Théophile Berquet, Libraire (p. 1-5).

À Mademoiselle de la Charce.

POUR LA FONTAINE DE VAUCLUSE.


Quand vous me pressez de chanter
Pour une fontaine fameuse,
Vous avez oublié que je suis paresseuse ;
Qu’un simple madrigal pourrait m’épouvanter ;
Qu’entre une santé languissante
Et d’illustres amis par le sort outragés
Mes soins sont toujours partagés.
Par plus d’une raison devenez moins pressante.

Daphné, vous ne savez à quoi vous m’engagez.
Peut-être croyez-vous que, toujours insensible,
Je vous décrirai dans mes vers,
Entre de hauts rochers dont l’aspect est terrible,
Des prés toujours fleuris, des arbres toujours verts
Une source orgueilleuse et pure,
Dont l’eau, sur cent rochers divers,
D’une mousse verte couverts,
S’épanche, bouillonne, murmure ;
Des agneaux bondissans sur la tendre verdure,
Et de leurs conducteurs les rustiques concerts.
De ce fameux désert la beauté surprenante,
Que la nature seule a pris soin de former,
Amusait autrefois mon âme indifférente.
Combien de fois, hélas ! m’a-t-elle su charmer !
Cet heureux temps n’est plus : languissante, attendrie,
Je regarde indifféremment
Les plus brillantes eaux, la plus verte prairie ;
Et du soin de ma bergerie
Je ne fais même plus mon divertissement.
Je passe tout le jour dans une rêverie
Qu’on dit qui m’empoisonnera.
À tout autre plaisir mon esprit se refuse ;
Et si vous me forcez à parler de Vaucluse,
Mon cœur tout seul en parlera.

Je laisserai conter de sa source inconnue
Ce qu’elle a de prodigieux,
Sa fuite, son retour, et la vaste étendue
Qu’arrose son cours furieux.
Je suivrai le penchant de mon âme enflammée :
Je ne vous ferai voir dans ces aimables lieux
Que Laure tendrement aimée,
Et Pétrarque victorieux.

Aussi bien de Vaucluse ils font encor la gloire :
Le temps qui détruit tout respecte leurs plaisirs :
Les ruisseaux, les rochers, les oiseaux, les zéphyrs
Font tous les jours leur tendre histoire.
Oui, cette vive source, en roulant sur ces bords,
Semble nous raconter les tourmens, les transports
Que Pétrarque sentait pour la divine Laure.
Il exprima si bien sa peine, son ardeur,
Que Laure, malgré sa rigueur,
L’écouta, plaignit sa langueur,
Et fit peut-être plus encore.

Dans cet antre profond, où, sans autres témoins
Que la naïade et le zéphyre,
Laure sut, par de tendres soins,
De l’amoureux Pétrarque adoucir le martyre :

Dans cet antre, où l’Amour tant de fois fut vainqueur,
Quelque fierté dont on se pique,
On sent élever dans son cœur
Ce trouble dangereux par qui l’amour s’explique,
Quand il alarme la pudeur.

Ce n’est pas seulement dans cet antre écarté
Qu’il reste de leurs feux une marque immortelle :
Ce fertile vallon dont on a tant vanté
La solitude et la beauté,
Voit mille fois le jour, dans la saison nouvelle,
Les rossignols, les serins, les pinçons
Répéter sous son vert ombrage
Je ne sais quel doux badinage
Dont ces heureux amans leur donnaient des leçons.

Leurs noms sur ces rochers peuvent encor se lire ;
L’un avec l’autre est confondu ;
Et l’âme à peine peut suffire
Aux tendres mouvemens que leur mélange inspire.
Quel charme est ici répandu !
À nous faire imiter ces amans tout conspire ;
Par les soins de l’Amour leurs soupirs conservés
Enflamment l’air qu’on y respire ;
Et les cœurs qui se sont sauvés

De son impitoyable empire
À ces déserts sont réservés.

Tout ce qu’a de charmant leur beauté naturelle
Ne peut m’occuper un moment.
Les restes précieux d’une flamme si belle
Font de mon jeune cœur le seul amusement.
Ah ! qu’il m’entretient tendrement
Du bonheur de la belle Laure !
Et qu’à parler sincèrement,
Il serait doux d’aimer, si l’on trouvait encore
Un cœur comme le cœur de son illustre amant !