Pomone tournaisienne/Pomologie belge

Vve H. Casterman (p. 7-32).

Chapitre I.

Pomologie belge

[1.1]

§ 1.

Aperçu historique de la pomologie belge.

La pomologie moderne doit son origine à l’abbé Nicolas Hardenpont. Avant lui on ne possédait que quelques poires fondantes, que le hasard avait fait rencontrer : le Bezi, trouvé dans une haie à Chaumontel, le Saint-Germain découvert dans la forêt de Saint-Germain, le Beurré gris, le Doyenné et le Colmar avec la Bergamote, formaient les seules poires fondantes cultivées au siècle dernier. Le catalogue de la pépinière des Chartreux de Paris pour 1788, souvent cité, en fournit la preuve manifeste ; la poire cassante était la règle, la fondante constituait une très-rare exception. Aussi, en étudiant ce catalogue, on voit qu’une révolution complète s’est opérée dans la culture de nos jardins, et qu’il ne reste presque plus rien aujourd’hui des fruits qui, en 1788, constituaient les richesses pomologiques.

Ce ne sont pas, croyez-le bien, les principes de 89 qui ont transformé la pomologie ; non, c’est à Hardenpont et à ses successeurs belges que l’on doit cet événement.

Nicolas Hardenpont, dont le nom vivra tant qu’on mangera des poires, naquit à Mons en Hainaut, le 14 juin 1705 ; il y termina sa carrière le 31 décembre 1774. Après avoir fait ses hautes études à l’université de Louvain, où il obtint le grade de Maître-ès-arts, il entra dans le sacerdoce et devint prêtre séculier dans sa ville natale. L’abbé Hardenpont entreprit jeune encore de perfectionner la pomologie par des gains nouveaux. Il possédait au pied du Mont-Panisel, près Mons, un jardin qui est encore aujourd’hui la propriété de M. Léopold Hardenpont, son arrière-neveu. C’est là qu’il semait et cultivait ses poires et qu’il obtint des fruits qui surpassèrent tout ce qu’on connaissait alors, et qui depuis n’ont pas été détrônés : le Beurré d’Hardenpont, le Délice d’Hardenpont, le Passe-colmar, le Beurré-rance et la Fondante du Panisel.

À quelle époque l’abbé Hardenpont a-t-il obtenu ces fruits si remarquables ? Une vieille indication donne l’année 1758 pour le Passe-colmar, l’année 1759 pour le Beurré d’Hardenpont, et 1762 pour le Beurré-rance ; le Délice d’Hardenpont est venu ensuite, ainsi que la Fondante du Panisel. Ce que nous pouvons affirmer, c’est qu’au commencement de ce siècle, le Beurré d’Hardenpont et le Passe-colmar étaient encore très-épineux. Un fait curieux, c’est que la serpette d’Hardenpont, monument vénérable conservé à Tournay et dont nous donnons plus loin la figure, porte sur la vireule la date de 1725, ce qui remonte à l’époque où le grand pomologue n’avait encore que vingt ans. L’authenticité de ce monument pomologique ne saurait faire de doute. L’abbé Nicolas Hardenpont eut un neveu, M. Charles-Bernard-Joseph Hardenpont qui fut chanoine de Tournay, où il mourut en 1826, et une nièce qui épousa le conseiller Macau également à Tournay ; or, le chanoine, héritier mobilier de son oncle, conserva avec le plus grand soin sa serpette, sa canne à pommeau d’or, et sa thèse sur satin qui sont devenues la propriété de M. Dereine-Macau, arrière-petit-neveu du célèbre pomologue. De l’ensemble de ces dates, il semble résulter que c’est vers 1730, à l’époque qui suivit ses licences, que l’abbé Nicolas Hardenpont commença ses semis de poiriers qui l’ont rendu si célèbre.

On s’est souvent demandé par quel moyen Hardenpont a pu obtenir des fruits aussi extraordinaires ; à notre avis, ce ne peut être que par la fécondation artificielle. Voici nos raisons.

Nous avons vu qu’Hardenpont suivait les cours de l’université de Louvain vers 1730, et qu’il y prit ses degrés de maitre-ès-arts, c’est-à-dire licencié en sciences. Or, c’est précisément l’époque où la découverte des sexes des plantes venait d’opérer une révolution dans les idées du monde savant. Cette importante découverte était la grande nouvelle de l’époque, et elle était enseignée partout. Dès 1727, le célèbre Boerbaave, professeur à l’université de Leyde, avait entrepris de caractériser tous les genres de plantes par leurs organes sexuels, dans son Index alter plantarum horti Lugduno-Batavi. Au genre Ricinus, vol. i, p. 252, il indique clairement les sexes des plantes, et l’on sait combien les leçons de Boerhaave avaient eu d’effet sur celles de l’université de Louvain. Sébastien Vaillant, de son côté, professait, dès 1717, cette doctrine nouvelle au jardin du Roi à Paris, et peu après Linné confirmait la grande découverte des sexes des plantes par l’établissement de son système sexuel.

La démonstration des sexes dans le règne végétal se faisait de deux manières, par la castration, et par la production des hybrides au moyen de la fécondation artificielle. Dans cette situation, on ne peut douter que l’attention du jeune Maître-ès-arts n’ait été fortement attirée sur cette curieuse découverte qui, par sa nouveauté et son importance, était de nature à l’impressionner, et nous arrivons à conclure que c’est par la fécondation artificielle qu’il a créé quatre fruits aussi extra-ordinaires. L’étude attentive de ces fruits nous semble résoudre cette curieuse question.

Rappelons-nous qu’à l’époque où Nicolas Hardenpont termina ses études universitaires, il n’existait que quelques poires fondantes, le Doyenné, le Beurré gris, le Colmar, le Bezi de Chaumontel, auxquelles il faut ajouter le Bon-chrétien et le Rousselet. Voilà donc les fruits qui ont dû servir à ses semis. Examinons maintenant ses gains et tâchons de découvrir ce qui a eu lieu. Le Beurré d’Hardenpont est à nos yeux un hybride du Bezi de Chaumontel et du Doyenné. Il a le bois tortueux, la feuille crolée, la forme du fruit du premier, la chair fine et fondante, dépourvue de pierres, et la peau dorée du dernier. Le Passe-colmar nous apparaît comme un semis du Colmar fécondé par le Rousselet. Il a le bois allongé, la tige diffuse, la feuille plate du Colmar, la fleur et le parfum du Rousselet. Le Beurré-rance est dû évidemment à un Bon-chrétien fécondé par un Colmar ; bois, feuille, fleur, forme du fruit, pédoncule du Bon-chrétien, succulence et chair du Colmar. Enfin, le Délice d’Hardenpont est à nos yeux le produit d’un Colmar fécondé par un Beurré gris ; bois allongé, feuille, forme du fruit et caducité du premier, chair beurrée et peau fine du second. Partout vous voyez l’hybridation, le produit de la fécondation artificielle, et vous vous expliquez ainsi ce phénomène de quatre fruits apparaissant ensemble et supérieurs à tout ce qui existait avant eux. La nature aime le croisement des races, et c’est par le croisement des races qu’Hardenpont doit avoir procédé. Ses magnifiques gains ne sont donc pas l’effet du hasard, mais le produit du calcul et du raisonnement.

