Poésies de Benserade/Jalousie

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Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 38-40).

Jalousie.

STANCES.


Javois la fièvre ardente, et, comme en frénésie,
Dedans mon triste lit j’en sentois les assauts ;
Cependant une jalousie
Étoit le plus grand de mes maux.

Un rival prend son temps, choisit son avantage,
Et vient voir la beauté qui cause mon ennuy ;
Il est sot et me fait ombrage,
Car elle est sotte comme luy.

Bien mieux que ses discours mon mal la persuade ;
Et, si je perds le fruit qui devoit être mien,
C’est parce que je suis malade,
Et que l’autre se porte bien.

Elle ne fit jamais de si grossière faute ;
Cet esprit, qui ne peut former un bon dessein,
Croit qu’un badin qui danse et saute
Vaut un honnête homme mal sain.

Elle vient à mon lit, elle me plaint sans cesse,
Et voudroit, me voyant de tous mes sens perclus,
Me faire passer pour tristesse
Son désordre et ses yeux battus.

Pour mieux dissimuler, elle en veut à ses charmes,
Et cependant, au point qu’elle pleure mon mal,
Je lis dans ses yeux tout en larmes.
Un rendez-vous à mon rival.

Cette affectation au dernier point me blesse ;
Et lors, si je pouvois, étant bien amoureux,
Faire vertu de ma foiblesse.
Combien je serois généreux.

Mais le Ciel, dont je suy la fatale ordonnance,
Luy qui ne les veut pas obliger à demy,
Veut encor que mon impuissance
S’entende avec mon ennemy.

Tout le monde est aux champs, il est seul avec elle,
Et peut bien triompher de sa jeune pudeur,
S’il brûle autant pour l’infidelle
Qu’elle ressent pour luy d’ardeur.

Je ne le puis nier, ce fut avec justice
Qu’elle eût pitié de moy quand il en fut saison ;
Mais elle peut bien par caprice
Ce qu’elle fit lors par raison.

Hélas ! il me souvient qu’au fort de mon martyre,
À pas lens et craintifs, dans l’ombre de la nuit,
J’allois afin de le luy dire
Sans faire scandale ni bruit.

Mais, bien que d’elle-même un autre ait la victoire,
Qu’elle perde à son gré la honte et la pudeur,
Pourveu qu’elle n’ait pas la gloire
De nous faire perdre le cœur.

Quoique je me courrouce et que je me dépite,
Me désespérer tant et me plaindre si haut,
Ce n’est que prêcher son mérite
Et que publier mon défaut.

Il faut bien qu’à son rang tout le monde l’adore ;
Pas un de cet honneur ne doit être privé,
Et j’ay tort d’y prétendre encore,
Puisque mon règne est achevé.

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