Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/L’Ange et la coquette

Pour les autres éditions de ce texte, voir L’ange et la coquette.


L’ANGE ET LA COQUETTE.


Une église sans lumière
Sonne le salut du soir,
Et seule, avant la prière,
Une femme vient s’asseoir.
Brillante, peinte et pompeuse,
Que peut-elle avoir souffert ?
Rien. Cette femme est heureuse,
Mais elle a peur de l’enfer.

Dans l’ombre de la chapelle
Veille l’ange des pardons,
Et c’est le seul qu’elle appelle
Pour le séduire à ses dons :
— « N’apportez que vos alarmes, »
Dit-il, « tout cet or offert,
S’il n’est mouillé de vos larmes,
Ne sauve pas de l’enfer. »


— « Quoi, n’est-ce pas un mensonge ? »
Dit-elle avec plus d’effroi.
« Oh ! de ce terrible songe,
Bon ange, délivrez-moi !
Je sens, la nuit où tout change,
Sur mon cœur un poids de fer. »
— « Femme, ô femme ! » répond l’ange,
« C’est donc là qu’est votre enfer. »

— « Oui, puisqu’on nous fait un crime
De nouer de tendres nœuds ;
Puisqu’ils parlent d’un abîme
« Où s’éteignent les doux yeux.
Faut-il haïr, pour leur plaire,
L’amour qui nous est offert ? »
— « Non, » dit l’ange sans colère,
« L’amour vrai n’a pas d’enfer. »

— « Pour moi, sur plus d’un ménage
J’étendis mes fins réseaux ;
Mortel fut mon voisinage
Aux femelles des oiseaux.
M’entendez-vous ? » — « Pas encore, »
Dit l’ange au front découvert ;

« Un mystère que j’ignore
Vous a fait peur de l’enfer. »

— « Mais… j’ai brisé tant de chaînes,
J’ai défait tant de serments,
Tant à des femmes trop vaines
Volé d’époux et d’amants !
Leurs pleurs célébraient mes charmes,
Et tant d’or me fut offert !… »
— « Eh ! bien, pour venger leurs larmes,
Vous aurez peur de l’enfer. »


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