Par ses gains si remarquables, Hardenpont a créé une étude nouvelle, et il est devenu le fondateur de la Pomologie ; on ne peut donc assez regretter que l’on ait dénaturé sa nomenclature et fait disparaître son nom glorieux de la science qu’il avait créée. Ses gains furent longtemps à sortir des limites de la Belgique. En 1806, M. L. Noisette, horticulteur de Paris, vint à Enghien[1] chez M. Parmentier qui avait alors le privilège exclusif de pouvoir aller en Angleterre afin d’en rapporter des plantes, ce qui faisait de lui le premier horticulteur de France. Tout en faisant ses achats chez Parmentier, il eut connaissance, au château du duc d’Aremberg, du Beurré d’Hardenpont et du Passe-colmar qui s’y cultivaient ; mais n’anticipons pas sur ce point.

L’exemple d’Hardenpont eut des imitateurs. En 1787, Capiaumont, pharmacien à Mons, gagnait, des semis de la Calebasse, le Beurré Capiaumont, poire d’une remarquable fécondité. Vers la même époque, Dorlin obtenait la poire Saint-Ghislain ; la Médaille d’or était gagnée à Oignies, et M. l’abbé du Bardou produisait le Beurré du Bardou ou Beurré anglais. La poire connue sous le nom de Bergamote de Pentecôte ou Doyenné d’hiver, doit dater aussi de la fin du siècle dernier ou des premières années de ce siècle. Van Mons fait connaître qu’elle provenait du jardin des Capucins de Louvain. Malines est au reste un lieu de prédilection pour la pomologie : c’est là que nous trouverons le Cte Coloma, de Nelis et Esperen, dont les gains ont acquis une juste célébrité.

Au commencement de ce siècle, Mons continue l’œuvre commencée par Hardenpont, on y sème avec ardeur, et d’abord apparaît l’une des poires les plus exquises, digne rivale des gains de ce grand maître, le Beurré Liart ou Napoléon. Ce fruit précieux fut obtenu en 1808 par Nicolas Liart marchand épicier, rue des Capucins, dont le jardin était situé hors la porte de Bertaimont. C’est de cette poire que le docteur Jahn a dit avec raison : elle est tellement juteuse qu’on croirait boire le fruit. Poiteau, en 1834, dans le quinzième volume des Annales de la Société d’horticulture de Paris, p. 364, a fait toute une histoire au sujet de ce gain remarquable ; M. Daras de Naghin qui fut témoin oculaire de ce qui s’est passé, et les contemporains avec lesquels nous avons vécu, disent les choses autrement. Le gain fait par Liart eut à Mons un grand et légitime retentissement, au point que le préfet du département de Jemmapes, M. De Coninck, décida de donner une médaille d’or à son obtenteur. Celui-ci tenait à donner son nom à sa poire, mais le préfet en lui remet tant la médaille, crut devoir faire de la politique napolénnienne.

« Il faut, s’écria-t-il, que la meilleure des poires porte le nom du plus grand des héros ! » et au grand déplaisir de Liart, il la baptisa Beurré Napoléon. Je vois encore, dit M. Daras de Naghin, Liart, entouré de tous les membres de la société pomologique, sortir de la préfecture portant en sautoir sa médaille d’or et ramené chez lui en grand cortège, musique en tête. C’est là ce qui a fait donner à cet excellent fruit le nom de la Médaille sous lequel il est connu dans le Hainaut. Disons que la société pomologique de Mons ne resta pas en arrière et que, de son côté, elle décerna à Liart une médaille pour ce précieux gain. Peu de temps après, l’abbé Duquesne fit à son tour un gain très-remarquable qu’il nomma Marie-Louise, fruit qu’on a très à tort attribué à Van Mons. En 1817, M. Dévergnies obtint le Beurré Dévergnies, fruit excellent et trop peu répandu, qu’on a encore faussement attribué à Van Mons.

À son tour, Enghien se présente avec deux gains précieux, l’Orpheline et la Fortunée. La première fut gagnée par l’abbé Deschamps, directeur du couvent des orphelins d’Enghien. Van Mons l’a débaptisée et répandue en Brabant sous le nom de Beurré d’Aremberg. La Fortunée est due, non à Parmentier comme le dit De Bavay, ni à Van Mons comme d’autres l’affirment, mais à M. Fortuné De Raisme, (et non De Renne), orfèvre à Enghien. C’est un fruit précieux, mais qui exige d’être planté à une exposition chaude et de n’être cueilli que très-tard pour acquérir ses bonnes qualités. D’Enghien est encore sorti M. Châtillon, qui, s’étant fixé à Alost où il avait épousé Mlle Leunckers, y découvrit la Fondante des bois ou Bosc-per, un de nos fruits les plus précieux.

Quittons maintenant le Hainaut pour visiter le Brabant et la Flandre Impériale. Là nous rencontrons quelques fruits précieux, datant de la fin du siècle dernier et dont l’obtenteur est resté inconnu. Nous avons parlé de la Bergamote de Pentecôte, gagnée dans le jardin des Capucins de Louvain, et répandue par ces Pères dans les diverses villes où ils avaient des maisons. Dans le commencement de ce siècle, on la nommait : à Louvain, Pastorale ; à Anvers, Bergamote de pâques ; à Gand, Doyenné de printemps ; à Termonde, Seigneur d’hiver ; à Malines, Poire Anglaise ; à Tournay, Beurré d’Osterling, dont les jardiniers ont fait Beurré d’Austerlitz.

C’est aussi à la fin du dernier siècle que remonte le Beurré des trois-tours (doy-torren). Ce magnifique fruit fut gagné à l’ancien château du célèbre David Teniers, à Perck, près Vilvorde, devenu de nos jours la ferme des Trois-Tours. Le pied-mère avait, de bonne heure, été placé au mur, où il produisait ses fruits splendides, ce qui l’avait fait répandre dans tous les environs de Vilvorde, sous le nom de Beurré des trois-tours. Meuris, qui dirigeait la pépinière de Van Mons, lui en apporta des greffes, et bientôt Van Mons débaptisa la poire et lui donna le nom de Beurré Diel, sous lequel il la décrivit dans le second volume des Annales générales des sciences physiques, publié en 1819. Ce dernier nom a prévalu, mais en Brabant, c’est toujours le Beurré des trois-tours. Si cette poire n’est pas de qualité hors ligne, c’est du moins l’un des plus beaux fruits que l’on connaisse.

