Poëmes en prose (Louis de Lyvron)/Les Runes d’Attila/I

Alphonse Lemerre (p. 3-6).
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Un nuage court sur les vagues grises, le vent du nord pleure dans les voiles de cuir.

Le pilote, debout à l’avant de la barque, dit à sa bien-aimée : « Vois-tu l’Elfe de la tempête, le bel Elfe aux ailes salées ? Il secoue ses cheveux et des étincelles en tombent, il parle et le vent hurle, il étend la main et les vagues se cabrent. Le vois-tu ? Les flots le bercent comme un cygne.

Lorsque nous avons coulé une barque, quand nous avons brûlé une ville, nous jetons pour lui dans les flots une coupe d’argent et un anneau d’or. Vois-tu le renne de notre prairie ?

Elfes aux mains pleines, fouette de tes ailes les flots gris ; ma barque est un saumon. Fouette de tes ailes le vent endormi ; mon dragon vert a des mâts de sapin qui chantent comme le Kantelé. »

La jeune fille croise les mains sur l’épaule du pilote, sur l’épaule de l’homme du Nord.

Le pilote, debout à l’avant de la barque, dit à sa bien-aimée : « L’ange des tempêtes aime le chant des hommes, que faut-il chanter, ô ma mouette ? – Une chanson d’amour.

– Je sais bien des chansons d’amour ; mon père m’en a appris en aiguisant sa cognée, ma mère m’en a appris en tordant sur le fuseau la laine des brebis. Je sais toutes les chansons que chantent les sapins au vent du Nord, je sais toutes les chansons que chante la bruyère à la couleuvre noire, sur la colline des abeilles. Je sais bien des chansons.

– Chante, mon élan bleu ! Chante jusqu’à la nuit d’amour !

– Elfe des tempêtes, dis au vent de crier moins haut, dis aux vagues qui se cabrent de secouer sans bruit leur crinière ; je vais parler au cœur de ma bien-aimée.

« Ma petite hirondelle, je vais chanter pour toi, pour toi seule. Écoute ! Mes vers seront éternels ; je les écris sur notre amour, avec le sang de mes veines. Écoute, flocon d’écume, je vais chanter ce que chantent les vagues au filet du pêcheur, ce que chantent les flèches aux joues brûlantes du soldat. »

Une vague frappe le flanc de la barque, la jeune fille tombe dans les bras du pilote, dans les bras de l’homme du Nord.