Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable V

Traduction par B. de Roquefort.
Poésies de Marie de France, Texte établi par B. de RoquefortChasseriautome II (p. 78-79).

FABLE V.

Dou Chien è dou Formage[1].

Par une feie ce vus recunt[2]
Passeit un Chiens desus un punt ;
Un Formage en se geule tint,
Quant il enmi cel punt parvint[3]
En l’aigue vit l’umbre dou Fourmaige.
Purpensa sei en sun curaige
[a]K’il les vuleit aveir andeus,

Iluec fu-il trop cuveiteus.
En l’iaue saut, sa buche ovri,
E li fourmages à li chéi[4],10
E umbre vit, è umbre fu,
E sun formage en ot perdu.

MORALITÉ.

Pur ce se deivent castier[5]
Cil ki trop voelent coveitier,
[b]Ki plus coveite que sun dreit
Par li méismes se déçeit ;
Kar ce k’il a pert-il suvent
E de l’autrui n’a-il talent.


  1. La Fontaine, le Chien qui lâche sa proie pour l’ombre, liv. VI, f. 17.
    Phædr., lib. I, fab. 4. Canis natans vel Canis deceptus.
    Romul. Nilant., lib. I, fab. 5, Canis per fluvium carnem ferens.
    Anon. Nilant., f. 7.
  2. Un chien passant sur un pont, tenoit en sa gueule un fromage.
  3. Arrivé au milieu du pont, il aperçut dans l’eau l’ombre de son fromage ; trompé par cette ressemblance, il réfléchit et pensa qu’il pourroit bien les avoir tous les deux.
  4. Lui échappa, du verbe choir, tomber, cadere.
  5. Instruire, donner des avis, et non châtier, corriger, castigare.
Variantes.
  1. Que avoir les voloit ambeduz,
    Illuc fuit-il trop convoituz.

  2. Qui plus covoite qu’il ne doit
    Sa covoitise le deçoit.