C’est aussi à la fin du siècle dernier, ou tout au commencement du présent, que doivent remonter deux fruits bien précieux : la Fondante des bois et le Beurré blanc d’hiver. La première que l’on attribue faussement à Van Mons, fut trouvée dans un bois des environs d’Alost et nommée Bosc-per, poire des bois. M. Châtillon, ancien directeur du parc d’Enghien et horticulteur distingué, s’étant établi à Alost par son mariage avec mademoiselle Leunckers, découvrit cette poire et en devint le parrain. Il y a plus de cinquante ans que nous en avons reçu un pied de M. Châtillon lui-même, et cet arbre nous produit chaque année de 1500 à 2000 grosses poires, excellentes pour tous les usages. C’est certainement un des fruits les plus précieux et les plus dignes d’être cultivés. Quant au Beurré blanc d’hiver, excellent fruit de janvier, il provient de Lierre en Brabant. L’obtenteur en est inconnu, mais il en existe à Lierre, chez M. Peeters-Schram, un arbre qui doit avoir de soixante à quatre-vingts ans, ce qui fait remonter cette conquête à l’époque indiquée.

Malines fut aussi, comme nous l’avons dit, un centre important de Pomologie. M. de Nélis, conseiller à la cour de Malines, s’adonna au semis des poires ; on lui doit le Colmar Nélis ou Bonne de Malines, variété très-recommandable. Avec lui vivait le comte de Coloma, auquel on doit plusieurs gains parmi lesquels nous citerons l’Urbaniste, déjà très-répandue en 1818, le Beurré Coloma, et un fruit mûrissant en mars et avril digne d’être cultivé, la Bonne Carmélite, qu’il a bien voulu nous donner il y a une cinquantaine d’années en inscrivant sur l’étiquette les mots : non dare, par lesquels tant de fruits se perdent. La Bonne Carmélite est une poire demi-cassante de la classe des Calebasses, mais sa longue durée est un mérite. À Malines appartient encore le major Esperen, qui a doté la pomologie d’une foule de fruits nouveaux, dont plusieurs sont réellement hors ligne. Nous citerons avant tout la Joséphine de Malines, poire exquise, mûrissant en février et mars, que tout amateur doit posséder et qui rivalise avec les gains d’Hardenpont ; la Bergamote Esperen, excellent fruit mûrissant en mars ; le Seigneur Esperen, fertile et excellent ; puis, sans avoir le même mérite, le Soldat-laboureur, espèce demi-cassante, Suzette de Bavay, le Beurré Bretonneau, et autres dont nous donnerons plus loin la liste.

L’homme qui a donné la plus vive impulsion à la pomologie est feu notre confrère et ami Van Mons, auquel on doit l’activité qui a régné en Belgique depuis son époque. Van Mons avait fondé à Bruxelles une vaste pépinière et une école de semis qui fut dévastée vers 1820 ; il en transporta les débris à Louvain, et gagna une infinité de fruits nouveaux dont un très-grand nombre ne fut pas même nommé. Son gain transcendant est son Nec plus ultra, connu sous le nom de Nec plus Meuris, dont on a fait : Ne plus meuris, N’a plus mûri. Voici l’explication de ce nom. Van Mons, esprit très-actif, était essentiellement abréviateur, et il écrivait nec plus pour nec plus ultra en y ajoutant le nom de son jardinier, Meuris. Au surplus, ce qui a fait la réputation de Van Mons, c’est d’une part sa théorie du semis, de l’autre la dissémination des bonnes variétés gagnées en Belgique qu’il répandait dans toute l’Europe en les rebaptisant presque toujours.

La théorie du semis donnée par Van Mons est entièrement nouvelle. Il soutenait qu’en ressemant sans cesse les poires nouvellement gagnées, on arriverait à ne produire que de bons fruits, de manière à n’avoir plus besoin de greffer les poiriers ; là était son idéal. C’est dans le second volume des Annales générales des sciences physiques, publié en 1819, qu’il développa pour la première fois cette théorie. Il expose qu’ayant appris qu’à Mons on avait obtenu des résultats heureux en semant les pepins des variétés nouvellement obtenues, de préférence aux anciennes, il avait étendu cette théorie au troisième et quatrième renouvellement, et que les pépins des fruits des derniers renouvellements, ces fruits fussent-ils d’une qualité inférieure, étaient préférables à ceux des meilleures variétés anciennes. « Il suffit, dit-il, de confier à la terre des noyaux ou des pépins du troisième renouvellement pour être certain d’avance d’avoir des fruits bons et beaux, de sorte qu’il devient désormais superflu de multiplier par la greffe ou par écusson les espèces d’arbres qui donnent ces fruits.[2] » Une théorie aussi neuve, aussi extraordinaire, appuyée sur des expériences, devait faire son chemin et elle l’a fait en couvrant d’honneur celui qui l’avait inventée. La théorie de Van Mons a acquis une véritable célébrité et elle a fait école dans le Brabant où nous allons voir ses résultats. Certainement, il y a du vrai dans la théorie de Van Mons, surtout au double point de vue de la rapidité de la mise à fruit et de la disparition des qualités repoussantes et sauvages de beaucoup de poires de semis ; mais aussi, en opérant de la sorte, si on obtient une plus grande quantité de fruits mangeables, on finit par n’obtenir que de très-petits fruits et de qualité médiocre. Pas un seul fruit transcendant n’est sorti de cette méthode. C’est ce qui explique comment Van Mons et ceux qui l’ont suivi, après avoir tant semé, ont laissé si peu de poires d’un mérite réel, des poires mangeables, mais absence de sucre et de saveur.

C’est surtout dans le Brabant Wallon que cette théorie a fait école. M. Bivort, continuant l’œuvre de Van Mons, a recueilli ses pépinières et obtenu quelques bonnes nouveautés. Il a été suivi par MM. Bouvier, Berkmans, Grégoire, Bauman, Nelis et de Jonghe, qui ont mis dans le commerce une quantité beaucoup trop grande de poires de semis. Pour l’utilité des amateurs nous avons fait le dépouillement des variétés indiquées dans les catalogues de nos pépiniéristes, en les rapportant à chaque obtenteur depuis cinquante ans ; nous allons donner ces listes avec les indications qui s’y trouvent, mais sans entendre assumer en rien ces qualifications, dont nous laissons toute la responsabilité à ces pépiniéristes. Trop souvent nous avons été induits en erreur par les indications : Poire de première, de toute première qualité, et nous sommes convaincus que la plus grande partie des variétés que nous allons indiquer doit descendre d’un bon degré. Mais si nous avions modifié l’appréciation pour certains fruits, la gradation était viciée et il nous a paru qu’il valait mieux conserver cette gradation, tout en faisant nos réserves formelles, quant à la qualification. Ceci posé, voici par rang d’auteurs l’indication des fruits gagnés en Belgique depuis cinquante ans et qui se trouvent dans le commerce, sans toutefois y comprendre les gains de Tournay, ou couronnés par la Société Royale d’horticulture de cette ville, qui viendront ensuite.

