Poésies badines et facétieuses/La fille violée

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LA FILLE VIOLÉE.

CONTE.

Zénogris, fille grande et forte,
Mais ingénue autant que fille de sa sorte.
Autour d’elle, laissa tant rôder son amant,
Qu’à la fin je ne sais comment,

Ses jupes tous les jours devenaient trop étroites
Comme elle était des moins adroites,
Ses parents aussitôt s’aperçurent du cas.
Dieu sait quel bruit et quel fracas
Ce fut dans toute la famille !

Cependant le galant, quoique petit, mal fait,
Était riche ; ce point adoucit tout le fait.
D’abord, le père de la fille
Va proposer au suborneur,
D’épouser Zénogris pour sauver son honneur.
Épouser, est un sort où rarement aspirent
Ceux qu’amour n’a pas fait vainement soupirer,
Et c’est ce qu’à peine ils désirent,
Lorsqu’ils ont tout à désirer.
Aussi Christol (c’est le nom du jeune homme)
À ce triste propos n’eut garde de céder.
On supplie, on menace, on somme :
Le plus court fut donc de plaider.

Devant les magistrats, notre belle éplorée
Se plaint, montrant son ventre et son menton égal,
D’avoir été déshonorée,
Et demande qu’enfin par le nœud conjugal
Cette honte soit réparée.
Christol, d’une mine assurée,
Et fourbe, comme sont les hommes d’aujourd’hui,
Dit que le fait n’est pas de lui.
En cent façons, on tache de le surprendre :
Quelque parti qu’on puisse prendre,
Le drôle, adroitement, de tout sait se tirer.
« — Eh bien ! messieurs, — répond Zénogris désolée,

« Puisqu’il m’y force, il faut tout déclarer :
« Le perfide m’a violée.
« Debout contre une porte arriva l’accident. »
— Mais comment, — dit le président,
Un homme si petit, qu’à peine il peut atteindre
De la main jusqu’à votre front,
A-t-il pu, debout, vous contraindre
À recevoir un tel affront ?
« — Hélas ! la chose est très-certaine,
— Répond Zénogris sans tarder, —
« Le voyant haleter et souffrir tant de peine,
« Je me baissai tant soit peu pour l’aider. »
À ces mots, de rires éclatèrent
Les juges, et la déboutèrent
De sa vaine prétention.

Si l’on jugeait sans passion,
Ou plutôt sans prévention,
Tout ce que dans le monde on nomme violence ;
L'on verrait que ce n’est que pure fiction :
Et l’on n’y trouverait que trop de ressemblance
À cette présente action.