Vve H. Casterman (p. 33-50).

Chapitre II.

Culture

[2.1]

§ 1.

de la qualité des poires.

La connaissance de la qualité des poires est une des choses les plus indispensables à celui qui veut s’adonner à la culture de ce fruit. Chaque jour vous entendez dire : J’ai acheté tel poirier comme un fruit de première qualité, et je suis trompé. C’est que les indications données par les catalogues des pépiniéristes sont souvent d’une complaisance désolante. Ainsi, sur 803 variétés de poires indiquées dans le dernier catalogue de M. André Leroy, pépiniériste célèbre par son établissement et par son bel ouvrage, il s’en trouve 483 signalées comme de première qualité. C’est étendre singulièrement la signification des mots première qualité, qui ne devraient comprendre que les perfections. Or, si nous devions citer les poires réellement parfaites, nous aurions bien peine d’arriver à une vingtaine.

Pour établir la qualification des poires, la première chose à faire, c’est de fixer les types de perfection, afin de pouvoir ensuite opérer par voie de comparaison. Pour les jardiniers de Tournay, le type de perfection est le Délice d’Hardenpont, auquel nous adjoindrons le Beurré Dumont qui est au moins son égal. Ces deux variétés offrent les plus hautes qualités réunies, elles n’ont aucun défaut et prospèrent sur le coignassier comme sur le franc, sans que le sujet opère défavorablement sur les conditions de perfection du fruit. Toutes deux donnent des poires de très-belle dimension, entièrement fondantes et beurrées, à chair fine et nullement granuleuse ou cotonneuse, entièrement dépourvues de pierres, dégageant une eau abondante, sucrée et relevée. Voilà pour nous le type de perfection, devant servir de point de comparaison pour la qualification des poires.

Sans doute, il est des fruits qui sont très-méritants sans réunir toutes les qualités que nous venons de signaler, par exemple, des variétés contenant quelques graviers autour de la columelle ; d’autres moins absolument fondantes, mais pourtant non cassantes. Ces fruits, sans être des perfections, sont pourtant excellents. Mais la condition dominante de la perfection des poires est la saveur. Le fruit le plus fondant, le plus beurré, s’il n’a pas une eau abondante, sucrée et relevée, soit par le parfum, soit par la vinosité, ne sera jamais qu’un fruit médiocre. La perfection de la poire est dans la saveur. C’est là ce qu’on a beaucoup trop négligé, et ce qui a fait mettre dans le commerce, comme de première qualité, tant de poires médiocres, sans sucre et sans saveur.

Mais pour obtenir les conditions de perfection, il ne suffit pas de planter des poires parfaites. Le nombre des poires qui, comme le Passe-colmar, conservent leurs qualités dans tous les terrains et sur tous les sujets, est peu considérable. La plupart des variétés ont leur caprice, et c’est ce caprice qu’il faut connaître. Telle variété exige d’être greffée sur franc, telle autre sur coignassier, pour obtenir de bons fruits. Aussi le Beurré d’Hardenpont greffé sur franc est une perfectien hors ligne ; greffe sur coignassier, ce n’est qu’un fruit secondaire, et si ce coignassier est planté dans un sol humide, ce n’est plus qu’un navet. Il en est de même du Colmar Du Mortier.

Par contre, le Beurré de Naghin greffe sur franc reste dur et n’est bon qu’à cuire, tandis que sur coignassier peu vigoureux, c’est une perfection. Le Bon-chrétien est dans le même cas ; sur franc il n’est propre qu’à cuire, tandis que greffe sur coignassier en espalier au midi, c’est un délicieux fruit de carême, bien qu’à chair cassante. Il faut donc avant tout connaître ces caprices individuels, pour arriver à produire des fruits parfaits. C’est là l’objet d’une étude indispensable.