Nous le répétons, nous n’entendons assumer en rien les désignations de première qualité, ou bien de toute première qualité qui se trouvent à la suite des noms que nous allons donner. Nous-mêmes, trompés par ces désignations, nous avons dû regreffer plus des trois quarts des variétés que nous avions plantées sur la foi de ces indications. Nous ne les avons ici maintenues que pour montrer l’échelle de gradation des variétés entre elles et nullement comme une constatation de qualité dont nous n’acceptons en rien la responsabilité, mais dont nous engageons le lecteur à se défier, ces qualifications n’étant trop souvent faites que pour faciliter la vente.

Van Mons.

Alexandrine Hélie, moyen, première qualité. — Nov.

Arbre courbé, gros, première qualité. — Oct.

Arlequin musqué, gros, deuxième qualité. — Sept.

Beurré Colmar, gros, de toute prem. qual.Oct. nov.

Beurré Curtet, gros, de toute prem. qual.Oct. nov.

Beurré de Coninck, gros, première qualité. — Nov.

Beurré Du Mortier, petit, de toute prem. qualité. — Nov.
Son vrai nom, celui sous lequel je l’ai reçu de Van Mons, est Verte Du Mortier.

Beurré Gens, gros, première qualité. — Sept.

Beurré Sterckmans, gros, première qualité. — Janv.

Bois Napoléon, gros, première qualité. — Nov.

Charles Durieux, moyen, de toute prem. qual.Oct. nov.

Charles Smet, très-gros, deuxième qual. — Mars, mai.

Charles Van Mons, petit, de toute première qualité. — Nov.

Colmar d’Aremberg, très-gros, prem. qual.Nov. déc.

Colmar De Meester, gros, prem. qual. — Mars, mai.

Colmar Josse-Smet, moyen, prem. qual.Déc., janv.

Colorée d’août, moyen, deuxième qualité. — Août, sept.

Comte de Flandre, gros, de toute prem. qual.Déc. janv.

Conseiller à la cour, gros, prem. qual.Oct. nov.

Corps heat, gros, de toute prem. qual.Oct. nov.

Délices de Lovenjoul, gros, de toute prem. qual.Nov.

Doyen Dillen, gros, deuxième qualité. — Nov. déc.

Duc de Nemours, gros, première qualité. — Nov.

Enfant prodigue, moyen, première qualité. — Déc. janv.

Léon Leclerc, très-gros, deuxième qualité. — Mars, mai.

Nec plus ultra, Meuris, gros, de toute prem. qualité. — Déc.

Nouveau Poiteau, gros, première qualité. — Nov.

Présent Van Mons, assez gros, trois., qual. — Mars, avril.

Retour de Rome, gros, première qualité. — Oct. nov.

Surpasse Meuris, gros, de toute première qualité. — Oct.

Théodore Van Mons, moyen, première qualité. — Oct. nov. Tout il faut, moyen, deuxième qualité. — Août.

Verte Du Mortier, (plus haut sous le faux nom de Beurré Du Mortier).

Esperen.

Bergamote Esperen, assez gros, de toute pr. q. — Mars, avril.

Bezi Esperen, gros, première qualité. — Oct.

Bon Gustave, gros, première qualité. — Janv.

Charlotte de Brower, moyen, première qualité. — Oct. nov.

Des deux Sœurs, gros, deuxième qualité. — Nov.

Double Rousselet, assez gros, première qualité. — Sept.

Elisa d’Heyst, moyen, première qualité. — Mars, avril.

Grand Soleil, gros, de toute première qualité. — Nov. janv.

Joséphine de Malines, moyen, de toute pr. q.Janv. avril.

Juive, assez gros, première qualité. — Nov.

Passe-Colmar musqué, moyen, de toute pr. q.Oct. nov.

Passe tardive, assez gros. — D’une année à l’autre.

Princesse Charlotte, assez gros, deuxième qual.Oct. nov.

Princesse Marianne, moyen, deuxième qual.Oct. nov.

Seigneur Esperen, assez gros, de toute pr. q.Oct. nov.

Soldat laboureur, assez gros, de toute pr. qual.Oct. nov.

Suzette de Bavay, moyen, de toute prem. qual.Fév. avril.

Vineuse d’Esperen, moyen, première qualité. — Sept. Oct.

Bivort.

Adèle Lancelot, très-gros, première qualité. — Oct.

Alexandre Lambré, moyen, première qualité. — Oct. nov.

Aline Richald, moyen, première qualité. — Oct.

Amand Bivort, moyen, première qualité. — Oct.

Belle Fleurusienne, gros, deuxième qualité. — Déc. janv.

Bergamote Heinbourg, gros, première qualité. — Sept.

Beurré Bennert, petit, première qualité. — Fév. mars.

Beurré Berckmans, moyen, première qualité. — Nov. déc.

Charles Bivort, moyen, première qualité. — Déc. janv.

Comte de Paris, gros, deuxième qualité. — Nov. janv.

De Lamartine, petit, première qualité. — Oct. nov.

Docteur Cornelis, gros, première qualité. — Août, sept.

Docteur Trousseau, gros, deuxième qualité. — Nov. déc.

Duc d’Aumale, moyen, de toute prem. qual.Sept. Oct.

Duchesse Hélène d’Orléans, moyen, de toute pr. q.Nov.

Florimont Parent, très-gros, deuxième qualité. — Oct.

Jean-Baptiste Bivort, gros, première qualité. — Nov.

Laurence de Glymes, assez gros, prem. qual.Oct. nov.

Léopold Ier, assez gros, deuxième qualité. — Déc. janv.

Madame Elisa, gros, première qualité. — Nov. déc.

Mgr Affre, petit, première qualité. — Nov. déc.

Pie IX, gros, deuxième qualité. — Sept. Oct.

Prévost, moyen, deuxième qualité. — Mars, avril.

Prince Albert, assez gros, deuxième qualité. — Fév.

Willermoz, gros, deuxième qualité. — Oct.

Berckmans.

Alexandre Bivort, fondant, première qualité. — Déc. janv.

Beurré de Wetteren, gros, première qualité. — Fév. mars.

Emilie d’Heyst, gros, première qualité. — Octobre.

Légipont.

Légipont, moyen, première qualité. — Novembre.

Simon Bouvier.

Aimée Adam, gros, première qualité. — Oct. nov.

Amand Adam, gros, première qualité. — Oct. nov.

