Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 169-176).




PRIÈRE.




PRIÈRE.



Le souffle du malheur, depuis que je suis née,
A flétri tous mes ans ;
Ma vie à son matin, pauvre fleur, s’est fanée
Sous des cieux trop ardens.


Cependant, ô mon Dieu ! tu le sais, dans mon ame
Ivre de tes beautés,
L’amour, le pur amour seul a versé sa flamme
Et ses vives clartés.

Jamais je n’ai senti mon cœur battre de haine,
Ou d’envie, ou d’orgueil ;
Mais de l’enfant en pleurs et de la veuve en peine
J’ai partagé le deuil.

Je t’ai prié pour l’homme au front chargé d’années,
Dont les pas sont tremblans ;
Car toujours j’ai béni les têtes inclinées
Sous de longs cheveux blancs.

À l’être humble et souffrant qui m’offrait ton image,
Ô Dieu crucifié !

Mes lèvres ont toujours parlé le doux langage
De la tendre pitié.

Et pourtant, ô Seigneur, de ta sainte colère
Le poids tombe sur moi,
Et tu laisses briser comme un fragile verre
Mon cœur rempli de foi.

Ma voix en vain s’élève et te demande grace,
Tu ne lui réponds pas ;
Quand je pleure à tes pieds, tu détournes la face
Et me fermes les bras.

Ne te souvient-il plus des jours de ma jeunesse
Où ton regard divin,
S’abaissant sur mon cœur, en calmait la tristesse,
Comme autrefois ta main,


S’étendant sur la mer au fort de la tempête,
Apaisa son courroux,
Et fit au sein profond de leur sombre retraite
Rentrer les flots jaloux.

Reviens, reviens, mon Dieu, car mon ame est pareille,
Dans sa folle douleur,
À la mer agitée où chaque flot s’éveille
Bondissant de fureur.

Vois ! la dérision, le mépris, les injures,
Rien ne m’est épargné,
Et toi seul peux sonder les profondes blessures
Dont mon cœur a saigné.

Mais j’ai pourtant aussi des droits à ta tendresse,
Car je suis ton enfant,

Le fruit de ton amour, l’œuvre de ta sagesse
Et le prix de ton sang.

Non, tu ne voudras pas que ma vertu succombe
Dans ce combat mortel,
Toi qui nous as promis, au sortir de la tombe,
Un bonheur éternel.

Ta grace adoucira mon douloureux voyage,
Car mon ame est à toi,
Et j’ai toujours gardé comme un saint héritage
Ton amour et ta loi.

S’il semble quelquefois, Seigneur, que tu sommeilles
À l’instant du danger,
Cette heure est une épreuve, et soudain tu t’éveilles
Pour bénir ou venger.


Bénis donc, ô mon Dieu ! bénis tant de souffrance,
De soupirs et de pleurs ;
Mais sur mes ennemis n’exerce ta vengeance
Qu’en les rendant meilleurs.