Le sol, le climat et l’exposition sont aussi des conditions essentielles à étudier. L’expérience a démontré que les poires méridionales ne sont, presque toujours, que d’une qualité secondaire en Belgique. Cela tient sans doute à ce que notre climat ne fournit pas une quantité suffisante de calorique pour ces variétés. Il en résulte que, chez nous, les poires belges d’élite sont d’une qualité bien supérieure à celles de France ; aussi, tous ceux qui se sont procuré ces dernières ont dû finir par s’en débarrasser. C’est au reste une règle qui s’applique à tous les fruits ; les pèches, les raisins du Midi sont loin de valoir, dans les climats tempérés, les variétés de pêches et de raisins produites dans ces climats ; le Nord de l’Europe leur est défavorable, tandis que les variétés gagnées dans les pays moins chauds y conservent leurs qualités, et les voient s’accroître encore si on les plante dans des contrées plus méridionales. C’est ce qui explique la supériorité de nos variétés sur celles du Midi.

Une autre considération très-importante pour apprécier la qualité des poires, c’est l’exposition à laquelle il faut planter les arbres. Les fruits d’hiver ont besoin de bien plus de calorique que les fruits d’automne, pour arriver à leur parfaite maturité, et pour cela ils doivent être plantés en espalier au Midi. Ce serait donc bien mal juger plusieurs d’entre eux, que de les apprécier sur des poires venues en plein vent. Ainsi l’Episcopale, en espalier au Midi, est un des meilleurs fruits de mars, supérieure même à la Joséphine de Malines ; en plein vent, elle reste dure et complètement insignifiante. Il en est de même du Bon-chrétien, poire cassante, mais qu’on ne saurait assez cultiver pour l’exquise qualité de sa saveur et l’époque de sa maturité.

Enfin, l’époque de la cueillette est aussi souvent une condition de qualité. Il est des fruits d’hiver qui ne se forment que tardivement et même après la mi-octobre. La Bergamote de Pentecôte et la Joséphine de Malines sont dans ce cas. Pour qu’elles aient acquis leurs qualités si remarquables, il faut ne les cueillir que dans le commencement de novembre.

Nous venons d’indiquer le sol ; c’est encore un point à bien étudier. Il est des fruits qui font merveille dans tel sol et qui sont d’une affligeante médiocrité dans tel autre. Il en est qui viennent bien dans les terres argileuses et qui se gercent et se tachent dans les terrains sablonneux. De ce qu’une variété ne réussit pas dans un sol sablonneux ou humide, il n’en faut pas conclure qu’elle ne vaut rien, mais qu’elle est dans un terrain qui ne lui convient pas. Le poirier aime le calcaire, et si le sol est privé de ce principe, il sera bien, avant de planter un arbre, de creuser une fosse très-profonde et d’y enterrer des débris de vieux murs, afin que la chaux que contiennent ces débris vienne rendre du calcaire au sol qui en est privé. Le calcaire est la condition première de la bonne qualité des poires, et c’est pour cela que les fruits de Tournay possèdent cette supériorité qu’on leur connaît. Nous recommandons beaucoup cette considération aux amateurs curieux.

Enfin, pour obtenir la meilleure qualité des poires, il faut éviter de pousser, par l’engrais, les fruits à de grosses dimensions. La poire la plus délicieuse est la moyenne ; la grosseur démesurée est toujours aux dépens de la qualité du fruit. C’est là une vérité qu’on ne saurait assez proclamer.

[2.2]

§ 2.

formation d’un jardin.

La formation d’un jardin ou d’un verger exige la connaissance :

1° Du choix des espèces ;

2° De l’appropriation de celles-ci au sol et au climat ;

3° Du sujet sur lequel ces espèces doivent être entées ;

4° De la position solaire qu’elles doivent occuper ;

5° De la forme qui leur convient. M. Simon Louis, de Metz, recommande avec raison d’éviter de cultiver en pyramide les variétés à mauvais port.