Bouvier Bourgmestre, gros, prem. qualité. — Déc. janv.

Colmar Navez, gros, première qualité. — Oct. nov.

Délices de Jodoigne, moyen, première qualité. — Octobre.

Docteur Maluce, assez gros, prem. qualité. — Octobre.

Émilie Herpin, gros, première qualité. — Déc. janv.

Émilie Bivort, moyen, première qualité. — Novembre.

Henriette Bouvier, moyen, prem. qualité. — Nov. déc.

Souvenir d’Esperen, assez gros, prem. qual.Nov. déc.

Triomphe de Jodoigne, très-gr., prem. qual.Nov. déc.

Beauman.

Bergamotte Hertrick, moyen, de toute pr. q. — Mai, juin.

De Jonghe.

Délicat, moyen, de toute première qualité. — Janvier.

Bronzé d’Enghien, gros, première qualité. — Novembre.

Colmar Marnix, moyen, de toute prem. qual.Janv. fév.

Duc Alfred de Croy, gros, de toute première qual.Déc.

La grosse figue, moyen, première qualité. — Nov. déc.

Prince Camille, moyen, première qualité. — Février.

Robert Treel, moyen, première qualité. — Fév.

Grégoire.

Aglaé Grégoire, gros, demi-fondant, pr. q. — Mars, avril.

Anna Nélis, moyen, deuxième qualité. — Mai, juin.

Avocat Allard, moyen, de toute prem. qual.Oct. nov.

Avocat Nélis, gros, deuxième qualité. — Mai, juin.

Bergamote de Jodoigne, moyen, deux. qual. — Mai, juin.

Beurré Delfosse, moyen, de toute prem. qual.Déc. fév.

Colmar Delahaut, gros, première qualité. — Mars.

Commissaire Delmotte, moyen, prem. qual. — Fev. mars.

Docteur Lentier, gros de toute prem. qual.Oct. déc.

Docteur Nelis, moyen, première qualité. — Déc. janv.

Émilie Minot, moyen, première qualité. — Oct. nov.

Gérardine, gros, première qualité. — Nov.

Gilain J.-J. très-gros, première qualité. — Sept.

Hélène Grégoire, gros, première qualité. — Oct. nov.

Henry Grégoire.

Henry Ledocte, gros, première qualité. — Nov.

Iris Grégoire, moyen, de toute première qualité. — Fév.

Incomparable Beauraing, gros, deuxième qual.Nov.

La cité Gomaud, moyen, première qualité. — Oct.

La sœur Grégoire, gros, de toute pr. q.Déc. Janv.

Léon Grégoire, assez gros, de première qual.Déc. Janv. Léontine Van Exem, moyen, deuxième qual.Nov. déc.

Louis Grégoire, moyen, première qualité. — Nov. janv.

Madame Grégoire, gros, de toute pr. q.Déc. janv.

Mathilde Gomaud, moyen, première qualité. — Janv.

Minot Jean-Marie, gros, deuxième qualité. — Déc. févr.

Mgr Sibour, moyen, de toute première qualité. — Nov.

Nouvelle Aglaé Grégoire, moyen, première qual.Nov.

Nouvelle Fulvie, gros, de toute prem. qual.Janv. fév.

Précoce de Jodoigne, petit, première qualité. — Juillet.

Président Muller, gros, première qualité. — Nov.

Président Royer, moyen, de toute pr. q.Nov. janv.

Prince impérial, gros, deuxième qualité. — Déc. janv.

Professeur Hennau, gros, première qualité. — Oct.

Rousselet Vanderweken, petit, prem. qual.Nov. janv.

Sénateur Mosselman, moyen, deuxième qual. — Avril, mai.

Soldat Bouvier, moyen, première qualité. — Sept. Oct.

Souvenir de Léopold Ier, gros, deuxième qualité.

Souvenir de la reine des Belges, assez gros, de toute prem. qualité. — Oct. nov.

Souvenir de Simon Bouvier, moyen, deux. q.Nov. déc.

Thérèse Kumps, moyen, première qualité. — Janv. fév.

Transylvanienne, gros, deuxième qualité. — Sept. Oct.

Vice président Delehaye, gros, prem. qual.Nov. déc.

XXV anniversaire de Léopold Ier, gros de toute première qual.Nov. déc.

Zephyrin Grégoire, moyen, de toute pr. q.Nov. déc.

Zéphyrin-Louis, moyen, de toute pr. qual.Févr. mars.

Il nous reste à parler des fruits de Tournay. On sait que, par son sol argileux et calcaire, cette ville a acquis pour ses fruits une réputation justement méritée ; en Belgique, si Gand est la capitale du royaume de Flore, Tournay est la capitale de celui de Pomone. Cela est dû à deux causes : à un sol exceptionnellement favorable au goût et au parfum des fruits, puis au soin religieux qu’ont pris nos amateurs et nos jardiniers de ne cultiver que les variétés les plus exquises et les mieux éprouvées. On n’y vise pas au nombre des variétés, mais à leur qualité ; toute poire secondaire y est impitoyablement sacrifiée, et c’est par ce moyen que Tournay conserve sa renommée. Aussi parmi les listes que nous venons de donner, nous ne saurions pas citer dix variétés répandues dans cette ville, tant on y est difficile pour la qualité des fruits.

Dans le siècle dernier, quelques espèces paraissent avoir été gagnées à Tournay : La Calebasse, la Mansuète de Tournay, la Poire David et la Calebasse à la Reine. La Marquise d’Hem avait été gagnée au château d’Hem, entre Tournay et Lille ; M. Pressin de Fellignies avait obtenu dans son jardin, rue du château, le célèbre Brugnon de Fellignies. À la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, MM. Joseph De Gaest de Braffe, et François De Hove avaient commencé à semer ; ils furent bientôt suivis par MM. Norbert Bouzin, doyen de Chin, Gabriel Everard, Charles-Louis Durondeau, Florimond Castelain, Joseph Dumont, Isidore Dubuisson, Pringalle, Daras de Naghin, etc., à qui l’on doit d’excellents gains.

