Poésies badines et facétieuses/Les bottes

LES BOTTES

CONTE.

Deux voyageurs séjournèrent à Tours :
Tous deux étaient dans l’âge des bons tours,
Plus curieux de bonnes aventures,
Que de palais, monuments et peintures.
Gentille hôtesse, époux lourd et mutin,
À point nommé font les honneurs du gîte ;
Pour peu qu’amour veuille y prêter la main,
J’ose assurer plaisante réussite.
Voilà d’abord l’un de nos deux galans
De mainte œillade agaçant la commère ;
Tendres façons, petits soins et sermens
Sont en campagne, et puis faveur légère,

Baisers volés ; puis la main qui s’ingère,
Et qu’on punit. Béatilles d’amour
Viennent par ordre, et chacune à son tour.
Tout jusque-là n’est que cajolerie,
Que doit souffrir une hôtesse jolie.

Mais un beau jour, pour certaine raison,
Nos voyageurs sortis de la maison,
La belle étant à leur chambre montée,
Voit par hasard leurs bottes dans un coin ;
Botte aussitôt par elle convoitée :
Désir lui prend d’essayer sans témoin
Quelle figure aurait femme bottée.
Sur ce point là, sans prévoir le péril,
Tant fut enfin procédé par la belle,
Qu’elle chausse l’accoutrement viril.
Le galant monte, et trouvant la femelle
Embarrassée en ce plaisant maintien,
Il vous l’étend sur son lit bel et bien.
Amour sans bruit conduisait le mystère :
Le dieu fripon, après quelque tracas,
Introduisit le vainqueur dans Cythère.
Quelqu’un dira : « Quoi ! l’on ne cria pas ? »
Pourquoi crier ! Elle n’était si sotte ;
À quel scandale eût-elle donné lieu ?
Qu’eût dit l’époux de voir sa femme en botte !
Péchés secrets sont remis devant Dieu.

L’histoire aussi dit qu’avant de se rendre,
La chasteté fit très-bien son devoir.
Menaces, pleurs, prières, désespoir :
On n’obtint rien ; bref, ont fit tel esclandre,

Que le mari, qui montait sans dessein,
Approche l’œil du trou de la serrure :
Il eût mieux fait de suivre son chemin.
Qu’aperçoit-il ? Pèlerin en posture,
Et par-dessous bottes en mouvement,
Bottes sans plus, rien ne vit plus avant.
En cet endroit la chronique est perplexe,
Aucuns ont dit que l’époux, par raison
De sympathie, et sans soupçon de sexe,
Sentit au front quelque démangeaison.
Or reprenons le fil de l’aventure.
À cet objet, je te laisse penser,
Lecteur prudent, l’étrange conjecture
Qui chez l’époux vint soudain se glisser.
« Quelle fureur ont ces gens-ci dans l’âme ! »
— Se disait-il. — « Prêterai-je mes lits.
« Pour assouvir leur passion infâme !
« Ils porteront malheur à mon logis. »

Tout de ce pas, de peur d’être complice,
Notre homme court avertir la justice.
Le juge vient : une escorte le suit.
Pendant ce temps, sans rompre la cadence,
Le pèlerin avait repris la danse,
Heureux qui met chaque instant à profit !
Botte jamais ne fut à telle fête.
Il n’était plus mention de crier ;
À tout aussi sut-on bien se plier
Pour partager les fruits du tête-à-tête.
Le tour pourtant n’était qu’à bonne fin,
Faute de mieux, et je le crois de même.
Dandin regarde, ensuite tout l’essaim ;

L’un après l’autre, en un silence extrême,
Jusqu’au greffier, tous observent le cas :
Et croyez bien que l’on n’oublia pas,
Dans cet écrit, les bottes, et pour cause,
Tant leur semblait aggraver le délit.
Tout étant fait, on heurte à petit bruit ;
Quel contre-temps ! Une sombre ruelle
Sert de retraite à la pauvre femelle.
De quelle peur l’amant fut-il frappé,
Quand, l’huis ouvert, il se trouve happé !
« Qu’est-ce, Messieurs ? — disait-il tout en transe.
« On se méprend, savez-vous qui je suis ?
« Mon nom est tel, Florence est mon pays. »
— Notez, greffier, Monsieur est de Florence. —
L’hôte cherchait le compagnon botté ;
Il le saisit, malgré sa résistance,
Et par la main l’amène à la clarté.
« Çà, — disait-il, — voyons sa contenance ;
« Elle sera plaisante, sur ma foi… »
Pauvre cocu, voyons plutôt la tienne !

Du dénoûment chacun rit à part soi.
Le mari veut étrangler la chrétienne :
Messer Dandin apaise les débats,
De la femelle alléguant l’imprudence ;
Même l’époux, lâchant quelques ducats,
De la cohorte achète le silence.
Le pèlerin déloge, et son ami,
Comme on peut croire, et les bottes aussi ;
Il paya bien, quitte pour quelque honte,
Suivit sa route, et chacun eut son compte.