Poésies nouvelles (Tastu)/À Béranger
À BÉRANGER.
Chanson.
Adieu, chansons ! mon front chauve est ridé.
L’oiseau se tait ; l’aquilon a grondé.
Chante encor, encor, encor,
Ton heure n’est pas venue ;
Ta voix du pauvre est connue,
Laisse-lui son trésor,
Laisse-lui, laisse-lui son trésor,
Laisse-lui, Béranger, laisse-lui son trésor.
Est-ce bien toi qui m’abandonnes ?
Dit-il les yeux mouillés de pleurs.
Déjà ta main pleine d’aumônes,
Se ferme-t-elle à mes douleurs !
Ah ! garde ton doux rôle,
Ou, pour te taire, attends
Qu’un autre me console :
Tu parleras long-temps !
Chante encor…
Du peuple instruisant la mémoire,
Tu ne l’exaltais pas en vain.
Au cabaret, ivre de gloire,
Souvent il oubliait le vin.
Fais-tu, pour en voir rire
Le fisc et ses suppôts,
Abandon de ta lyre
Au profit des impôts ?
Chante encor…
Au printemps, l’enfance fidèle
Redisait en chœur tes leçons !
Elle attend la feuille nouvelle,
Moins que tes nouvelles chansons.
Pour sa voix qui t’appelle
N’as-tu donc qu’un refus,
Comment dansera-t-elle
Si tu ne chantes plus ?
Chante encor…
Tu l’as dit : nos sonneurs de cloche,
Que leur carillon étourdit,
Restent sourds au plaintif reproche
Du malade qui les maudit.
Ton vers domine encore
Ce tintement trompeur :
Ah ! d’un blâme sonore
Qu’ils aient du moins la peur !
Chante encor…
Quand l’oiseau se tait sous l’ombrage,
À nos bois il lègue après lui
Des héritiers de son langage ;
Les tiens, où sont-ils aujourd’hui ?
De tes chants tutélaires,
Sans te lasser, défends
Le français de nos pères,
Qu’oublîraient nos enfans !
Chante encor…
Déjà, sur sa route sublime,
Vois trébucher le genre humain ;
Faute d’un tambour qui l’anime
Le régiment reste en chemin :
Viens ! quand l’étape est large,
Quand les hommes sont las,
C’est en battant la charge
Qu’on les remet au pas.
Chante encor, encor, encor,
Ton heure n’est pas venue ;
Ta voix du pauvre est connue,
Laisse-lui son trésor,
Laisse-lui, laisse-lui son trésor,
Laisse-lui, Béranger, laisse-lui son trésor.