La Société Royale d’Horticulture était à peine fondée que nous proposâmes de décerner une médaille d’honneur à tout fruit gagné qui serait jugé digne de cette distinction. Cet encouragement et la publicité donnée aux récompenses furent très-utiles. Non-seulement les semeurs du Tournaisis, mais aussi ceux des localités voisines, M. Fontaine de Ghelin, M. Six de Courtrai, M. Père d’Ath, M. Biseau d’Hauleville, etc., soumirent leurs gains à l’appréciation du Jury de la Société. Dussions-nous déplaire à quelques personnes, nous disons sans hésiter, qu’avec le Beurré Napoléon et la Joséphine de Malines, toutes les poires les plus exquises, les plus parfaites, gagnées en Belgique durant ce siècle, figurent parmi celles couronnées par la Société Royale d’Horticulture de Tournay, et c’est là seulement qu’on trouve des fruits qui rivalisent avec les gains de l’abbé Hardenpont. Le Beurré Dumont, le Beurré Durondeau, le Beurré Dubuisson, le Beurré Saint-François, le Beurré Dilly, le Colmar Daras, sont des fruits hors ligne ; l’Episcopale, plantée au mur au midi, le Beurré de Naghin, greffé sur coignassier, le Délice Everard, le Délice Fontaine, le Beurré Six, le Délice de Froyennes, le Beurré Saint-Aubert, la Crassane Du Mortier, le Beurré de Ghelin, la Castelinne, le Beurré Pringalle, etc., les suivent de près.

Comme c’est à ces fruits qu’est consacrée la seconde partie de ce travail, nous ne nous y arrêterons pas davantage, notre but n’étant ici que de montrer la part brillante que Tournay et sa Société d’Horticulture ont prise dans la marche de la pomologie en Belgique.

[1.2]

§ 2.

Nomenclatire.

La nomenclature des poires laisse infiniment à désirer, tant sous le rapport de la coordination, que sous celui de la dénomination. Examinons ces deux points.

[1.2.1]
I. Coordination.

Dans toute collection multiple, le besoin de l’esprit humain est de coordonner, pour arriver à rapprocher les analogues et à éloigner les choses dissemblables. C’est sur cette pensée que repose la classification des êtres par familles, genres et espèces ; c’est sur elle aussi que reposait jusqu’à ces derniers temps la coordination des poires On admettait des groupes, les beurrés, les bergamotes, les calebasses, les doyennés, les bons chrétiens, les colmars, etc., et ces groupes servaient à donner une idée du fruit. À ces noms on ajoutait fréquemment un adjectif qualificatif, comme Beurré gris, Beurré blanc, Bon-chrétien d’été, Colmar d’hiver, ou bien le nom de l’obtenteur, ce qui constituait une nomenclature régulière et scientifique. Il y avait dans chaque dénomination quelque chose qui rappelait un souvenir et facilitait ainsi l’étude de la pomologie. Mais dans ces derniers temps beaucoup de semeurs ont trouvé plus commode de supprimer le nom coordonateur, et traitant les variétés de poires comme des semis de pelargonium, de fuchsia ou de roses, ils en sont arrivés à désigner leurs gains par des noms de personnes, sans aucun point de repère. Ce système introduit dans la pomologie une confusion complète, et comme les poiriers gagnés de semis ont une durée bien autre que les formes de pelargonium ou de fuchsia obtenues de semis, on finira par ne plus s’y reconnaître. Nous n’ignorons pas que le mot beurré ne représente pas une forme, mais une qualité ; que les formes des poires ne sont pas absolues, mais présentent des intermédiaires ; on conviendra toutefois que malgré ces défectuosités, les mots de Beurré gris, Bergamote crassane, Bon-chrétien Napoléon représentent tout autre chose à l’idée que de désigner des poires nouvelles sous le nom de Robin, Robineau, Robinet.

Nous venons de dire que le mot Beurré ne représente pas une forme mais une qualité ; il en est autrement des mots Bergamote, Calebasse, Doyenné, Bon-chrétien, qui dans le langage pomologique indiquent une forme de fruit. Or, si le mot de Beurré, qui désigne parfaitement une qualité de fruit doit être soigneusement maintenu pour ce motif, les formes peuvent aussi fournir un élément précieux de classification. Essayons de démontrer cette vérité.

En étudiant les poires, on voit que les diverses formes qu’elles présentent peuvent être ramenées à huit types principaux, savoir :

1° Les Pomiformes, forme plus large que haute ombiliquée fortement aux deux extrémités. Exemples : la Bergamote pomme, l’ognonet, l’épine.
2° Les Doyennés, forme un peu plus haute que large ; le plus grand diamètre en grosseur est vers le milieu du fruit, qui rondit vers le bas. Exemples : le Doyenné, le Beurré Dehove, le Beurré gris, le Beurré Biseau, le Beurré Six, la Fondante des bois.
3° Les Bergamotes, forme un peu plus large que haute, épatée, à base large, offrant le plus grand diamètre au-dessous du milieu. Exemples : la Bergamote crassane, la Marquise d’Hem, la Bergamote de Tournay, le Délice Everard.
4° Les Bons-chrétiens, forme plus haute que large, pyramidale, à sommet élargi, profil resserré au-dessus du milieu. Ex. : le Bon-chrétien, le Beurré Liart ou Beurré Napoléon, la Médaille d’été, la Belle de Kain, le Bon-chrétien d’Auch ou Poire d’amour.
5° Les Mansuètes, forme plus haute que large, pyramidale, atténuée au sommet, à base arrondie. Exemples : la Mansuète, le Beurré Durondeau, la Petite Charlotte, le Beurré Dilly, la Bellissime d’été, le Beurré d’Amanlis.
6° Les Calebasses, forme allongée, irrégulière, à deux côtés inégaux, arrondie à la base, peau roussâtre. Exemples : la Calebasse, la Calebasse Bosc, la Calebasse carafon.
7° Les Béziformes, forme plus longue que large, renflée sous le milieu, atténuée au sommet et au bas. Exemples : le Bezi de Chaumontel, le Beurré d’Hardenpont, le Colmar Du Mortier, le Beurré Gilles, la Poire Dagobert ou Double-mansuète.
8° Les Fusiformes, forme très-allongée, atténuée aux deux extrémités. Ex. : Epargne ou Beau-présent, le Jargonelle d’automne.

Nous ne donnons pas cette coordination comme parfaite, loin de là, mais comme un jalon posé pour arriver à la classification des poires. Il y a d’ailleurs dans ces fruits une certaine fixité que montre l’expérience. Tous ceux qui se sont adonnés au semis ont pu voir que la plupart des variétés se reproduisent avec de légères et faibles nuances. Semez des pépins de Beurré d’Hardenpont ou de Passe-Colmar et vous reproduirez ces fruits ; c’est ce qui nous est souvent arrivé. Cette observation prouve que la valeur des formes est sérieuse et qu’on doit en tenir état dans l’étude de la pomologie.

[1.2.2]
II. Poires belges débaptisées.

Indépendamment des considérations que nous venons de présenter sur la nomenclature, il est un point bien digne d’examen, c’est le fait de voir nos fruits les plus exquis débaptisés à l’étranger. La Belgique a de bien grandes et bien légitimes réclamations à faire à ce sujet. Croirait-on qu’à l’exception du Passe-Colmar, toutes les poires d’Hardenpont, l’illustre fondateur de la Pomologie, ont été débaptisées, et que dans les catalogues étrangers, son nom est disparu ! Prenons le Beurré d’Hardenpont.

