Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le Voisin blessé

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le voisin blessé.

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 233-234).


LE VOISIN BLESSÉ.


L’autre nuit le voisin qui pleure
Frappa pour me dire bonsoir :
« Dormez, voisin, ce n’est plus l’heure ;
On n’y voit plus : il faut se voir.
Je suis vous le savez une pauvre orpheline ;
Je n’ai d’autre gardien que la vierge divine. »
Mais il reprit si tristement :
« Au pécheur Dieu donne un moment
De grâce avant le châtiment !… »

Il dit cela d’un ton si grave
Que sa voix me troubla le cœur,
Et qu’à ce blessé doux et grave
Je répondis malgré ma peur :
« Vous avez votre mère, et moi, pauvre orpheline,
J’en vais demander une à la vierge divine.
Pourquoi dites-vous tristement :
Au pécheur Dieu donne un moment
De grâce avant le châtiment ?… »


« La grâce, c’est votre présence ! »
Cria-t-il contre la cloison.
« Le châtiment, c’est votre absence,
Et le ciel, c’est votre maison !
Je suis l’heureux voisin de la jeune orpheline
Qui demande une mère à la vierge divine ;
C’est pourquoi je dis tristement :
Au pécheur Dieu donne un moment
De grâce avant le châtiment !

« Car vous partez avec l’aurore,
Et moi, blessé, je vais mourir… »
— « Voisin, je ne pars pas encore
Et si l’on pouvait vous guérir…
Donnez-moi votre mère, et la pauvre orpheline
Ne demandera rien à la vierge divine.
Ne dites donc plus tristement :
Au pécheur Dieu donne un moment
De grâce avant le châtiment ! »


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