Le point de départ est donc le choix des espèces. M. P. de Morthillet, dans son intéressant travail intitulé : 40 poires pour les dix mois de juillet à mai, a donné l’indication de 40 variétés qui, suivant lui, sont les plus recommandables pour la formation d’un jardin, en les divisant en quatre séries de dix variétés. Nous avons vu avec regret l’absence complète des gains couronnés par la Société Royale d’Horticulture de Tournay, dont plusieurs constituent, avec la Joséphine de Malines, les fruits les plus exquis gagnés dans ce siècle ; en outre, nous avons remarqué avec surprise que la poire la plus parfaite, le Délice d’Hardenpont, n’y figure pas ; que la Joséphine de Malines n’y figure que dans la troisième série ; la Fondante des bois et le Beurré Napoléon dans la quatrième, avec le Martin-sec et le Catillac. De son côté, dans son magnifique Dictionnaire de pomologie, M. André Leroy décrit et figure 915 variétés de poires, parmi lesquelles 451 sont signalées comme de première qualité ! Notre vieille expérience nous porte à envisager les choses autrement. Nous l’avons déjà dit, il serait difficile de faire une liste de 20 poires réellement parfaites. Suivant nous, ce que l’amateur qui forme un jardin doit avant tout rechercher, c’est la qualité supérieure des fruits et non la quantité. Mieux vaut un jardin avec dix variétés de premier choix répétées, qu’un jardin comprenant trente ou quarante variétés, dont la moitié serait médiocre. Exposons donc d’abord les types les plus parfaits pour la formation d’un jardin.

Parmi les anciens fruits, le Beurré gris, le Doyenné, le Colmar, le Bezy de Chaumontel et le Bon-chrétien, sont à conserver soigneusement et de toute première qualité. On objectera que le Bon-chrétien est une poire cassante ; cela est vrai, mais quelle eau abondante et quel suc exquis ! En avril et mai, quand les chaleurs arrivent, on laisse tous les fruits pour le Bon-chrétien. Cultivez-le donc, cultivez-le encore, mais faites bien attention qu’il soit greffé sur coignassier, car sur franc, il reste vert et ne fournit qu’une poire à cuire ; ensuite, plantez-le à la muraille en plein midi, et vous obtiendrez le Bon-chrétien doré, fruit exquis pour l’époque de pâques. Le Beurré gris est aussi beaucoup meilleur sur coignassier, et nous avons observé que lors qu’il s’affranchit en poussant racines au-dessus de la greffe, il perd toutes ses qualités et devient une poire médiocre. Les racines adventives, qui poussent au-dessus du collet et affranchissent les arbres greffés sur coignassier, fournissent une sève mal élaborée, âcre, qui dénature le fruit et lui ôte ses qualités. Ces racines adventives du collet doivent être enlevées avec le plus grand soin, et nous sommes surpris que quelques auteurs aient recommandé de laisser affranchir les poiriers greffés sur coignassier, ce qui amène la détérioration des qualités du fruit. Si vous voulez un arbre vigoureux, prenez celui greffé sur franc, et là encore supprimez les racines adventives au-dessus du collet. La bonne sève pour les fruits, est celle qui vient des racines pivotantes ou profondes.

Quant au Colmar, c’est un fruit exquis, qui réunit toutes les qualités, mais singulièrement capricieux au point de vue de la production. Nous avons souvent vu des Colmars de trente et quarante ans de plantation qui ne s’étaient jamais mis à fruit. C’est ce qui l’a fait remplacer par les variétés nouvelles, et surtout par le Passe-colmar, qui est la poire par excellence pour ses qualités jointes à sa fertilité, et sa bonne volonté partout et sur toute espèce de sujet. Enfin, le Bezy de Chaumontel, bien que demi-cassant, est un fruit délicieux, mais à la condition d’être mangé avant la Noël, car après cette époque sa chair prend des points noirs amers et désagréables. Il faut donc avoir soin de le mettre, en novembre, dans un appartement bien chauffé, pour hâter sa maturité. Nous pouvons encore citer la Bergamote crassane, qu’il faut nécessairement planter, non au levant comme on le dit, mais au couchant, afin que la chaleur du jour ait essuyé avant la nuit l’humidité qui s’attache à sa peau rugueuse et la fait crevasser.