En 1806, Louis Noisette, grand horticulteur de Paris, vint en Belgique, non à Héverlé comme on l’a écrit, mais à Enghien, pour faire ses achats chez Parmentier, qui était alors le premier horticulteur du continent. Quand la guerre continentale interdisait toute relation avec l’Angleterre, où personne ne pouvait aller, Parmentier seul avait une licence de Napoléon pour se rendre en Angleterre et y acheter toutes les plantes nouvelles, afin d’en meubler les serres de la Malmaison, séjour de l’impératrice Joséphine. C’était donc chez Parmentier qu’il fallait venir pour se procurer les raretés, les nouveautés horticoles. Louis Noisette étant venu dans ce but en 1806 à Enghien, y trouva deux poires inconnues en France, le Beurré d’Hardenpont et le Passe-colmar ; il en apporta des greffes à Paris. Ce dernier fruit conserva son nom, mais le premier fut débaptisé et livré au commerce en France sous le nom de Beurré d’Aremberg. Qui fut l’auteur de ce délit ? peut-être Noisette, peut-être Parmentier, qui était intendant du duc d’Aremberg. Toujours est-il qu’en France le nom falsifié prévalut. Ce n’est pas tout, dans les environs de Mons, cette délicieuse poire est connue sous le nom de Glout-Morceau ; de ce nom on a fait en France : goulu-morceau. Or, le mot glout, gloutte, en wallon, signifie friand ; d’où le mot gloutonnerie. Glou morceau, c’est donc friand morceau ; goulu, au contraire, c’est le mangeur. Ainsi, le Beurré d’Hardenpont est devenu un vorace mangeur, au lieu d’un fruit digne d’être mangé. Mais on a fait plus, on a confondu le gain d’Hardenpont avec le Glou-morceau de Cambron, poire entièrement différente et de second ordre ; puis on lui a donné encore d’autres noms, Beurré de Kent, Beurré Lombard, etc.

Le Délice d’Hardenpont, cette poire-sœur du Passe-Colmar, n’a pas eu meilleure chance, et on a été jusqu’à dire qu’Hardenpont ne l’avait pas gagnée. Notez que ces prétendues découvertes se font un siècle après le gain ; que c’est cent ans après que, subitement illuminé, on vient nier un fait incontestable et incontesté, comme si les gains d’Hardenpont étaient une gène pour nos voisins ! Ici encore le nom de l’illustre obtenteur est disparu, et les écrivains français, MM. Decaisne et André Leroy, l’ont décrite et figurée sous le nom de Charles d’Autriche ou d’Archiduc-Charles. Or ici, paraît-il, c’est Van Mons le coupable, qui a débaptisé l’espèce. Les noms de Charles d’Autriche et d’Archiduc Charles sont inconnus en Belgique, pays d’origine du Délice d’Hardenpont, et déjà en 1808 M. Noisette la propageait sous son nom véritable. Mais Oberdieck ayant écrit qu’en 1810, Van Mons l’avait envoyé à Diel de Stutgardt, sous le nom de Charles d’Autriche, le pomologue Hanovrien paraît avoir modifié ce nom en Archiduc Charles. Assurément la fausse désignation donnée par Van Mons a pu induire momentanément en erreur ; mais aujourd’hui que cette erreur est reconnue, pour quoi ne pas rétablir le nom véritable ? C’est, dit M. A. Leroy, pour ne pas confondre le Délice d’Hardenpont belge avec le Délice d’Hardenpont d’Angers. C’est-à-dire qu’on commet une erreur, pour maintenir une autre erreur. Il ne saurait, ajoute-t-il, y avoir le moindre inconvénient à rayer ce nom de la nomenclature des variétés. Pardon, il y a inconvénient, il y a délit, il y a ingratitude à faire disparaître de la nomenclature le nom du fondateur de la pomologie.

Tandis qu’on débaptisait ainsi le Délice d’Hardenpont, on donnait à Angers ce nom à une poire qui n’a jamais été cette espèce, mais qui avait été envoyée sous ce nom à M. André Leroy d’Angers, en 1832, par Van Mons, et qui est aujourd’hui décrite et figurée par le savant pomologue français sous le nom de Délice d’Hardenpont d’Angers. Nous ne connaissons pas ce dernier, mais la figure et la description qu’en donne M. Leroy dans son remarquable Dictionnaire de Pomologie, nous porte à croire que sa poire n’est autre que la Fondante du Panisel d’Hardenpont. Celle-ci a été gardée en original dans la famille du célèbre semeur, à Tournay. L’abbé Nicolas Hardenpont avait à Tournay son neveu, Charles-Bernard Hardenpont, chanoine de la cathédrale de Tournay, mort en 1826, et une nièce mariée au conseiller Macau. Dans le jardin des Macau à Jollain, étaient deux arbres au vent de la Fondante du Panisel, greffés du temps de Nicolas Hardenpont. Ces pieds étant morts de vétusté il y a peu d’années, M. le notaire Macau a fait regreffer l’espèce qu’il conserve avec soin. Or, si nous examinons et le type du fruit et la description de l’arbre du Délice d’Hardenpont d’Angers, nous croyons y retrouver la Fondante du Panisel. Ce point au reste est à vérifier.

Le Beurré rance, cet autre gain si remarquable d’Hardenpont, a été aussi débaptisé à son tour, et ici encore, un siècle après, on a voulu lui contester ce gain, soit en attribuant la poire au village de Rance, soit en la faisant passer pour une vieille poire française. Ainsi que nous l’avons dit, ce fruit lors qu’il provient d’un arbre vigoureux et abondant en sève, a un goût rance très-prononcé, tandis que sur un pied arrêté en sève, le goût rance disparaît entièrement et fait place à un fruit exquis. C’est dans le premier état qu’Hardenpont lui a donné son nom. M. l’abbé Charles-Bernard Hardenpont, nous a souvent dit que son oncle avait ainsi nommé cette poire, parce que dans l’origine de son gain elle avait un arrière-goût rance. Cependant des malins ayant mangé ce fruit dans son état parfait, ont cru qu’il y avait là une faute d’orthographe, et avec l’aide de leur galopante imagination, ils se dirent que le mot de rance devait se rapporter au village de ce nom, et de là ils inventèrent non pas la poire, mais son prétendu gain dans ce village. C’est ainsi qu’on écrit l’histoire ; un roman ! Depuis lors, plusieurs écrivent Beurré de Rance, Bon-chrétien de Rance, ou de Rans, alors que le village de Rance n’a jamais vu ce fruit que dans l’imagination romantique de ces correcteurs d’une nouvelle espèce.

