Poésies badines et facétieuses/Amant dessus, amant dessous

AMANT DESSUS, AMANT DESSOUS.

CONTE.

Jadis, au temps de Philippe le Bon,
De tous plaisirs la Cour était l’asile ;
D’un magistrat de la cité de Lille
Jeunes seigneurs fréquentaient la maison ;
Bien est-il vrai que son épouse gente,
La jeune Alix, en était la raison.
Autre n’était autant qu’elle obligeante,
Des soupirants elle avait à foison.
Quoique l’époux fût homme difficile,
Si le menait sa femme par le nez ;
Et s’en faisaient maints bons contes en ville :
C’est des jaloux le sort d’être bernés.
Ainsi fut-il à bon droit, le bon homme,
comme je vais vous le conter en somme.

Madame Alix de ces femmes était,
Comme on en voit sans faire long voyage ;
De deux amants elle agréait l’hommage ;
À divers temps : l’un ; puis l’autre écoutait.
Comme au Palais, pendant la matinée,
Dame Thémis, son grave époux retint,
Par elle, fut l’heure à l’un d’eux donnée ;
Un certain jour, à huit heures, il vint.
Encore au lit la trouvant atournée,
On peut juger qu’il ne resta debout.
Bien plus grand clerc en ce point qu’Hyménée,
Amour régla cérémonie et tout.
Mais connaît-il ni règle ni mesure ?

Alix oublie, en si douce aventure,
Que le temps fuit, qu’onze heures ont sonné ;
Et c’est le temps qu’à l’autre elle a donné.
Elle l’ouït qui frappait à la porte.
« Ah ! c’en est fait, — ce dit-elle au premier,
« C’est mon époux. S’il vous voit, je suis morte ;
« Vite montez en haut dans le grenier. »
Lui d’y monter. Au survenant elle ouvre.
Qui, bien se doit croire le seul tenant,
Tant est reçu de visage avenant ;
Quand, par un trou qu’en son grenier découvre,
celui d’en haut avec surprise voit.
Au lieu d’époux, un autre amant qu’elle aime,
Ou tout au moins qu’elle traite de même.
Voyant le fait, à grand’peine il le croit.
Mais quelle fut de tous trois la surprise,
Lorsque l’époux heurte ! Et voici la crise :
Il faut ouvrir. Où mettre le second ?
Bien que le sexe en moyens soit fécond,
Un seul s’offrit : sous le lit on le cache,
Et puis on ouvre à l’époux attendant.

De quoi d’abord en entrant il se fâche ;
Puis son soupçon s’accroît, en regardant
Meubles foules par l’enfant de Cythère.
« Voyez ce lit, et par quel accident
« Ces draps froissés ? » Alix a sa colère
Oppose un air dédaigneux et hautain.
« Vous méritez, — dit-elle, une catin,
« Sur tels soupçons qui daignât vous répondre. »
Lors y perdant le juge son latin,
Et ne trouvant assez pour la confondre,

Elle triomphe, et le poussait à bout :
Il dit enfin, excédé par sa femme,
Parlant de Dieu qu’à son aide il réclame :
« Un jour Celui de là-haut paiera tout. »
À ce discours, l’homme au grenier s’écrie :
« Eh ! pourquoi donc moi tout seul, je vous prie ?
« Celui d’en bas doit-il pas la moitié ? »
Reconnaissant la voix qui l’interpelle,
Celui d’en bas parut dans la ruelle :
« Sortons, — dit-il, — ami, tout est payé ;
« Notre présence ici n’est nécessaire. »
À donc sortit le couple favori,
Qui laisse là la femme et le mari
Vider le cas : ce n’était leur affaire.