Poisson (Arago)
Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 615-617).
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COURBURE DES SURFACES.


Poisson a publié, dans le Journal mathématique de Crelle, un Mémoire intéressant sur la courbure des surfaces, dont je vais essayer de donner une idée.

Si l’on fait passer une série indéfinie de plans sécants par la normale aboutissant à un point déterminé d’une surface courbe, on obtient une série correspondante de sections planes de courbures diverses. Ces courbures dépendent de la forme et de la grandeur de la surface donnée. Il semble donc peu naturel d’espérer qu’elles puissent être enchaînées les unes aux autres par une règle générale, ou, si l’on veut, par une formule totalement indépendante de la forme particulière de cette surface.

Euler a montré cependant qu’étant donnés les rayons de courbure de trois sections normales quelconques, on peut en déduire, sans avoir besoin de connaître l’équation de la surface, le rayon de courbure de toute autre section également normale déterminée de position à l’égard des premières ; que dans le nombre infini de sections normales, il en est deux, celles qu’on a appelées les sections principales, qui répondent, l’une au plus grand, l’autre au plus petit rayon de courbure ; que ces deux sections sont toujours rectangulaires entre elles. L’illustre géomètre détermine le rayon de courbure d’une section quelconque en fonction de l’angle que cette section forme avec celles qui contiennent le plus grand et le plus petit rayon de courbure et les valeurs de ces deux rayons.

Euler avait également rattaché, à l’aide d’une formule générale, le rayon de courbure d’une section oblique aux rayons de courbure des sections normales ; mais le rapport simple qui lie ces quantités entre elles lui échappa : c’est à Meunier, de l’Académie des sciences, le célèbre défenseur de Mayence pendant l’ère républicaine, qu’on doit cette règle élégante, que le rayon de courbure d’une section oblique est la projection sur son plan du rayon de courbure de la section normale passant par la même tangente à la surface.

Cette théorie générale de la courbure des surfaces, l’une des plus belles acquisitions de la géométrie moderne, ne semblait devoir souffrir d’exception que pour les points singuliers dans lesquels les surfaces courbes ont plusieurs plans tangents. Poisson a montré cependant que les théorèmes d’Euler n’ont pas lieu ; que les rayons de courbure des sections normales sont susceptibles de plusieurs maxima et minima, même pour des points où le plan tangent est unique. Il a cité, comme exemple, la surface qui serait engendrée par une parabole tournant autour de son axe, tandis que le paramètre varierait suivant une fonction donnée de l’angle décrit. Il est évident qu’à son sommet cette espèce de paraboloïde aurait pour plan tangent unique le plan perpendiculaire à l’axe de rotation ; qu’en ce même point, les sections normales seraient la parabole génératrice dans ses diverses formes et positions. Or, les rayons de courbure de ces lignes devant nécessairement varier suivant la même loi que leurs paramètres, pourraient, à l’aide d’un choix convenable de la fonction qui lie l’angle décrit à la grandeur du paramètre, passer par autant d’alternatives de maxima et de minima qu’on le désirerait. Les sections principales ne seraient donc plus au nombre de deux seulement, comme le voulait le théorème d’Euler.

Ces principes découverts par Euler, en tant que méritant les noms de théorèmes généraux ne peuvent être en défaut sans qu’on puisse en trouver la raison dans un examen approfondi des conditions de la question ; il faut montrer, pour l’honneur des théories mathématiques, qu’il eût été possible, à priori, de prévoir ces cas exceptionnels et d’assigner les circonstances dont ils dépendent. Tel est, en effet, le principal objet du Mémoire de M. Poisson.

Je ne terminerai pas sans signaler une conséquence intéressante qui découle aussi de l’analyse de M. Poisson. Le théorème de Meunier, sur les rayons de courbure des sections obliques, se vérifie alors même que celui d’Euler n’a plus lieu.