Poésies nouvelles (Tastu)/Mon Royaume

Poésies nouvellesDidier, Libraire-Éditeur (p. 125-128).

MON ROYAUME.

My mind to me a kingdom is.
Ancient song.


Un jour aussi je voulus être Reine :
D’ambition quel cœur n’est entaché ?
Je me suis fait un empire caché,
Monde inconnu, hors à sa souveraine :
Mon trône est humble et n’a rien d’éclatant ;
Mais nul péril aussi qu’on me le prenne :
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?

J’ai dans ma cour, aux autres cours pareille,
Des ennemis qui se font mes flatteurs ;
Les vanités et les rêves menteurs ;
Mais j’ai près d’eux un conseiller qui veille.
Que je faillisse, il me tance à l’instant ;
Rien à sa voix n’interdit mon oreille !
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?


Ne croyez pas ma puissance exposée
À se briser dans ses vouloirs mouvans,
Comme un drapeau qui flotte au gré des vents ;
À son caprice une borne est posée.
Oui, j’obéis, non au joug qu’on me tend,
Mais à la loi par moi-même imposée :
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?

J’ai mon spectacle, et souvent s’y déploie
Un drame sombre, ou fantasque, ou riant ;
Chants d’Italie et luxe d’Orient,
Fleurs et parfums, murs d’or, tapis de soie :
Fête où jamais nul ennui ne m’attend,
Où nul impôt n’a dû payer ma joie !…
Combien de Rois n’en diraient pas autant ?

Qu’on ait vécu sous le marbre ou le chaume,
Au même but nous arrivons, hélas !
Rois et sujets, il faut, plus ou moins las,
Tomber aux pieds de l’éternel fantôme.
Mais quels regrets me suivraient en partant,
Sûre, avec moi, d’emporter mon Royaume ?
Est-il un Roi qui puisse en dire autant ?