Poésies (Quarré)/À Françoise Colin




À FRANÇOISE COLIN[1].




À Françoise Colin.



À l’aspect des douleurs qui font gémir la terre,
Que de fois nous osons, trop aveugles mortels,
Oubliant du Très-Haut la bonté tutélaire,
Accuser de rigueur ses décrets éternels !
Pourtant son cœur divin nous punit, mais nous aime,
Et, prêt à châtier nos crimes, nos fureurs,
Souvent balance encore, et du foudre suprême
Retient les feux vengeurs.

Que lui faut-il, hélas ! pour calmer sa colère ?
Des larmes, des soupirs vers son trône exhalés,
D’un enfant quelquefois l’innocente prière,
Ou des actes pieux par le secret voilés.
C’est ainsi que jadis une vierge timide,
Le priant d’écarter les Huns dévastateurs,
De Lutèce au berceau garda sous son égide
Les futures grandeurs.

La prière des saints, comme un divin arôme,
Monte en flots si puissans vers le céleste lieu,
Que dix justes trouvés dans l’impure Sodôme
En auraient éloigné le déluge de feu.
Et nous ne savons pas, orgueilleux et coupables,
Quels châtimens, peut-être, à nos murs seraient dus,

S’ils n’abritaient aussi des ames admirables
Et d’augustes vertus.

Ô toi, qu’avec respect aujourd’hui l’on contemple,
Noble et modeste femme au front humble et béni,
Françoise, dont la vie est un sublime exemple
De charité sans borne et d’amour infini,
Les ames comme toi sont ces ames d’élite
Que l’œil du Tout-Puissant cherche pour pardonner,
Quand, s’allumant enfin, sur la foule maudite
Son courroux va tonner.

Et le monde ignorait ton obscure existence,
Pauvre fille, oubliée en un triste séjour,
Que les anges du ciel admiraient en silence,
Riche devant leurs yeux et de grace et d’amour.

Et tu ne faiblis point, et deux fois vingt années
Ont vu ton dévoûment toujours plus généreux,
Sans espoir de salaire, unir ta destinée
À des jours malheureux.

Des cloîtres envahis quand les vierges chassées,
Encor pâles d’effroi, palpitantes d’horreur,
Dans un monde inconnu s’égaraient, dispersées
Comme un faible troupeau sans bercail ni pasteur ;
Une d’elles…, sa tête, hélas ! était blanchie,
Sans ami, sans parent qui la vînt secourir,
Seule avec sa misère au déclin de la vie,
N’avait plus qu’à mourir.

Mais ton cœur, ô Françoise ! ému de sa détresse,
Jeune, et quand d’un époux tu pouvais faire choix,

S’attache à son malheur, l’adopte pour maîtresse,
Et de son triste sort veut porter tout le poids.
Le fruit de ton labeur nourrit son indigence,
Pour soutenir les siens tu consumes tes jours,
Et tes soins généreux, seconde providence,
L’environnent toujours.

Le travail rigoureux et la veille assidue,
Avec l’âge ont usé ta force, ta vigueur ;
Ton pas devient plus lourd, et plus faible ta vue ;
Mais la peine et les ans n’ont pas changé ton cœur.
Conduisant jusqu’au bout ta sainte et noble tâche,
Dans ton humble héroïsme et dans ta charité,
Tu redoubles d’efforts, et luttes sans relâche
Contre la pauvreté.

Le Seigneur qui t’aimait fit durer cette épreuve,
Lui, du pauvre toujours l’asile et le soutien,
Qui reçoit et bénit l’obole de la veuve
Mieux que tous les trésors dons du Pharisien.
Mais enfin ta vertu paraît dans tout son lustre,
Par les hommes déjà le prix t’en est donné,
Et dans le sein brillant d’une assemblée illustre
Ton nom est couronné.

Sur la couche où languit son infirme vieillesse,
Du trépas qui délivre implorant l’heureux coup,
Vois, au dernier moment, le front de ta maîtresse
D’un rayon de bonheur inondé tout-à-coup.
Ne craignant plus pour toi la misère cruelle,
Son cœur peut te bénir avec un doux transport,

Et dans le sein du Dieu dont la bonté l’appelle
Paisible elle s’endort.

Mais du jour éternel notre jour n’est qu’une ombre,
Le bonheur d’ici-bas qu’un rêve obscur et vain
De ces félicités sans mesure, sans nombre,
Que garde à ses élus le maître souverain.
Lui seul peut te payer, sublime bienfaitrice,
De généreux labeurs ce long enchaînement,
Et de ta vie entière offerte en sacrifice
Le noble dévouement.

Oui, son regard divin qui verse la lumière
Aux mondes enivrés d’un immortel amour,
A suivi pas à pas ta modeste carrière
Et te désigne aux cieux un rayonnant séjour ;

C’est là qu’est le vrai prix de ta sainte existence,
Ange d’un corps terrestre à nos yeux revêtu ;
C’est là qu’est l’éclatante et digne récompense
De ton humble vertu.

  1. Cette fille respectable vient de recevoir un des prix de vertu fondés par M. de Monthyon, et distribués chaque année par l’Académie française.