Nous venons d’indiquer les meilleurs fruits anciens ; parlons maintenant des poires modernes, à partir d’Hardenpont, dont le nom fait époque dans la pomologie. Ici, nous allons rencontrer des variétés qui surpassent les anciennes par leur fertilité et leur saveur, mais il importe de bien choisir, car à côté de ces fruits exquis, il s’en trouve de bien médiocres. Ouvrez les catalogues des pépiniéristes, vous y trouverez des centaines de poires qualifiées de première qualité, de toute première qualité, qualifications qui induisent l’amateur en erreur. Commençons d’abord par redresser cet abus en indiquant les types de perfection, c’est-à-dire les poires que tout amateur doit cultiver dans son jardin, s’il n’a place que pour dix à douze poiriers.

Types de perfection.

1. Beurré d’Hardenpont. — Déc. (Sur franc).

2. Délice d’Hardenpont. — Nov. (Sur coignassier au mur).

3. Passe-colmar. — Déc. janv.

4 Beurré rance. — Fév. mars. (Sur pied désévé).

5. Beurré Liart ou Napoléon. — Nov.

6. Joséphine de Malines. — Fév. mars.

7. Beurré Dumont. — Nov.

8. Beurré Durondeau. — Oct. nov.

9. Beurré de Ghelin. — Nov. déc.

10. Beurré Dubuisson. — Déc. janv.

11. Beurré Six. —Déc.

12. Beurré Dilly. — Oct.

Les variétés que nous venons d’indiquer sont des poires hors ligne, sans aucun défaut, fondantes, beurrées, juteuses, sucrées, parfumées, et sans gravier central, en un mot des types de perfection. Ce sont des fruits dont la dégustation peut se qualifier en un mot : boire et manger tout à la fois, c’est-à-dire les fruits les plus parfaits. Notez cependant qu’il faut tenir compte de leur caprice ; que, pour être un type de perfection, le Beurré d’Hardenpont, cette reine des poires, doit être greffée sur franc, car sur coignassier elle perd toutes ses qualités ; que le Délice d’Hardenpont doit au contraire être greffé sur coignassier et mis en muraille ; que ces deux poires exigent beaucoup de chaleur et viennent mal dans les endroits non abrités des villages ; que le Beurré rance exige un pied sans vigueur. Notons encore que dans les douze types de perfection que nous venons de signaler, les six derniers appartiennent à la Société Royale d’Horticulture de Tournay, et parmi elles le Beurré Dumont, qui est à nos yeux la plus parfaite des poires. Ajoutons enfin que tout jardin qui ne possède pas ces douze variétés, est un jardin arriéré et nullement au niveau de la science pomologique.

En indiquant les fruits qui précèdent, nous n’avons pas voulu procéder par exclusion, mais par démonstration. Il est d’autres variétés d’un très-grand mérite que nous devons signaler à l’attention des amateurs, en exposant les motifs qui ne nous ont pas permis de les présenter comme des types de perfection. La Fondante des bois est une des poires les plus précieuses, mais elle n’aime pas la serpette et doit former un arbre au vent, tandis que les variétés que nous venons d’indiquer souffrent la serpette et par là peuvent entrer dans tous les jardins. Le Délice Everard est l’un des fruits les plus exquis, les plus fondants, les plus agréablement parfumés, mais il renferme quelques graviers autour de la columelle. La Bergamote Esperen est un fruit très-précieux par sa durée et son goût excellent, mais elle n’est pas complètement beurrée. Il en est de même de la Castelline. Nous n’avons voulu d’ailleurs que fournir certains types de perfection, tout en reconnaissant qu’à côté d’eux il existe encore des poires de premier ordre et qui, malgré quelques légères défectuosités, sont réellement de premier mérite, et dont plusieurs peuvent même rivaliser avec celles qui précèdent. La liste des poires Belges qui suit renferme toutes poires de cette catégorie et dignes d’être cultivées par les connaisseurs. Pour la facilité des planteurs, nous les disposons d’après l’ordre de la maturité. Les noms précédés d’un astérisque ont été couronnés par la Société d’Horticulture de Tournay, ou proviennent de ses environs. * Calebasse à la Reine. — Sept.

