Théophile Berquet, Libraire (p. 83-91).

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Au père de la Chaise,

confesseur du roi.

Sous le débris de vos attraits
Voulez-vous demeurer toujours ensevelie ?
M’a dit quelqu’un d’un nom que par raison je tais,

Qui s’est imaginé que ma mélancolie
Vient moins d’une santé dès long-temps affaiblie
Que du reproche amer qu’en secret je me fais
De n’être plus assez jolie
Pour faire naître encor quelque tendre folie,
Frivole honneur, sur quoi je ne comptai jamais.
Apprenez, me disait ce quelqu’un anonyme,
Que, lorsque ce qu’on a de beau
Est du temps ou des maux devenu la victime
Il faut, pour acquérir une nouvelle estime,
Se faire un mérite nouveau ;
Que c’est ne vivre plus que de vivre inutile ;
Qu’il faut, dans quelque rang qu’on soit,
Que jusqu’au dernier jour une personne habile
Tienne au monde par quelque endroit.
Vous ne répondez point. D’où vient votre silence ?

Il vient, lui dis-je alors exprès pour découvrir
Où tendait cette belle et sage remontrance,
De ce qu’en moi-même je pense
Quel mérite nouveau je pourrais acquérir.
Je n’en vois point, tant je suis sotte.

Abus, s’écria-t-il ; hé ! devenez dévote.
Ne le devient-on pas à la ville, à la cour ?

Moi ? dévote ! qui, moi ? m’écriai-je à mon tour,
L’esprit blessé d’un terme employé d’ordinaire
Lorsque d’un hypocrite on parle avec détour.
Oui, me repliqua-t-il, vous ne sauriez mieux faire.
De la dévotion ayez moins de frayeur :
Elle est rude pour le vulgaire ;
Mais pour vous il ne faut qu’un peu d’extérieur.
Allez, pour soutenir le dévot caractère
Il n’en coûtera pas beaucoup à votre cœur.
Tout ce que la fortune a pour vous d’injustices
Par-là pourrait se réparer.
Regardez vos parens vieillir sans bénéfices ;
Songez qu’à votre époux cinquante ans de services
N’ont encor rien pu procurer ;
Qu’un tas de créanciers à votre porte gronde,
Et que chez les dévots, biens, honneurs, tout abonde ;
Que la mode est pour eux, et peut long-temps durer ;
Et qu’outre ces raisons sur qui chacun se fonde,
Vous aurez droit de censurer
Les actions de tout le monde.

Allons doucement, s’il vous plaît,
Lui dis-je ; et supposé qu’à vos leçons fidèle,
Je prenne aux yeux du monde une forme nouvelle
Par une raison d’intérêt ;

Louis, éclairé comme il est,
Quoi que vous osiez me promettre,
Connaîtra ma fourbe ; il pénètre
Au delà de ce qui paraît.
À quoi m’aura servi ma dévote grimace ?
Qu’à m’en faire moins estimer.
Malheur dont la simple menace
Plus que la mort peut m’alarmer.

Quand, me répliqua-t-il, on est à votre place,
Il ne faut pas avoir tant de précaution.
Mais, dût pour vous le sort ne changer point de face.
Certain air de dévotion,
Lorsque l’on n’est plus jeune, a toujours bonne grâce.
Redoublez votre attention.
Voyez quel privilége au nôtre peut atteindre.
Avec des mots choisis, aussi doux que le miel,
Sur les gens d’un mérite à craindre
On répand à grands flots le fiel.
On peut impunément, pour l’intérêt du ciel,
Être dur, se venger, faire des injustices.
Tout n’est pour les dévots que péché véniel.
Nous savons en vertus transformer tous les vices :
De la dévotion c’est là l’essentiel.

Taisez-vous, scélérat, m’écriai-je irritée ;
Tout commerce est fini pour jamais entre nous.
J’en aurais avec un athée
Mille fois plutôt qu’avec vous.
Mais tandis qu’en discours ma colère s’exhale,
Ce faux, ce dangereux ami
Sort de mon cabinet, traverse chambre et salle
D’un air brusque et confus, d’un pas mal affermi,
Et me laisse une horreur qu’aucune horreur n’égale.
Ah ! c’est un dévot de cabale,
Mais qui ne sait encor son métier qu’à demi.
Il faut de l’art au choix des raisons qu’on étale.
Aussi les habiles dévots
Selon les gens ont leur morale,
Et ne se livrent pas ainsi mal à propos.

