Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le Banni

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le banni.

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 270-272).
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LE BANNI.


Les toits étaient dorés par le couchant ;
D’heureux enfants jouaient dans la poussière,
Et d’une église où tintait la prière,
La brise, au loin, portait le dernier chant.

Sur le chemin à tous libre et splendide,
Un homme seul errait triste et livide :
Cet homme étrange avait peine à courir,
Et peine à vivre… et peut-être à mourir.
Son œil voilé jetait un feu farouche ;
D’ardents soupirs par force ouvraient sa bouche ;
Quelqu’un, l’osant, eût crié : « Qu’avez-vous ? »
Mais il craignait la charité de tous.
De tous… oh ! non, peu regardaient cette âme
Passer traînant son orageuse flamme,
Comme voulant entre le sol et l’air
Glisser furtive et pareille à l’éclair.
La terre est longue à toute âme exilée,
Fuyant son nom de vallée en vallée.


Rien sur son corps ne tient que par lambeaux ;
S’il va s’asseoir c’est auprès des tombeaux.
Qu’a-t-il donc fait ? Qu’en a-t-on su ?… Qu’importe !…
Son dur pays qui lui ferme la porte
Le sait-il mieux ? Le plus sûr aujourd’hui,
C’est de prier pour son juge et pour lui.
Dieu les attend et tous les deux sont frères,
Dieu tient la clé de terribles mystères.
Sa loi n’est pas l’éternelle rigueur :
Dieu fit l’amour, l’homme en a fait l’erreur.

Ayant franchi le carrefour qui crie,
Une humble voix a dit : « Je vous en prie !
« Faites l’aumône à mon destin voilé,
« Et dans vos maux vous serez consolé.
« Vous verrez l’heure à sa douce lumière :
« De toute joie, hélas ! c’est la première !
« Voyez ! voyez ! et que Dieu sur vos pas
« Sème les biens que nous ne voyons pas ! »

Et l’homme étrange a tressailli dans l’ombre ;
Et l’eau divine a mouillé son œil sombre,
Cette eau du cœur qui lave le remords
Comme une pluie a relevé son corps.


Il a donné ! Ce pauvre a fait l’aumône ;
Et l’autre pauvre a béni qui lui donne ;
Et le voyant, au son de cette voix,
A cru rentrer dans son libre autrefois.
Tout parcouru par cette voix bénie
Il jurerait que sa peine est finie.
Pour une larme, hélas ! pour un grain d’or,
Dieu permet donc qu’on le salue encor !

« La voix, dit-il, parle comme ma mère !
Elle a rompu pour moi la mort amère,
Et remué comme un petit enfant
Le vieux banni dans l’exil étouffant.
Merci ma mère ! » Et le banni se couche
Sous le nom pur qui rassainit sa bouche.

Ô vieille mère ! aumône de l’amour !
Voilà ton fils doux comme au premier jour !


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