Seigneur Esperen. — Sept. oct.

Fondante des bois. — Sept. oct.

* Triomphe Dumont. — Sept. oct.

* Jargonelle d’automne. — Oct.

* Beurré Capiaumont. — Oct.

* Gris de Chin. — Oct.

* Délice Everard. — Oct.

* Délice de Froyennes. — Oct.

* Délice de Germiny. — Oct.

* Beurré Pringalle. — Oct. nov.

* Beurré Saint-Aubert. — Oct. nov.

* Beurré Saint-François. — Oct. nov.

* Beurré Dehove. — Oct. nov.

* Beurré Degallait. — Oct. nov.

* Bergamote pomme. — Oct. nov.

* Crassane Du Mortier. — Oct. nov.

* Beurré des Augustins. — Nov. déc.

Marie-Louise. — Nov. déc.

* Délice de Naghin. — Nov. déc.

* Bergamote de Tournay. — Nov. déc.

Beurré Diel. — Nov. déc.

* Beurré Gilles. — Nov. déc.

* Beurré Biseau. — Nov. déc.

Nec plus ultra, Meuris. — Déc.

* Colmar Daras. — Déc.

* Bezy musqué. — Déc.

* Bezy Macaron. — Déc.

* Beurré Du Bus. — Déc. janv.

Orpheline. — Déc. janv.

Nouvelle Fulvie. — Déc. janv.

* Castelline. — Déc. janv.

* Tournay d’hiver. — Janv. fév.

Beurré blanc d’hiver. — Janv. fév.

* Colmar Du Mortier. — Fév.

* Épiscopale. — Fév. mars.

Bergamote Esperen. — Mars.

Bergamote de Pentecôte. — Mars.

Fortunée. — Mars.

* Beurré de Naghin. — Mars, avril.

* Délice d’avril. — Avril, mai.

On nous demandera pourquoi tant de poires de Tournay et si peu du reste du pays. Notre réponse est facile : c’est que la théorie Van Mons, mise en pratique par la plupart de nos semeurs, n’amène, comme dernier résultat, que des fruits sans sucre et souvent sans arôme, des fruits beurrés mais sans saveur, des poires au panier et non à la pièce. La France qui sème ses anciennes poires, produit généralement des fruits sans suc ; la méthode Van Mons, des fruits sans sucre. Ainsi que nous l’avons dit, ce qui fait le fruit, c’est la saveur, qui consiste dans le jus, le sucre et l’arôme. La liste que nous venons de donner ne renferme que des poires qui possèdent ces qualités ; c’est un choix résultant de notre vieille expérience de plus d’un demi-siècle. Nous n’avons certes pas la prétention d’indiquer tous les fruits de mérite, il en est sans doute qui sont ici omis ; mais nous avons cru ne pas devoir induire les amateurs en erreur, et pour cela, nous avons choisi les espèces éprouvées, les plus favorables à la plantation d’un jardin, c’est-à-dire aux pyramides et aux espaliers. Quant à ce qui concerne les arbres au vent, qui pourraient trouver place dans un jardin, nous ne pourrions que nous en rapporter à ce qui va être dit au sujet de la formation d’un verger. On trouvera donc là les renseignements nécessaires.

[2.3]

§ 3.

formation d’un verger.

La formation d’un verger doit être entièrement différente si on le fait en ville ou à la campagne ; il en est de même si on fait un verger de jouissance ou un verger de profit.

Beaucoup de poires ont besoin ou d’abri ou de chaleur, qui rapportent admirablement dans les villes, et se gercent ou se maculent cultivées en plein vent à la campagne. C’est ce qui arrive à la Mansuète, au Beurré d’Hardenpont, etc.

