Théophile Berquet, Libraire (p. 75-78).

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À Monsieur Caze,

pour le jour de sa fête.

On dit que je ne suis pas bête :
Cependant, n’en déplaise aux donneurs de renom,
Quand il faut chanter votre fête

Je ne saurais tirer un seul vers de ma tête.
Jean ! Que dire sur Jean ? C’est un terrible nom,
Que jamais n’accompagne une épithète honnête.
Jean de Vignes, Jean Logue… Où vais-je ? Trouvez bon
Qu’en si beau chemin je m’arrête,
Et que, pour comparer vous et votre patron,
Je prenne sur un autre ton
Ce que la légende me prête.
M’y voilà. Commençons par le saint qu’aujourd’hui
Notre mère la sainte Église
Ordonne que l’on solennise,
Et voyons quel rapport vous avez avec lui.
Ou je m’y connais mal, ou vous n’en avez guère ;
Point du tout même, à parler franc.
L’évangéliste et vous, plus je vous considère,
Et plus je vais du noir au blanc.
Avoir pu de Satan éviter tous les piéges ;
Avoir été d’un Dieu le disciple chéri ;
Jusqu’à la fin des temps voir les glaçons, les neiges
Faire place au printemps fleuri,
Privilége qui seul vaut tous les privilèges,
N’est-ce pas, selon moi, ce qui fait
De l’apôtre et de vous toute la différence ?
Et l’Apocalypse est un trait
Qui, fussiez-vous un saint parfait,

Gâterait trop la ressemblance.
Oh ! qu’heureuses auraient été
Quantité de doctes cervelles
Si saint Jean eût écrit avec la netteté
Qui, joint au tour charmant, aux grâces naturelles,
Rend vos tendres chansons si belles !
Mais que fais-je ! où m’emporte un enjoûment outré ?
Comparer un livre sacré
À de profanes bagatelles !
De telles libertés trouvent plus d’un censeur,
Qui charitablement en fait un mauvais conte.
Évitons un danger qui n’est jamais sans honte.
Peut-être chez le précurseur
Trouverions-nous mieux notre compte.
Essayons. Ah ! c’est encor pis.
Vous n’êtes en rien parallèles.
Il prêchait au désert, et vous dans les ruelles.
Une peau de chameau faisait tous ses habits,
Vous donnez volontiers dans les modes nouvelles.
Il se désaltérait dans un coulant ruisseau,
Se nourrissait de sauterelles :
Vous ne quitteriez pas les ortolans pour elles ;
Et je me trompe fort, ou vous n’aimez que l’eau
Que boivent à longs traits les neuf doctes pucelles.
Vous le voyez, j’ai beau chercher,

Tourner, approfondir, passer d’un saint à l’autre,
Vous n’avez rien du tout, soit dit sans vous fâcher,
Du précurseur ni de l’apôtre.
J’enrage cependant avec mon bel esprit.
Aussi pourquoi faut-il, tourné comme vous êtes,
Porter un nom qui ne fournit
Rien d’agréable à dire aux plus savans poëtes ;
Et sur qui, si j’osais en croire mon dépit,
Je reviendrais aux épithètes ?
Demeurez-en d’accord ; ce n’est pas sans raison
Que, de votre nom effrayée,
Je me suis d’abord écriée :
Que dirai-je sur un tel nom ?
J’ai prévu l’embarras. Quand je fais quelque ouvrage,
Je tâte toujours le terrain.
Ah ! que maudit soit le parrain
Qui vous alla donner ce beau nom en partage !
Il était sans doute en courroux,
Et voulait vous faire une injure ;
Fut-il jamais un nom d’un plus mauvais augure ?
Croyez-moi, débaptisez-vous.