Poésies (Quarré)/La Sylphide

Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 293-298).




LA SYLPHIDE.




LA SYLPHIDE.



Il dort ! je puis enfin, mystérieuse amante,
De sa paisible couche approcher à mon tour,
Sur son sein endormi poser ma main tremblante
Et m’enivrer d’amour ;

Baiser son front chéri que mon cœur idolâtre,
De ma légère haleine effleurer ses doux yeux,

Et puis, avec ivresse, entre mes doigts d’albâtre
Rouler ses noirs cheveux.

Dors, ô mon jeune ami ; de peur que tu t’éveilles,
Ma tendresse, évoquant des fantômes légers,
Aura soin d’éloigner, tandis que tu sommeilles,
La crainte et les dangers.

Dors, et pour te bercer, d’une voix argentine,
Je redirai ces chants que les sylphes en chœur
Répètent en dansant le soir sur la colline,
Près des jasmins en fleur.

Car, pour toi, j’ai quitté leurs demeures brillantes
Dans des palais flottans d’azur et de vermeil,
Que peignent, tour-à-tour, de couleurs transparentes
L’aurore ou le soleil.

Pour toi, mon bien-aimé, la Sylphide amoureuse
A laissé des vallons ravissans, enchantés,
Où blanche elle volait sur l’aile vaporeuse
Des rayons argentés ;

Et des lacs aux flots bleus, entourés de verdure,
Qui reflètent les cieux dans leur vaste miroir,
Où vient se contempler la pudique figure
De la reine du soir.

Mais que me font ces biens qu’adorait ma jeunesse ?
Ma vie est dans ton souffle, et quand ton œil si doux
Sur un front pur et beau s’arrête avec ivresse,
Mon cœur en est jaloux.

Car, sitôt que l’amour d’une beauté mortelle
De ses feux dévorans viendra brûler ton sein,

Timide, et redoutant cette amante nouvelle,
Je m’enfuirai soudain.

Mais si jamais un jour, le cœur plein, l’œil humide,
D’un sentiment trahi tu connais les douleurs,
Oh ! rappelle-moi vite, et la tendre Sylphide
Viendra sécher tes pleurs.