D’autre part, dans un verger de jouissance, il importe d’échelonner les fruits pour en avoir en toute saison, sans tenir compte de la plus grande fertilité des espèces ; tandis que dans le verger de profit, la fertilité est une condition première. On ne peut donc pas tracer de règle absolue pour la formation d’un verger ; il faut voir premièrement les conditions du sol et des abris, secondement le but que l’on se propose.

Commençons par les arbres au vent (en flamand en haut-vent) à planter dans un jardin ; ils nous serviront de base pour la plantation d’un verger. La première poire pour plein vent, soit au point de vue de ses qualités, soit à celui de son produit est la Fondante des bois, excellente au couteau, exquise en compote, délicieuse en poires tapées. L’arbre que nous avons reçu de son parrain, M. Châtillon d’Alost, nous donne chaque année 1500 à 2000 belles et grosses poires ; c’est-à-dire, qu’un curé de village, avec ce seul arbre, pourrait manger du fruit tout le long de l’année. Nous dirons donc à tout curé, à tout instituteur de village : Si dans votre jardin, vous n’avez place que pour un seul arbre au vent, plantez-y la Fondante des bois. Si vous avez place pour six arbres, plantez :

La Fondante des bois.
Le Beurré Dilly.
La Castelline.
Le Seigneur d’Esperen.
Le Passe-colmar.
Le Beurré Liart ou Napoléon.

Voilà six espèces très-productives et de toute première qualité, qui doivent faire la base de tous les vergers, à la ville ou à la campagne. Si vous voulez y ajouter une poire de septembre, plantez, avant tout, la Calebasse à la Reine, poire hors ligne qui est à la fois boire et manger, comme à Naples le Melon d’eau avec lequel au besoin on se fait aussi la barbe. Le Beurré Liart ou Napoléon pourrait servir au même usage.

Dans les villes, mettez au vent le Beurré d’Hardenpont et vous aurez la reine des poires. Ajoutez-y le Beurré rance qui exige d’être abrité, son fruit se détachant facilement par les vents d’équinoxe. Ajoutez-y encore le Bezy de Chaumontel qui se gerce souvent au village. Le Délice d’Hardenpont produit beaucoup en plein vent dans les villes, mais il est caduc comme le Beurré rance et le Colmar. Pour planter ces fruits en plein vent, il faut se munir d’un vaste filet qu’on tend au-dessous de l’arbre à l’équinoxe, afin de recevoir les poires intactes. Par ce moyen, vous obtiendrez un produit précieux.

Nos jardiniers établissent en matière de verger une distinction très juste, les poires au panier et les poires à la pièce, c’est-à-dire celles qui se vendent par panier à raison de leur petitesse, et les belles poires qui se vendent à la pièce. Les poires d’été se cueillant de bonne heure, sont nécessairement petites et par conséquent poires au panier ; elles n’entrent pas au fruitier et vont directement au marché. Mais pour les espèces qui entrent au fruitier, il faut soigneusement bannir de vos cultures toutes les poires au panier. Il n’existe à cette règle qu’une seule exception, la Poire Sicle (seacle se prononce sicle), ce délicieux fruit d’Amérique, qui doit prendre une première place dans tout verger de jouissance. Cette petite poire est tellement bonne, qu’à table vous aurez soin de la faire servir la dernière, car après elle, on ne peut plus rien manger. Nous l’avons reçue, il y a une quarantaine d’années, de M. Seacle lui-même. Pour celle-là il faut faire exception, mais pour toutes les autres poires au panier devant aller au fruitier, il faut être impitoyable, soit dans vos vergers, soit dans vos cultures, en n’admettant ce genre de fruits que pour les poires d’été qui vont directement au marché, et que, par conséquent, vous vous bornerez à planter dans les vergers de profit.