C’est vers 1760 qu’Hardenpont gagna le Beurré rance ; or, voici que cent et sept ans après, dans son magnifique ouvrage intitulé Dictionnaire de Pomologie, M. André Leroy, subitement illuminé, parvient à découvrir que ce n’est pas un gain d’Hardenpont, mais une vieille variété indiquée en 1618 par Le Lectier sous le nom de Gastelier, et en 1673 par Merlet sous celui de Beurré d’hiver. En voici, d’après lui, la preuve. M. Noisette qui a débaptisé les poires d’Hardenpont, a introduit en 1806 en France et décrit dans son jardin fruitier le Beurré rance sous le faux nom de Beurré d’hiver. Or, le Beurré d’hiver a été indiqué en 1673 par Merlet qui le décrit comme suit : « Pendant le mois de décembre et les suivants, se mange… le Gatellier, ou Jenart, ou Beuré d’hyver, estant gros, verd, long ou ovale, et bœuré, d’une eau peu relevée, et meilleur encor cuit que cru. » Voilà bien, dit M. André Leroy, la description du Beurré rance. Nous disons, nous, que cette description peut s’appliquer à vingt fruits, mais que très-certainement elle ne le peut pas à la poire d’Hardenpont, qui mûrit non en décembre, mais bien en mars et avril, qui n’est pas du tout une poire à cuire, mais le plus délicieux fruit de cette saison ; dont l’eau enfin n’est pas peu relevée, mais très-sucrée, très-relevée et exquise. M. André Leroy cite un texte de Louis Noisette que nous ne trouvons pas dans son livre, car les pages qu’il indique sont celles de la table ; voici ce que porte le jardin fruitier de Noisette à la page 113 : « Beurré d’hiver. Nous avons rapporté du Brabant, il y a quelques années, cet excellent fruit que l’on ne connaissait pas alors à Paris. Calvet a décrit sous le nom de Beurré d’hiver une poire à cuire, tandis que celle dont nous parlons ici est une très-bonne poire à couteau, qui a la chair fondante comme celle du beurré ordinaire et qui mûrit jusqu’en janvier. Sa peau reste constamment verte. » Voilà qui est net. D’ailleurs, comment peut-on imaginer qu’un aussi excellent fruit, si remarquable par l’époque de sa maturité, serait resté inconnu pendant deux cents ans en France, pour être révélé ensuite par Hardenpont. Certes, ce serait là un fait bien plus extraordinaire, bien plus inexplicable que le gain lui-même. C’est une petitesse, indigne d’une grande nation comme la France, de vouloir enlever à la Belgique ses succès en pomologie, et quand nous voyons dénier à Hardenpont ses magnifiques succès et faire disparaître son nom glorieux de la nomenclature des poires, nous sommes en droit de nous demander s’il n’y a pas là-dessous un petit sentiment de jalousie nationale. Nous concevons cela chez des gens sans étoffe, mais chez un homme de la valeur de M. André Leroy, nous ne le concevons pas. Rendez à César ce qui appartient à César, et à Hardenpont ce qui appartient à Hardenpont.

Nous avons dit l’histoire du Beurré Liart enlevé à son obtenteur et consacré par le préfet De Coninck à l’empereur Napoléon en disant, comme disent les préfets : « Il faut que la meilleure des poires porte le nom du plus grand des héros. » Depuis, elle a eu vingt autres noms, énumérés dans le Dictionnaire pomologique de M. André Leroy, mais celui de l’obtenteur a disparu ; et c’est très-injuste, car Liart, en gagnant cet excellent fruit, a mieux servi l’humanité, que le plus grand des héros en faisant tuer un million d’hommes.

L’Orpheline, cet autre excellent fruit, gagné par l’abbé Deschamps dans le jardin de l’hospice des Orphelins à Enghien, dont il était le Directeur, fut aussi débaptisé à son tour. Van Mons le nomma successivement Colmar Deschamps et Délice des Orphelins ; puis, en 1827, le Bon jardinier le désigna sous le nom de Beurré d’Aremberg. La vogue de ce manuel horticole propagea ce nom dans le Brabant, en sorte qu’il y avait deux Beurrés d’Aremberg, l’un en France, qui est le Beurré d’Hardenpont, l’autre en Brabant qui est l’Orpheline, noms faux tous les deux, car il n’existe pas de Beurré d’Aremberg, si ce n’est parmi les poires débaptisées. Le Congrès pomologique de France, qui parait n’avoir pas connu l’histoire des fruits belges, a propagé cette erreur en désignant l’Orpheline sous le nom de Beurré d’Aremberg vrai.

Le Seigneur d’Esperen a subi le même outrage. Non-seulement on a fait disparaître de cette poire le nom de l’obtenteur, pour la nommer Belle lucrative ou Bergamote lucrative, mais M. Liron d’Airoles a voulu en enlever la gloire à Esperen, en prétendant qu’elle avait été gagnée en France, à Maubeuge, par M. Fiévée. Malheureusement pour ce sentiment, dès 1831, Lindley la déclarait une poire flamande et non française. Quand au nom de Bergamote lucrative, ce n’est point là une désignation d’obtenteur, mais celle d’un marchand de poires. Partout nous voyons donc les poires belges débaptisées à l’étranger et nos gains les plus précieux attribués à d’autres.

Mais celui qui a débaptisé le plus de poires, et qui le faisait par système, est feu notre ami Van Mons. Changer les noms des poires, était pour lui une démangeaison irrésistible, en substituant aux dénominations anciennes, les noms de ses amis et connaissances. C’est en 1819, dans les Annales générales des sciences physiques, qu’il inaugura ce regrettable système. Le Beurré des Trois-Tours fut débaptisé et nommé Beurré Diel ; la Calebasse de Swates, de Linkebecke, Calebasse Bosc ; la Fondante des bois, Beurré Davy ; l’Orpheline, Colmar-Deschamps ; l’Urbaniste, Beurré Drapier ou Beurré Picquery ; la Calebasse Carafon, Calebasse Van Marum, etc. Van Mons s’était constitué le curé général de la pomologie, rebaptisant sans merci tous les gains belges, au grand détriment de la nomenclature, et comme son immense activité le mettait en rapport avec tous les pomologues d’Europe à qui il communiquait nos fruits, il est en partie l’auteur de la confusion qui a régné dans les noms des poires belges.

La conclusion de ce qui précède, c’est qu’en pomologie comme en botanique, ce qu’il faut avant tout respecter, c’est le droit de priorité, droit sacré puisqu’il est l’unique privilège de l’obtenteur. Celui qui a consacré des années à gagner un bon fruit, a le droit de lui donner un nom, et ce nom, qui a pour lui la priorité, doit être respecté. Ce n’est que par cette règle qu’on parviendrai éviter la confusion qui menace d’envahir la nomenclature pomologique.


  1. C’est par erreur qu’on a dit Heverlé.
  2. Ann. gén. des sciences physiques, vol. 2. page 53.