IMITATION

de la première ode d’horace,
mœcenas atavis.

à monsieur colbert.

Illustre protecteur des filles de Mémoire,
Ministre vigilant dont les soins précieux
De l’auguste Louis éternisent la gloire,
Colbert dont les travaux, des ans victorieux,
De miracles divers enrichiront l’histoire ;
Vous par qui l’on voit à la fois
Les beaux-arts rétablis, le commerce, les lois ;
Vous dont la sage prévoyance
Au milieu de la guerre entretient l’abondance
Dans les vastes états du plus vaillant des rois ;
Pour connaître des cours quelle est la différence
Quittez pour un moment ces pénibles emplois.

Couvert d’une noble poussière,
On voit un jeune audacieux,
Triomphant d’une cour entière,
D’un superbe tournoi sortir victorieux.
Par les louanges qu’on lui donne
Il se croit au-dessus des plus fameux guerriers,
Et le laurier qui le couronne
Est à son gré le plus beau des lauriers.

L’espoir de parvenir aux dignités suprêmes
Rend esclave de la faveur :
Rien d’un ambitieux ne rebute le cœur ;
Son repos et ses amis mêmes
Sont des biens qu’il immole aux soins de sa grandeur.

En cultivant les champs, le laboureur avare
D’une riche moisson flatte tous ses désirs :
Les autres passions où la raison s’égare
N’excitent dans son cœur ni douleurs, ni plaisirs.

À peine échappé du naufrage,
Le nocher hasardeux remonte sur la mer :
Durant les périls de l’orage,
Effrayé de se voir en proie au flot amer,
Il regrette l’heureux rivage ;

Mais dès lors que de son trident
Neptune a par trois fois frappé l’onde irritée,
On voit le pilote imprudent
Sans aucun souvenir des écueils ni du vent,
Emporté par l’espoir dont son âme est flattée,
S’exposer comme auparavant.

Gouverne qui voudra cet immense univers :
Tout est indifférent dans la fureur bachique ;
À l’ombrage des pampres verts,
Le buveur, dégagé de mille soins divers,
Au culte de Bacchus sans réserve s’applique,
Et, bravant du bon sens le pouvoir tyrannique,
Il met sa raison dans les fers.

Les affreux et sanglans combats,
Qui coûtent tant de pleurs aux amantes, aux mères,
Pour les guerriers ont des appas ;
Et la gloire et l’honneur, ces fatales chimères,
Leur font avec plaisir affronter le trépas.

Pour les sombres forêts, le diligent chasseur
De Mars et de l’Amour néglige les conquêtes ;
Il met le suprême bonheur
À forcer d’innocentes bêtes.

Soit que l’astre des cieux, dans son rapide tour,
Répande aux mortels sa lumière,
Soit que l’inégale courrière
Répare la perte du jour,
Jamais son âme forcenée
D’un tranquille sommeil ne goûte les douceurs ;
La poursuite d’un cerf lui fait de l’hyménée
Mépriser toutes les faveurs.

Colbert, il serait impossible
De conter des humains les caprices divers ;
Pour moi de qui le cœur ne s’est trouvé sensible
Qu’à l’innocent plaisir de bien faire des vers,
Seule au bord des ruisseaux, je chante sur ma lyre
Ou le dieu des guerriers, ou le dieu des amans,
Et ne changerais pas pour le plus vaste empire
Ces doux amusemens.

Pleine du beau feu qui m’anime,
Avant qu’un autre hiver ramène les glaçons ;
Je chanterai Louis, sage, actif, magnanime,
Et vainqueur malgré les saisons.
Colbert, si vous daignez m’entendre,
Si pour quelques momens mes chants peuvent suspendre
Les chagrins que traîne après soi

Cette profonde politique
Où le bien de l’état sans cesse vous applique,
Quel sort plus glorieux pour moi ?