Poésies lyriques/La Démocratie

Poésies lyriquesAuguste Decq (p. 13-15).


LA DÉMOCRATIE


1845.


 
Dieu le veut !


Place, place au torrent ! il grossit, il s’avance !
Pour arrêter sa marche et dompter sa puissance,
En vain les rois du monde ont uni leurs efforts ;
Encore un jour, une heure, et le lit séculaire,
Le lit étroit, obscur, où gronde sa colère,
Il va l’abandonner pour engloutir ses bords.


Riches trop indolents qui craignez ses ravages,
Au lieu de l’insulter du haut de ses rivages,
Creusez-lui donc un lit plus large et plus profond,
Où puissent librement à travers nos vallées
Rouler au grand soleil ses vagues nivelées,
Sans ébranler la digue ou menacer le pont.

Nouveaux rois de la glèbe, encor surpris de l’être,
Vous tremblez en songeant qu’il vous faudra peut-être,
Pour lui frayer sa route au milieu des guérets,
Faire abattre un vieux mur gardien de vos domaines,
Ravir au soc jaloux un sillon de vos plaines,
Ou porter la cognée au cœur de vos forêts.

Mais songez donc aussi qu’au jour de la tempête,
S’il vous trouvait jamais à vos banquets de fête,
Chantant, la coupe en main, les douceurs du repos,
Avant que la nuit vînt disperser votre troupe,
Avant que votre lèvre eût pu vider la coupe,
Vous-mêmes vous seriez emportés par ses flots.

Riches, faites mentir ce sinistre présage !
Grâce aux lâches terreurs des hommes d’un autre âge,
Le ruisseau d’autrefois est torrent de nos jours.
Instruits par leurs revers, montrez plus de prudence.
Que l’hostile torrent, trompé dans sa vengeance,
Passe, se change en fleuve, et poursuive son cours.


Alors s’abaissera la fierté de ses ondes,
Pour livrer un chemin aux vaisseaux des deux mondes,
Pour inonder nos ports de trésors ignorés ;
Alors se pareront de moissons toujours mûres
Ses bords, qui maintenant n’étalent pour parures
Que des halliers épais et des rocs déchirés.

Debout donc, ô Faucheurs, qui, couchés sur vos gerbes,
Répondez à sa voix par des rires superbes.
Place, place au torrent qui s’avance en courroux !
Trop faibles désormais pour garder ses barrières,
Laissez-lui dévorer quelques stériles terres,
Pour conserver les champs fertilisés par vous.