Théophile Berquet, Libraire (p. 165-171).

CHANSONS.


Au Soleil.

Brillant soleil, hâte-toi de paraître ;
Reviens embellir nos coteaux.
Sans toi, sans ton secours, hélas ! rien ne peut naître ;
Tu fais et nos biens et nos maux.
Brillant soleil, hâte-toi de paraître.
Assemble encore ici nos languissans troupeaux.
Venge-nous de l’hiver, viens lui faire connaître
Que tu chéris toujours nos bergers, nos hameaux.
Brillant soleil, hâte-toi de paraître,
Reviens embellir nos coteaux.



Pourquoi me reprocher, Sylvandre,
Que je vous promets tout pour ne vous rien tenir ?
Hélas ! c’est moins à moi qu’à vous qu’il s’en faut prendre ;

Pour remplir vos désirs j’attends un moment tendre ;
Que ne le faites-vous venir ?



Je croyais que la colère
Avait dégagé mon cœur !
Mais à la moindre douceur
J’ai bien connu le contraire.
Hélas ! un fidèle amant
Se propose vainement
De n’aimer plus ce qu’il aime ;
S’il se mutine aisément,
Il s’apaise tout de même.



La fierté m’est un faible appui
Contre ce que l’Amour inspire.
Songeons toujours que tout ce qui respire
Est fait pour lui.
Quand ce n’est pas d’amour qu’un cœur soupire,
Il soupire d’ennui.



Revenez, charmante verdure,
Faites régner l’ombrage et l’amour dans nos bois.
À quoi s’amuse la nature ?
Tout est encore glacé dans le plus beau des mois.
Si je viens vous presser de couvrir ce bocage,
Ce n’est que pour cacher aux regards des jaloux
Les pleurs que je répands pour un berger volage.
Ah ! je n’aurai jamais d’autre besoin de vous.



On connaît peu l’Amour lorsqu’on ose assurer
Qu’avec la jalousie il ne saurait durer :
Loin de le ralentir, tout ce qu’elle conseille
Ne sert qu’à le rendre plus fort.
Un peu de jalousie éveille
Un Amour heureux qui s’endort.



Du charmant berger que j’adore
Un sort cruel menace les beaux jours ;
Ruisseaux, vous le savez, et vous coulez toujours !
Rossignols, vous chantez encore !
Vous, les seuls confidens de nos tendres amours,

Taisez-vous ; arrêtez votre cours :
Du charmant berger que j’adore
Un sort cruel menace les beaux jours.



Livrons nos cœurs aux tendres mouvemens ;
N’écoutons point la chagrine vieillesse.
Si l’amour est une faiblesse,
On la doit permettre au printemps.
Employons bien cet heureux temps
Il n’en reste que trop pour la triste sagesse.



Soyons toujours inexorables :
Un amant bien traité se rend insupportable ;
Il néglige l’objet dont son cœur est charmé ;
De tous les petits soins il devient incapable.
Un amant sûr d’être aimé
Cesse toujours d’être aimable.

Si l’amour est inévitable ;
S’il faut pour un berger brûler d’un feu semblable
À celui dont son cœur nous paraît consumé,

Par de feintes rigueurs rendons-le misérable.
Un amant sûr d’être aimé
Cesse toujours d’être aimable.

Sur Monsieur l’abbé Testu.

L’aventure est trop ridicule
Pour ne la pas faire savoir ;
Il offrait à dame incrédule
Sa chandelle, et la faisait voir
Sans s’émouvoir, sans s’émouvoir,
La folette tira sa mule,
Et la fit servir d’éteignoir.

Au lieu de venger cette injure,
Les Amours, à malice enclins,
Riaient entre eux de l’aventure
Du doyen des abbés blondins.
Ces dieux badins, ces dieux badins,
Se disaient : Vois-tu la coiffure
Qu’on a mise au dieu des jardins.



Ah ! pourquoi me disiez-vous
De ne craindre que les loups ?
Ce n’est pas faire assez d’éviter leur colère.
Un jeune berger, tendre et beau,
Fait plus de tort à mon troupeau
Que tous les loups n’en pourraient faire.



À la cour,
Aimer est un badinage,
Et l’Amour
N’est dangereux qu’au village.
Un berger,
Si sa bergère n’est tendre,
Sait se pendre ;
Mais il ne saurait changer.
Et parmi nous, quand les belles
Sont légères ou cruelles,
Loin d’en mourir de dépit,
On en rit,
Et l’on change aussitôt qu’elles.



Le cœur tout déchiré par un secret martyre,
Je ne demande point, Amour,
Que sous ton tyrannique empire
L’insensible Tircis s’engage quelque jour.
Pour punir son âme orgueilleuse
De l’immortel affront qu’il fait à mes attraits,
N’arme point contre lui ta main victorieuse :
Sa tendresse pour moi serait plus dangereuse
Que tous les maux que tu me fais.



Fuyons ce désert enchanteur.
L’autre jour dans ces bois solitaires et sombres,
Tircis, à la faveur des ombres,
Apprit le secret de mon cœur.
Fuyons ce désert enchanteur.