Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Fragment

Pour les autres éditions de ce texte, voir Fragment (« Quand les anges entre eux se parlent de la terre »).

Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 273-275).
◄  Le banni


FRAGMENT.


Quand les anges entre eux se parlent de la terre,
Le dernier qui l’a vue ébruite avec mystère
Quelque secret d’enfant pris dans cet humble lieu,
Qu’il cache sous son aile et qu’il rapporte à Dieu.

Nos mères les ont vus durant les nuits brûlantes
Semant sur leur chemin les étoiles filantes,
Ces éclairs sans orage aux glissantes blancheurs
Répandus sous les pas des anges voyageurs.

L’un d’eux, qui remontait souriant et plein d’aise,
Tandis qu’un cercle aimé le salue et le baise,
Dégageant ses beaux pieds de leurs sandales d’or,
Ouvre ainsi tout son cœur qui palpitait encor :

« J’arrive de la terre où la nuit est bien noire ;
L’homme en a presque peur ; c’est à ne pas le croire !
Les cœurs sont si cachés dans ces étroits séjours
Que même en se parlant on s’ignore toujours ;
Et, sinon les instants où d’indicibles flammes

Révèlent par les yeux la présence des âmes,
Dans l’ombre se cherchant, mais étrangers entre eux,
Vous n’imaginez pas comme ils sont malheureux.
Les plumes dans le vent flottent moins ballottées
Que ces ombres en bas dans le doute emportées.
Qu’est-ce donc qu’une vie attachée à des corps
Dont un faible roseau peut rompre les ressorts !
Dieu qui les veut mortels a marqué leur visage,
Même les plus charmants, d’un douloureux présage ;
Mais distraits par des jeux vides et décevants
Ils deviennent vieillards sans cesser d’être enfants.
Jaloux de nos clartés qu’ils ne peuvent atteindre,
Allumant de grands feux, toujours prêts à s’éteindre,
Pour éclairer leurs jours et leur destin voilé,
Ils n’ont qu’un seul soleil et qu’un ciel étoilé !
Puis noyant leurs soucis dans des flots de paroles,
Dans un rire insensé, dans des colères folles,
Ces aveugles épars, pleins d’horreur pour la mort,
En la fuyant partout la donnent sans remord.
 
« C’est triste !… » C’est la terre. Et pourtant, mille charmes
Nous attirent sans cesse à ce pays des larmes.
On dirait que poussés d’un profond souvenir
Nous allons les guider au céleste avenir.
Et j’allais… Et pareils à des oiseaux nocturnes,

Ces pensers me guidaient tendres et taciturnes,
Vers le toit d’un palais où j’entendais gémir
Un enfant, roi futur, qui ne pouvait dormir.

« Qu’as-tu, petit chrétien roulé dans tes dentelles ?
Fines comme le vent, en quoi te blessent-elles ?
Dis, petit roi pleureur, dis tout ce que tu veux,
Et vers le roi des rois je porterai tes vœux. »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Séparateur