Qu’ils sont à redouter ! Sur une bagatelle
Leur donne-t-on le moindre ennui,
Leur vengeance est toujours cruelle.
On n’a point avec eux de légère querelle.
Tâche-t-on un dévot, c’est Dieu qu’on fâche en lui.
Ces apôtres du temps, qui des premiers apôtres
Ne nous font point ressouvenir,
Pardonnent bien moins que nous autres.
Contre eux veut-on se maintenir,

Empêcher qu’à leurs biens ils ne joignent les nôtres,
C’est une impiété qu’on ne peut trop punir.
De la religion c’est ainsi qu’ils se jouent.
Ils ont un air pieux répandu sur le front
Que leurs actions désavouent.
Ils sont faux en tout ce qu’ils font.
Le métier de dévot, ou plutôt d’hypocrite,
Devient presque toujours la ressource des gens
Qu’une longue débauche a rendus indigens,
Des femmes que la beauté quitte,
Ou qui d’un mauvais bruit n’ont pu se préserver,
Et de ceux qui pour s’élever
N’ont qu’un médiocre mérite.
Dès que du cagotisme on fait profession,
De tout ce qu’on a fait la mémoire s’efface.
C’est sur la réputation
Un excellent vernis qu’on passe.
Si je pouvais trouver d’assez noires couleurs,
Que j’aimerais à faire une fidèle image
Du fond de leurs perfides cœurs !
Moi qui hais le fard dans les mœurs
Encor plus que sur le visage,
Et qui sais tous les tours que mettent en usage
Nos plus célèbres imposteurs,
Quel plaisir pour moi, quelle joie

De démasquer ces scélérats,
À qui le vrai mérite est tous les jours en proie,
Et qui, pour l’accabler par une sûre voie,
De l’intérêt du ciel couvrent leurs attentats !

Mais, me pourra dire un critique,
Votre esprit s’égare : arrêtez ;
Quand pour les faux dévots votre haine s’explique,
Songez bien contre vous quelles gens vous mettez.
Pour affaiblir les coups que sur eux vous portez,
Ils vous peindront au roi comme une libertine.
Je frémis des ennuis que vous vous apprêtez.
Croyez-moi, contre vous que rien ne les chagrine.

Non, non, dirais-je à ce censeur,
Je suis leur ennemie, et fais gloire de l’être ;
Et s’ils osaient sur moi répandre leur noirceur,
Quelque ouvrage pourrait paraître
Où je les traiterais avec moins de douceur,
Et par leurs noms enfin je les ferais connaître.
Hé ! quoi donc ? parce que le roi
De toutes les vertus donne de grands exemples ;
Que, pieux, charitable, assidu dans nos temples,
Il aime le Seigneur, le sert de bonne foi ;
Que pour ses intérêts il soutient seul la guerre ;

Qu’il a planté la croix aux deux bouts de la terre,
Et que des libertins il fut toujours l’effroi,
On n’osera parler contre les hypocrites !
Hé ! qu’ont-ils de commun avec un tel héros ?
Censeur, sur ce que vous me dites
J’ai l’esprit dans un plein repos.

Ô vous, qui, de Louis, heureux et sacré guide
Lui dispensez du ciel les célestes trésors ;
Vous, dont la piété solide,
Loin d’étaler aux yeux de fastueux dehors,
Et d’avoir d’indiscrets transports,
Est pour juger d’autrui toujours lente et timide ;
Vous enfin, dont la probité
Du sang dont vous sortez égale la noblesse,
Daignez auprès du prince aider la vérité.
Si quelque hypocrite irrité,
En lui parlant de moi, la blesse,
De ma foi, de mes mœurs vous êtes satisfait.
Vous ne l’êtes pas tant, peut-être,
De ma soumission pour le souverain Être
Dans les maux que souvent la fortune me fait ;
Mais si je ne suis pas dans un état parfait,
Je sens que j’y voudrais bien être.
Oui, je voudrais pouvoir, comme vous le voulez,

Sanctifier les maux qui me livrent la guerre.
Ah ! que mon cœur n’est-il de ces cœurs isolés
Qui par aucun endroit ne tiennent à la terre ;
Qui sont à leurs devoirs sans réserve immolés ;
À qui la grâce assure une pleine victoire,
Et qui, d’un divin feu brûlés,
À la possession de l’éternelle gloire
Ne sont pas en vain appelés !