Imprimerie l’Union (p. 93-99).


CONVERSATIONS


Le plus grand esprit des maîtres et maîtresses de maison, consiste à faire valoir celui des autres. Ils s’appliquent à faire causer leurs invités, à mettre en rapport les gens qui se conviennent ; ils font en sorte que la conversation générale soit de sujet également intéressant pour tous. Ils savent faire valoir les qualités, le mérite ou les talents de chacun.

Un grand talent pour la conversation est toujours accompagné d’une grande politesse. Les discussions trop vives doivent être bannies des salons. Chacun est libre d’émettre gentiment ses opinions ; mais il n’est jamais permis de manquer d’égards, à ceux qui nous entourent, parce qu’ils ne partagent pas notre manière de voir.

Une personne bien élevée ne médit jamais de personne ; au contraire, elle est toujours prête à excuser.

Les comparaisons désagréables, les compliments directs sont de mauvais ton.

La conversation doit être gaie, spirituelle même, mais sans affectation. Rien de fatiguant, d’énervant, comme un langage étudié, des phrases toutes faites, que l’on vient vous débiter avec non sens. Soyez simples et naturels.

Les gens polis et bien élevés ne parlent pas trop haut ; de plus, ils savent se mettre à la portée de chacun et ne prennent que des sujets de conversations qui peuvent être compris de toutes les personnes présentes. Les vrais savants ne visent jamais à l’effet : ils s’expriment toujours simplement.

Ne cherchez pas à éclipser les autres, à les écraser de votre savoir. Ceux qui vous écoutent peuvent savoir beaucoup de choses que vous ignorez encore, et ils n’en font pas parade. La première pauvre petite servante, peut-être, pourrait vous faire rougir de votre manque de connaissances dans les choses les plus simples. Ce que vous savez, vous, est le fruit de recherches amassées par d’autres, que vous avez cueilli dans les livres : tandis que le savoir de ces braves gens est dû, en grande partie, à leur intelligence propre, à l’expérience de leur travail personnel.

Ne cherchez pas à passer pour une personne d’esprit ; reconnaissez celui des autres, ce sera la meilleure preuve du vôtre. Même des femmes, mettent une orgueilleuse ambition à vouloir passer pour une femme d’esprit, une femme de tête, et négligent en même temps de prouver qu’elles ont encore du cœur ! Elles oublient que l’on pardonne tout à un bon cœur ; même la petitesse d’esprit. Le cœur seul peut suppléer au manque d’esprit.

« La bouche parle de l’abondance du cœur ! » En puisant dans son cœur, on trouve toujours quelque chose de bon à dire. Mais, eussiez-vous grosse et forte tête, si vous manquez de cœur, vous ferez constater une fois de plus, « que les sots savants sont plus sots que les sots ignorants. »

Avec les gens dont on ne connaît pas les antécédents, on n’est jamais banal en parlant, à première vue, de choses indifférentes ; les variations de la température, etc., sujets sur lesquels tout le monde s’entend et peut causer à l’aise.

Savoir écouter et donner le temps aux autres d’exprimer leurs idées est un grand esprit de conversation.

Que votre conversation soit douce et aimable ! « Posséder une voix douce est à la fois un beau don et un grand charme », dit-on ; pourvu que tous les accents en soient bien sincères. S’il y a des notes fausses et discordantes, le charme sera rompu, l’harmonie troublée.

Soyez aimables ! Ayez de bons mots pour tous. Sachez transmettre, à qui de droit, une appréciation de mérite énoncée devant vous ; un compliment vrai, qui lui était décerné. « Les belles paroles, dit-on, sont la musique du monde ! » mais j’ajoute :

« Bien vaine est la beauté
La bonté la surpasse
Et la beauté s’efface
Si elle n’est pas vérité. »

Parlez bien ! Parlez correctement notre belle langue. Ils sont indignes ceux qui feignent de la mépriser, qui la relèguent dans l’oubli, s’en servant peu, et la parlant mal !

En conversation, il faut avoir du tact et de l’à-propos. À la pauvre mère éplorée, qui vient de perdre son enfant, dites en termes émus, des paroles de sympathie compatissante. Parlez-lui de sa douleur. Parlez au malade de ses souffrances, en cherchant à l’en distraire, etc., etc.

Dans une réunion où se trouvent des inconnus, soyez très circonspects. Évitez de donner votre opinion sur les absents ; de faire certaines réflexions, qui, pour toutes justes qu’elles puissent être, ne leur seraient pas moins désagréables à entendre. Qui sait si dans l’auditoire, il ne se trouvera pas des parents, des intimes, de ses absents ? Vous comprenez ?… C’est ainsi, qu’il arrive parfois, à une femme, de s’entendre dire, par des inconnus, « que son mari est une grosse buse » ; au mari, « que sa femme est sotte et insignifiante »… La jeune fille apprend de même, « que son fiancé, tout frais déballé dans la localité, a un front de tueur, des yeux de hibou, des oreilles d’âne, une bouche de gourmet, une main de voleur ; des pieds, aussi lourds que sa tête… puis, avec cela, un air de condamné… » Jugez vous-même de l’effet !…

Que votre conversation soit bienveillante pour tous ! Gardez-vous des airs étonnés ; ce serait désobligeant.

C’est une grave impolitesse de ne pas exprimer le nom des gens et de les désigner par les mots « Chose » « Machin ». Pas de surnom, de sobriquet, à qui que ce soit. Une femme ne permet jamais qu’on la désigne ainsi ; elle proteste gentiment, mais avec une énergique fermeté.

Évitez de faire répéter dans la conversation, c’est impoli ; mais, si vous n’avez pas compris votre interlocuteur, dites poliment : Pardon ? plaît-il ? permettez ! etc… et cette fois, écoutez bien !

On ne peut désigner par son prénom qu’un très proche parent ou intime ; on fait précéder le nom de famille des mots Monsieur ou Madame, suivant le cas.

Une personne bien élevée parle posément et sensément, avec politesse et amabilité, avec des accents modérés. Ces habitudes se prennent au sein de la famille. Si vous avez une voix haute et criarde, corrigez-la. À vous entendre du dehors, on pourrait croire, que toute la maison est en révolution, qu’on se dispute chez vous.

Que vos lèvres ne profèrent jamais de paroles amères !… N’ayez aussi que des expressions nobles ; il en est de basses et triviales qui ne sauraient trouver place, dans la conversation des gens bien élevés ; à plus forte raison, sont-elles inconvenantes et déplacées dans la bouche d’une femme.