Pour le verger de jouissance, ayez soin de planter encore :

Le Beurré Durondeau.
Le Beurré Dumont.
La Joséphine de Malines.
Le Colmar Du Mortier.
Le Beurré Six.
Le Délice Everard.
Le Passe-colmar.
L’Orpheline.
Le Colmar Daras.
La Bergamote de Pentecôte.
Le Gris de Chin.
Le Beurré Pringale.
Le Beurré Saint-François.
La Bergamote pomme.
Le Beurré Saint-Aubert.
Le Beurré Du Bus.

Tous ces fruits étant des fruits de maîtres, le propriétaire d’une campagne sera amplement dédommagé de ses soins et de ses peines, s’il les introduit dans ses cultures. L’essentiel est d’en bannir soigneusement les fruits sans sucre et sans saveur, ainsi que les fruits sans eau qui sont trop souvent répandus. La qualité des fruits détermine la qualité des jouissances de l’amateur.

Parlons maintenant d’un verger de profit, c’est-à-dire créé au point de vue de la vente. Ici encore il faut distinguer si ce verger a pour but une vente quotidienne au marché d’une ville, comme l’est le verger d’un maraîcher, ou bien s’il est destiné à être vendu en une seule fois, comme le sont les vergers éloignés des villes et souvent destinés à l’exportation.

Le verger d’un maraîcher devant fournir des produits continus depuis le mois de juillet, comprendra avant tout les espèces les plus fertiles parmi les bonnes poires, et sa plantation devra être aménagée de façon à ce que leur maturité se succède, afin que le maraîcher ne soit jamais pris au dépourvu. Il faut encore que le maraîcher choisisse les poires de belle nuance, dorées ou pourprées, dont la couleur est plus attrayante. Dans ces conditions, nous indiquerons les variétés suivantes parmi lesquelles le choix doit être fait.

Juil. Beurré Giffard.
Beau présent ou Epargne.
Août Marquide d’Hem.
Médaille d’été, très-grande fertilité.
Bon-chrétien William.
Sept. Petite Charlotte, fertilité extraordinaire.
Calebasse à Reine, extra.
Passe-colmar d’été, fertilité très-grande.
Beurré d’amanlis.
Louise bonne d’Avranche.
Beurré de Mérode.
Oct. Fondante des bois, très-grande fertilité.
Beurré Dilly, très-grande fertilité.
Beurré Capiaumont, très-fertile.
Délice Everard, très-fertile.
Doyenné.
Seigneur Esperen, grande fertilité.
Rondelet.
Soldat laboureur.
Beurré Degallaitt.
Calebasse.
Nov. Beurré Durondeau, très-fertile.
Beurré Liaart ou Napoléon, très-fertile.
Ste-Dorothée, très-fertile.
Beurré de Ghelin.
Nov. déc. Beurré Diel.

Bergamote de Tournay.
Marie-Louise.
Passe-colmar.
Castelline, très grande fertilié.
Beurré Six.
Colmar Daras.
Orpheline.

Tous ces fruits sont fertiles et excellents, de manière à rappeler l’acheteur, ce qui est un point essentiel pour le maraîcher. Tous viennent admirablement en plein vent et donnent d’excellents produits.

Reste maintenant le verger de village, dont le propriétaire vend le produit en une seule fois. Ici, comme la vente se fait en octobre, on ne doit planter que des arbres dont le fruit mûrit à partir de cette époque, et surtout les fruits de garde, qui rapportent le plus de bénéfice. Si le verger est destiné à l’exportation, gardez-vous d’y planter les variétés à peau fine comme le Délice d’Hardenpont, la Ste-Dorothée, la Marie-Louise, le Beurré Six, dont le fruit serait maculé par le transport et perdrait toute sa valeur. Dans ce cas, ce sont les variétés à peau ferme qu’il faut préférer. Plantez aussi les poires mûrissant en janvier, février et mars, qui peuvent mieux résister au transport, et ajoutez-y surtout la Poire David, variété d’une extrême fertilité, très-précieuse pour le carême, qui fait d’excellentes compotes à une époque où l’on en manque ; elle est alors un très-bel ornement de table, et peut même, après pâques, servir au besoin comme poire au couteau. Cette variété est tellement fertile que chaque année il faut en étançonner les branches. Nous recommandons donc pour les vergers de village les espèces suivantes :

