je vous offrirai Jacques, aussitôt que l’inflexible Buloz voudra bien m’en donner un exemplaire. Je ne vous ai pas vu, pour ainsi dire ; ces saints-simoniens se sont mis entre nous ; j’avais pourtant bien à vous parler. Je suis triste à la mort, et je ne sais pas vraiment si je sortirai de cette affreuse crise du sixième lustre. Venez me voir ce soir, si vous pouvez. Je vais partir : je veux vous dire adieu. Apportez-moi quelques bonnes paroles de consolation et d’amitié.

« À vous,
« George. »


J’ai beaucoup dit, je n’ai pourtant que laissé entrevoir la profondeur de cette crise du sixième lustre. C’en est assez pour aujourd’hui. Des années s’écoulèrent : notre amitié subit dans l’intervalle bien des interruptions, des silences, des intermittences, sans que jamais aucun tort réel d’un côté ou de l’autre y vînt porter une sérieuse atteinte. Il n’y eut que des éclipses, et qui étaient surtout dues à des interpositions étrangères. Dès le début de mes articles au Constitutionnel, en 1850, je saisis l’occasion de parler agréablement de George Sand, pour sa veine pastorale incontestée de la Mare au Diable, de la Petite Fadette, etc. (Causeries du Lundi, tome I) ; mais je reculai toujours devant une Étude complète où le critique n’eût plus été libre de choisir et où il n’aurait eu en face de lui que l’écrivain seul, et tout l’écrivain : la personne, à mes yeux, était bien supérieure et préférable. Aussi l’on ne s’étonnera point que Mme Sand, ayant parlé de moi dans ses Mémoires d’une manière très-flatteuse et affectueuse, je lui aie écrit, pour la remercier, la lettre suivante, qui se rejoint bien aux confidences anciennes et qui résume mes sentiments :


« Ce 10 août 1855.

« Tout le monde me fait des compliments, tout le monde me félicite, et moi je ne sais, je m’étonne, je me dis en me considérant si bien peint et si flatté de la sorte : Est-ce donc moi ? étais-je donc ainsi ? — Les souvenirs, en général, me sont chose si chère et si douloureuse que je n’aime pas à y insister à moins qu’on ne m’y oblige. — Mais à ceux qui m’interrogent sur ce que je pense à mon tour de l’auteur des éloquents Mémoires, je réponds : Vous la connaissez par là comme par tant d’autres endroits de ses écrits, mais vous ne la connaissez encore qu’à demi : il y a des parties plus profondes, plus vives, qu’elle a raison, du moins maintenant, de ne pas dire, et seulement d’indiquer : si on savait tout d’elle, je ne parle pas de l’admiration, mais l’estime pour sa nature et la sympathie même augmenteraient. Elle a pu et dû se tromper quelquefois, et avec violence, mais toujours avec sincérité ; personne n’a joué plus franc qu’elle à ce jeu si périlleux de la vie. Son talent, son âme, toute son organisation, ne sont qu’un dans les grands moments ; elle est femme et très-femme, mais elle n’a rien des petitesses du sexe, ni des ruses ni des arrière-pensées ; elle aime les horizons larges et vastes, et c’est là qu’elle va d’abord ; elle s’inquiète du bien de tous, de l’amélioration du monde, ce qui est au moins le plus noble mal des âmes et la plus généreuse manie. En un mot, elle a la puissance et le cœur, et plus on la connaîtrait en tous ses orages, plus on lui resterait attaché par cet attrait qui intéresse aux natures singulières en même temps que par ce nœud qui lie aux êtres profondément humains. Elle a su être naturelle sous les systèmes, comme elle s’est trouvée passionnée sous ses magnificences de talent. — Je dis encore bien des choses que j’ai besoin qu’on aille chercher en moi en m’interrogeant ; car, seul et abandonné à moi-même, j’aime mieux laisser dormir, sans en remuer les abîmes, tous ces beaux lacs profonds du passé. »



fin du tome premier.
  1. Par moi-même, à l’occasion du roman de M. Delécluze, Mademoiselle de Liron (voir dans le volume de Portraits de Femmes, 1855).
  2. Et dans une autre lettre précédente, du 25 août : « … Ici, bien loin d’être affligée et méconnue, je trouve une candeur, une loyauté, une tendresse qui m’enivrent. C’est un amour de jeune homme et une amitié de camarade. C’est quelque chose dont je n’avais pas l’idée, que je ne croyais rencontrer nulle part, et surtout là. Je l’ai niée cette affection, je l’ai repoussée, je l’ai refusée d’abord, et puis je me suis rendue, et je suis heureuse de l’avoir fait. Je m’y suis rendue par amitié plus que par amour, et l’amitié que je ne connaissais pas s’est révélée à moi sans aucune des douleurs que je croyais accepter. »
  3. Je laisse cette phrase comme nécessaire au sens et à la liaison des idées : personne ne sait mieux que moi à quoi s’en tenir sur le mérite absolu de ces articles qui sont tout au plus, et même lorsqu’ils réussissent le mieux, des choses sensées dans un genre médiocre. Ce qu’ils ont eu d’alerte et d’à-propos à leur moment suffit à peine à expliquer ces exagérations de l’amitié. Réservons l’admiration pour les œuvres de poésie et d’art, pour les compositions élevées : la plus grande gloire du critique est dans l’approbation et dans l’estime des bons esprits.
  4. Il y avait eu en effet des coups d’épée, et Planche, dans un mouvement chevaleresque, s’était battu, je crois, avec Capo de Feuillide, l’un des insulteurs.