Théophile Berquet, Libraire (p. 191-195).

APOTHÉOSE

de gas, mon chien.

à iris.

Plus d’un bel esprit murmure
Contre mon illustre chien ;
Iris, ne savez-vous rien
De son heureuse aventure ?
Lorsque sur le double mont
Je cherchais des fleurs nouvelles,
Pour en couronner le front
D’un roi cent fois plus grand que le vainqueur d’Arbelle,
Mon téméraire chien marchait dessus mes pas :
Il trouve en me suivant la source d’Hippocrène ;
Il faisait chaud, il était las ;
Tout languissant de soif, il boit dans la fontaine :
Aussitôt les auteurs dont les bords sont remplis
Firent retentir de leurs cris

La montagne à double croupe.
Par l’un d’eux mon chien est pris ;
On détache un de la troupe
Pour avertir du fait le dieu des beaux esprits,
À peine eut-on compté cette bizarre histoire,
Qu’Apollon s’écria, de son honneur jaloux :
Un chien a l’audace de boire
En même fontaine que nous !
Alors, prenant son arc d’ivoire,
Il allait, pour venger sa gloire,
Percer mon chien de mille coups,
Si, d’un air agréable et doux,
La badine Érato n’eût pris soin du coupable.
Puissant dieu, lui dit-elle, hélas !
Pour ce pauvre tou-tou devenez plus traitable ;
Il vaut bien qu’on en fasse cas :
C’est l’illustre chien d’Amarille
Dont j’ai tant chanté les appas ;
Ni le chien qui jappe là-bas,
Ni le chien dont l’Olympe brille
En bon sens ne l’égalent pas ;
Il démêle un sot de cent pas,
Le poursuit, l’aboie et le pille.
Ah ! pour le repos de nos jours,
Que n’avons-nous un tel secours

Contre un tas de grimauds dont Parnasse fourmille !
À ces mots, d’Apollon le courroux s’apaisa ;
Il demande mon chien, commande qu’il s’avance,
Le trouva beau, le caressa,
Et, malgré l’humble remontrance
De messieurs les auteurs, il l’immortalisa.
Je t’affranchis des lois de la sourde déesse,
Dit-il à ce chien précieux ;
Demeure en ces aimables lieux
Dans une éternelle jeunesse.
Connaissant ta capacité
Je commets à tes soins notre tranquillité ;
Au pied du mont sacré je t’assigne une place ;
Par le mérite faux garde d’être surpris ;
Et quelque terrible menace,
Quelque prière qu’on te fasse,
Ne permets d’y monter qu’à mes seuls favoris ;
Déchire à belles dents ceux dont la folle audace
De mes doctes chansons croit emporter le prix,
Et pour ces demi-beaux esprits
Soit le cerbère du Parnasse.
Ce discours prononcé, les neuf savantes sœurs
De mon heureux chien s’approchèrent,
Et, pour lui décerner les suprêmes honneurs,
Jusques aux bords du Styx dans leurs bras le portèrent

Trois fois en marmottant dans ses eaux le plongèrent.
Tout ce qu’il avait de mortel
Demeura dans l’onde fatale,
Et l’on vit d’une ardeur égale
À ce chien nouveau dieu dresser plus d’un autel
Qu’encensent vainement l’audace et la cabale.
Fidèle aux ordres d’Apollon,
Nuit et jour du sacré vallon
Il interdit l’entrée aux faiseurs d’acrostiches,
D’équivoques, de vers obscurs,
De vers rampans et de vers durs ;
À ceux dont tous les hémistiches
Sont pleins de médisance ou pleins de mots impurs ;
Par ses soins on jouit du repos et de l’ombre
Nécessaires pour bien penser.
Les bons auteurs sont en si petit nombre
Qu’ils ne peuvent embarrasser.
En vain le vieux Lisis lui dit d’un ton superbe
Je suis des amis 
Vous devez me laisser passer.
En vain, dans l’ardeur qui l’emporte,
Le pétulant Albin, d’une voix vive et forte,
Allègue de vieux droits par le bon sens détruits :
Ô siècle ingrat ! dit-il, tant d’ouvrages conduits
Comme l’eût pu faire Aristote

Ne me donnent que des douleurs !
Quelle étoile funeste à mon destin préside ?
Mais dois-je m’étonner de mes divers malheurs ?
C’est une bête qui décide
Des bons et des mauvais auteurs.
Après lui l’ignorant Timandre
Vient tenter l’aventure, aidé du dieu Bacchus ;
Et veut contre mon chien gager deux mille écus
Qu’il arrivera quelque esclandre.