Théophile Berquet, Libraire (p. 131-134).

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Autres Réflexions.

I.

Homme, contre la mort quoi que l’art te promette,
Il ne saurait te secourir.
Prépares-y ton cœur. Dis-toi : C’est une dette
Qu’en recevant le jour j’ai faite :
Nous ne naissons que pour mourir.

II.

Esclaves que rien ne rebute,
Vous qui, pour arriver au comble des honneurs,
Aux caprices des grands êtes toujours en butte ;
Vous de tous leurs défauts lâches adorateurs,
Savez-vous le succès de tant de sacrifices ?
Quand par les grands emplois on aura satisfait
À vos soins, à vos longs services,
Hélas ! pour vous qu’aura-t-on fait
Que vous ouvrir des précipices ?


III.

Est-ce vivre ? et peut-on, sans que l’esprit murmure,
Se donner tout entière aux soins de sa parure ?
Se peut-il qu’on arrive à cet instant fatal
Qui termine les jours que le destin nous prête,
Sans avoir jamais eu d’autres soucis en tête
Que de ce qui sied bien ou mal ?
Faire de sa beauté sa principale affaire
Est le plus indigne des soins.
Le dessein général de plaire
Fait que nous plaisons beaucoup moins.

IV.

Lorsque la mort moissonne à la fleur de son âge
L’homme pleinement convaincu
Que la faiblesse est son partage,
Et qui contre ses sens a mille fois vaincu,
On ne doit point gémir du coup qui le délivre.
Quelque jeune qu’on soit, quand on a su bien vivre,
On a toujours assez vécu.


V.

Que les ridicules efforts
Qu’on fait pour cacher la vieillesse
Sous l’éclat d’un jeune dehors
Marquent dans un esprit d’erreur et de faiblesse !
Pourquoi faut-il rougir d’avoir vécu long-temps ?
Si nos discours, si nos ajustemens,
Si nos plaisirs conviennent à notre âge,
Nous ne blesserons point les yeux.
Les mesures qu’on prend pour paraître moins vieux
Font qu’on le paraît davantage.

VI.

Non, de quelques côtés qu’on porte ses désirs,
On ne saurait goûter de plaisirs véritables ;
Mais tout faux que sont les plaisirs,
Encore s’ils étaient durables !
On plaindrait un peu moins ces cœurs infortunés
Qui, par leur penchant entraînés,
Sont en quelque sorte excusables.
Quel bonheur quand du ciel les aspects favorables
Font qu’il n’en coûte rien pour être vertueux !

Et qu’il faut de raison, de force,
Quand on est né voluptueux.
Pour faire avec les sens un éternel divorce !

VII.

De quel aveuglement sont frappés les humains !
Contre les malheurs incertains,
Tels que la perte d’une femme,
D’un enfant, d’un ami, des trétors, des grandeurs,
On croit faire beaucoup de préparer son âme,
Et l’on n’aura peut-être aucun de ces malheurs.
Mais sans doute on mourra. Cent et cent précipices
Sont ouverts sous nos pas pour nous faire périr :
Cependant au milieu des vices
Nous mourons sans songer que nous devons mourir.