Fondante des bois.
Beurré Dilly.
Rondelet.
Soldat laboureur.
Calebasse.
Beurré Dehove.
Beurré Liart ou Napoléon.
Beurré Burondeau.
Beurré Diel.
Bergamote de Tournay.
Passe-colmar.
Bezy de Chaumontel.
Colmar Daras.
Castelline.
Colmar Du Mortier.
Joséphine de Matines.
Bergamote Esperen.
Bergamote de Pentecôte.
Poire David.

Les poires que nous venons d’énumérer ont la peau ferme et peuvent supporter le voyage et l’exportation. Elles sont donc utiles à signaler pour la formation des vergers situés loin des villes. Il est toujours sous-entendu que celui qui plante un verger doit avant tout connaître les conditions de sol dont nous avons parlé. Quant au pied-sujet, il n’y a point de recherches à faire, car tout arbre de verger doit être greffé sur franc et élevé en plein vent.

[2.4]

§ 4.

poires de parade.

Il nous reste à parler d’une espèce de fruits qu’on dédaigne beaucoup trop, et de poires qui, au point de vue de la rémunération, sont les premières, nous voulons parler des poires de parade. Le modeste jardinier ne cultive pas les fruits pour sa consommation, mais pour en faire son profit ; or, il n’en est pas qui produisent un profit comparable aux poires de parade, que l’on vend parfois jusqu’à vingt-cinq francs pièce. Cette culture n’est donc pas méprisable, elle est au contraire la plus lucrative pour le jardinier.

La poire de parade étant uniquement destinée à l’ornement des festins, ne doit pas être une poire au couteau, mais à cuire. Comme elle doit orner la table pendant toute la saison des dîners, elle doit se conserver tout l’hiver et ne mûrir qu’après Pâques. Il est donc nécessaire que ce soit un fruit sec et sans saveur, bon à cuire à la maturité, mais non à manger cru. Comme son mérite est dans sa grosseur, plus elle sera monstrueuse, plus elle aura de valeur. Le pied doit donc être bien fumé l’été, avec des engrais non mordants, afin de pousser le fruit à la plus forte dimension et d’en obtenir le prix le plus rémunérateur. La culture de la poire de parade est, on le voit, l’inverse de celle des autres fruits.

L’automne fournit quelques poires très-grosses qui peuvent servir à l’ornement des tables à cette époque, comme la Calebasse Carafon, le Général Totleben, le Beurré Clairgeau, le Colmar d’Aremberg, la Poire Curé, le Triomphe de Jodoigne, le Beurré Tuerlinck, mais ces fruits, remarquables par leur grosseur, la plupart de qualité assez médiocre, ne sont point durables et ne vont pas au-delà de la Noël. Les poires de parade de grand prix ne mûrissent au contraire qu’en avril et mai et sont fruits à cuire. Nous citerons les suivantes :

Gros-trouvé.
Bon-Chrétien d’Auch ou Poire d’Amour.
Belle Angevine.
Gros Catillac.
Léon Leclerc.
Bellissime d’hiver.
Dagobert ou Passe-Mansuète.
Princesse d’Orange.

Aucune culture n’est aussi lucrative que celle de ces poires, si elle est dirigée en vue de produire des fruits monstrueux. Il ne faut donc pas entourer cette culture de mépris, car en fin de compte, le jardinier travaille pour élever sa famille, et ce qui lui rapporte le plus de profit est bien digne de son attention.

Ces fruits sont d’ailleurs un précieux et magnifique adjuvant pour les expositions pomologiques, où l’on juge les poires avec les yeux et non avec le goût. Il est certain qu’un exposant dont la collection comprendrait les poires de parades dont nous avons donné la liste, aurait la plus grande chance d’obtenir le prix. L’amateur qui suit les concours pomologiques fera donc bien de ne pas les dédaigner.